Fyctia
1.2 Bienvenue dans la meute
Je me suis enfin retourné, pour me prendre leurs trois paires de pupilles curieuses à la Riri, Fifi, Loulou en pleine face.
— Nina avait un concert samedi. Après on est sortis dans le quartier de La Petite France avec ses amies musiciennes.
— Y en a des mignonnes que tu pourrais me présenter ?
Je n’ai pas relevé la réflexion de Jib, Titi a tout de suite embrayé. Je le remerciais intérieurement de ne pas nous laisser repartir dans une énième conversation de queutards. À vingt ans ça passe, à trente ça fait beauf. Surtout que nous avions une réputation de boîte progressiste, respectueuse de la diversité et de l’égalité entre tous les humains.
— Tu rêves éveillé mon pauvre. Ça fait déjà longtemps qu’on n’a pas revu Nina, ce n’est pas pour qu’Arthur te ramène de la chair fraiche.
Oui, merci Titouan... Paye la gueule de ton progressisme.
Matis continua de me questionner entre deux gorgées de cappuccino.
— Ça remonte à quand déjà ? Au moins un an ?
— Elle est venue au dernier Family Day, mais on n’est pas restés longtemps, confirmai-je d’un hochement de tête. On avait prévu une virée à Amsterdam le lendemain.
— Hm, je me souviens. Vous vouliez aller au musée Van Gogh chasser le pokémon.
— Dis comme ça, grimaçai-je.
— Vous viendrez à la soirée de Noël du CE au moins ? s’enquit Titouan.
— Je ne sais pas encore…
— Elle m’a promis de jouer un air de violon rien que pour moi, tu lui diras que je l’attends toujours ! beugla Jibril dans mes oreilles.
— Fais gaffe Arthur, on dirait que Jib veut te piquer Nina.
— Carrément ! Les grandes blondes taille mannequin c’est mon créneau. Elle est trop bien pour toi cette fille, le breton !
Ce surnom débile. Quand j’ai repris le nom de jeune-fille de ma mère, je ne pensais pas qu’il y aurait des gens assez cons pour venir me faire ce genre de blague sans âme. Mais dans l’absolu, ça restait mille fois préférable à ce que je subissais avant. Jibril c’était le level easy. Je lui ai offert mon sourire carnassier le plus seyant. Trois ans d’orthodontie de la cinquième à la troisième, fallait bien que ça serve.
— Désolé de te contredire : elle préfère les hommes fidèles…
— Pour elle j’accepte de me ranger !
— … et elle est habituée à mieux que ton micro-pénis.
— Va te faire enculer.
— Pas avec ton micro-pénis en tout cas.
— Ça clache ce matin ! gloussait Titouan.
— Arthur 1, Jibril 0, lâcha Matis après avoir recraché la moitié de son café par les narines.
Voilà. Le vrai point Godwin de toutes les civilisations, c’est celui-ci : peu importe le niveau d’étude, la classe sociale ou le montant du salaire, laissez quatre hommes ensemble, et en moins de cinq minutes, la conversation dévie sur un concours de celui qui a la plus grosse.
En l’occurrence, le gagnant c’était moi : Arthur Breton, data scientist en charge de la traque des fake news pour WOLF, la pomme empoisonnée du panier, et ce n’est guère une allusion à mon premier contrat chez Apple. Le dernier membre de l’équipe du projet Fact-Checking. Vous savez ce que c’est ? Le machin supprimé chez Meta et X début 2025 parce que soi-disant c’était de la censure.
Vaste blague. Quand on voyait l’efficacité du programme sur Facebook, ça ne changeait pas grand-chose d’y mettre fin. Rappelez-vous en mars 2024, tous les fils d’actu français étaient pollués par un faux bad buzz sur Élise Lucet. De la dobe en barre avec des clichés truqués qui auraient fait honte à Photoshop. En deux prompts sur Dall-E t’obtiens mieux, mais le truc est passé sans problème à travers les trous du panier percé du fact-checking à la sauce Meta. Mais pas chez WOLF, et ça, c’est grâce à bibi. On a gagné une petite salve de nouveaux inscrits à cette période. En fait, c’est bien simple, à chaque fois qu’il se passait une merde sur un autre réseau, WOLF gagnait des utilisateurs.
Je ne sais plus ce qu’était en train de me répondre Jib par-dessus les rires étouffés de Titi sur la taille de nos braquemards. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’on a tous cessé de parler quand on a reconnu l’irritant crissement de semelle des Finsbury de Vincent. Très vite, sa voix aigre de hipster snob est venue compléter le concert des bruits gênants.
— Alors les wokes, vous faites du cosplay de fonctionnaires ? Quatre feignasses qui papotent autour de la cafetière ?
— Mais quelle blague incroyable Vincent, waouh. Je t’inscris pour le Guinness Book des records de la vanne la plus efficace. Je crois qu’on va passer les soixante-douze prochaines heures à se bidonner en se roulant par terre.
Étrangement, derrière son flegme, il ne fallait pas trop chercher Matis. Un type acerbe comme on en voyait peu. Le ricanement de Jibril dans son dos ne fit qu’accentuer le seum de Vincent, stéréotype du manager qui ne sert à rien. Pardon : pas manager, « coordinateur », puisque nous fonctionnions en adhocratie. Pour les néophytes, demandez à Perplexity, et croisez les méninges pour comprendre la définition. Il nous a aboyé dessus avant de s’en aller voir l’équipe de développement.
— Pendant que vous organisiez votre salon de thé de vieilles filles, le patron a posté une vidéo. Checkez vos notifs et au boulot !
— Ouais, bon lundi à toi aussi ! cria Jibril.
— Rappelez-moi pourquoi j’ai fait huit ans d’étude, si c’est pour me taper un chef aussi con ? grogna Titouan entre les dents.
— Parce que lui il a fait HEC et pas toi, marmonnai-je.
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