Fyctia

Qui suis-je ?

— Camélia.

Allongée sur le ventre, au centre de mon lit, un crayon à papier à la main, je m’apprête à écrire quelques lignes dans mon journal intime. C’est la voix familière de ma sœur, plantée dans l’encadrement de la porte qui me fait redresser la tête.

— Merci pour l’information…

Je plisse les yeux et grâce à la force de ma pensée, la porte se referme sur une Angélica outrée.

— Hey ! s'écria-t-elle. Pas la peine de te montrer si grossière !

La porte se rouvre. Angie fronce les sourcils, poings sur les hanches.

— Je déteste quand tu fais ça, tu le sais ! Je vais brider tes pouvoirs, si tu continues ! exprimé-je, sur le ton de la menace.

Un sourire vint étirer la commissure des lèvres de mon aînée. Un sourire qui en dit long sur ce qu’elle éprouve à mon sujet, à propos de cette nouvelle vie, que, sans le vouloir, j’ai imposée à mes proches.

— Camie… si tu ne voulais pas que ça se produise, il ne fallait pas ouvrir cette fichue porte.

Ce reproche, j’y ai le droit depuis quelques mois. C’était une nuit d’hiver. Le temps était glacial. J’ai hérité de la chambre la plus petite et surtout, de la plus froide de la maison, à la mort de maman. Cette soir-là, j’ai commencé par descendre à la cave pour voir s’il n’y avait pas un problème avec la chaudière. Quand je suis remontée, frissonnante, sans être parvenue à mettre la main sur une couverture plus chaude, j’ai entendu du bruit au-dessus de ma tête. J’ai immédiatement pensé à des rats. Le deuxième étage est inoccupé. Il s’agit du grenier. Nous n’avons jamais réussi à déverrouiller la porte depuis que notre mère a rejoint les anges. Après m’être fait un tas de film dans ma tête, sur le fait qu’un rat pourrait par je ne sais quel moyen, atterrir dans mon cocon, j’ai décidé de tenter le diable en affrontant la bestiole et sa petite famille. J’étais persuadée que j’allais tomber nez à nez avec le papa, la maman, les enfants, les grands-parents, et j’en passe, à la queue leu leu. Je devais les surprendre la première. Équipée d’une pince à chignon et d’un balai, je me suis rendue à l’étage. En quelques minutes, j’ai réussi à ouvrir la porte. Les doigts tremblants, j’ai tâté le mur pour activer l’interrupteur. Malgré les va-et-vient, la lumière ne vint pas. Au lieu de me retrouver face à des rongeurs que j’allais devoir achever de mon arme de fortune, je suis tombée sur une pièce inconnue pour moi. Même dans mes souvenirs les plus lointains, je ne me souviens pas avoir eu l’occasion, ne serait-ce qu’une fois, de venir ici. Face à moi, à travers la fenêtre en oriel, j’ai aperçu les rayons de la lune illuminer un pupitre en bois et une malle ancienne. J’ai balayé la pièce du regard pendant de longues secondes. J’ai tendu l’oreille. Il n’y avait plus aucun bruit. Il n’y avait pas la trace d’un quelconque nuisible. Curieuse, je me suis approchée et je me suis accroupie face au coffre. À l’intérieur, j’ai trouvé des petits trésors. Il y avait nos couvertures de naissance, à mes sœurs et moi, tricotées à la main et brodées à nos prénoms. Je reconnais la patte de grand-mère. Dessous, il y a un livre. La reliure est en cuir. Wicca est inscrit en gros caractère sur la couverture. Je passe mes doigts sur chaque lettre avant de l’ouvrir. Les pages sont jaunies par le temps. Je les tourne une à une pour en découvrir le contenu. Elles semblent avoir été rédigées à la main, à l’encre noire d’une plume ancienne. C’est l’écriture de maman et de grand-mère. J’en suis sûre. Cet ouvrage est magnifique. Je retourne à la première page pour y lire les mots inscrits : Oyez maintenant les paroles des sorcières. Les secrets sont cachés dans l’obscurité. Les dieux anciens sont invoqués ici afin que soit révélé l'art de la sorcellerie. En cette nuit et à cette heure, j’invoque le pouvoir supérieur. Transmettez vos pouvoirs à trois sœurs. Nous voulons le pouvoir. Donnez-nous le pouvoir. Je me rappelle avoir refermé ce qui me paraissait être un grimoire à l’époque et d’être retourné dans ma chambre, l’esprit comme apaisé. Je ne me sentais pas spécialement soulagée parce que je n’avais pas trouvé ces mammifères omnivores, familièrement surnommés, chacals de l’enfer. À ce moment précis, je ne savais guère expliquer ce sentiment.

Grâce ou à cause de moi, en quelques jours, nos vies ont été complètement bouleversées. Nous avons, tour à tour, découvert nos pouvoirs magiques. Lilas, peut se téléporter. Angélica a reçu comme don de lire dans les pensées. Et moi, j’ai la faculté de pouvoir déplacer les choses par la force de mon esprit. Nos capacités magiques grandissent en même temps que notre expérience. Si nous avons gagné un passe-droit pour le bien, le mal ne s’en réjouit pas forcément. Nous sommes régulièrement confrontées à l’attaque de sorciers maléfiques qui veulent nous dérober nos facultés pour que le mal l’emporte sur le bien. La légende raconte que nous sommes l’âme de la bienveillance. À nous trois, nous détenons le pouvoir de la Wicca, qui est considéré comme le plus puissant. Notre quête est de maintenir l’ordre et le bien dans le monde. C’est un combat que nous menons régulièrement. Nous sommes des sorcières, même si je préfère le mot “Guerrière”.

— C’est notre héritage, Angie, que tu le veuilles ou non.

— Je suis forcée de reconnaître qu’elle a raison, pour une fois, intervient Lilie.

Je me redresse pour m'asseoir en tailleur.

— Tiens, tu tombes bien. Enguirlande-là, elle a utilisé ses pouvoirs à des fins personnelles !

Lilie est la plus âgée de nous trois. C’est celle avec laquelle j’ai tendance à le moins m’entendre, toutefois, depuis la découverte de Wicca, nos liens familiaux se sont étroitement resserrés.

— Débrouillez-vous.

Angie sourit de nouveau et tourna les talons. Lilie, quant à elle, disparaît dans sa chambre. Le calme règne de nouveau. Je me lève pour fermer la lourde porte en chaîne et je reprends ma position initiale. Je couche les premiers mots sur mon journal.

Je m’appelle Camélia Weasley et je suis une guerrière.