Alice Ferin Lúla CHAPITRE 13.1

CHAPITRE 13.1

MASON

— Allez, bouge de là, mon pote, lancé-je à voix basse.


Le regard de Jax croise le mien un quart de seconde avant qu'il ne referme les paupières, insensible à ma demande. Cet imbécile heureux s'est couché en travers de mes jambes, me rendant prisonnier de mon propre plumard.


Et ce n'est pas un putain de jeu de mot, ce clebs pèse un poids mort.


Il s'étire les pattes arrières et laisse échapper un grognement d'aise, signes qu'il n'a pas du tout l'intention de changer de position. Je ne suis pas contre qu'il squatte ma piaule d'habitude, mais je suis certain d'avoir entendu la porte d'entrée claquer. Tory a dû rentrer de sa garde, et je voudrais pouvoir l'intercepter avant qu'elle ne se barricade une fois de plus dans sa chambre. Je commence à comprendre pourquoi ce chien est toujours collé à moi : elle bosse, elle dort, et elle repart. C'est à peine si elle mange entre deux.


— Mec, si tu te pousses, j'te promets que tu pourras finir toutes mes assiettes à partir de maintenant.


Ses oreilles se redressent aussitôt, suivi de près par son museau qu'il pointe dans ma direction.


Ouep, là, j'ai toute son attention.


— Je te laisserai des tonnes de sauce, ajouté-je en jouant des sourcils.


Sa tête s'incline d'un côté, puis il bondit quelques instants plus tard, me libérant de son emprise par la même occasion. Ses pas grattent le parquet à mesure qu'il se précipite vers la porte, et je repousse les couvertures pour me lever à mon tour. Je suis obligé de baisser la tête pour contourner le lit, le plafond mansardé des combles n'ayant pas poussé avec les années, lui.


Je traverse le palier et emprunte l'escalier qui tremble sous mon poids alors que je dévale les marches à la hâte. Jax sur les talons, je fais un rapide détour par la salle à manger pour lui ouvrir la porte fenêtre, et il ne perd pas une seconde pour s'élancer dehors.


Puis je me mets en quête de mon insaisissable hôtesse.


Je m'engage dans le couloir qui rejoint sa chambre et il m'en faut peu pour percevoir le bruit de l'eau qui s'écoule dans la douche. Posté devant la porte de la salle de bain, je passe une main nerveuse dans mes cheveux.


Six ans.


Six putains d'années se sont écoulées et je ne sais plus où se trouvent les limites désormais. Les siennes surtout. Tory m'a fait comprendre qu'elle n'avait plus une très haute opinion de moi. Ça se ressent dans chacun de ses regards fuyants, dans chacune de nos conversations aux airs de confrontation. Comme si tout ce qu'il y'avait eu entre nous, tout ce qu'on avait un jour partagé, avait été balayé d'un revers de main, réduit à une simple erreur de jeunesse. Ce que je suis en réalité. Et me voilà aujourd'hui, à m'imposer ici, avec ce foutu bracelet accroché à la cheville, comme un putain de rappel permanent de mes erreurs.


Je crispe et décrispe mes poings le long de mon corps puis frappe trois coups secs contre le bois.


— Oui ?


Sa voix tremblotante me fait agir sans réfléchir. J'ouvre la porte sans attendre et un cri strident me vrille aussitôt les tympans, suivi d'un linge humide que je reçois en pleine face.


— Mais ça ne va pas ? Sort d'ici tout de suite !


Le temps de balancer la serviette par terre, Tory s'est déjà couverte du rideau de douche. Le plastique moule parfaitement sa silhouette nue et ma bouche s'assèche. Mon cerveau court-circuite et je perds le fil de mes pensées.


Six ans, bordel.


— Mason, dehors !


Le ton qu'elle a employé n'appelle pas à la négociation. Pourtant, mes pieds sont comme englués au sol, et mes yeux accrochés aux pointes durcies qui semblent vouloir percer le tissu opaque.


— J'te jure que si tu ne fais pas demi-tour tout de suite, je vais faire de ces trois prochains mois un véritable enfer sur terre.


Mon regard délaisse – à contre cœur, j'le reconnais – le galbe de sa poitrine. Un effort de volonté qui, je le jure, en cet instant m'apparaît comme l'une des choses les plus difficiles que j'ai eu à faire. Je la parcoure des yeux, juste une dernière fois, de ses longs cheveux bruns qui goutent sur le tapis, à ses orteils vernis de rouge qui s'y recroquevillent. Puis je reviens aux lignes parfaites de son visage, dont les traits crispés font courber les commissures de mes lèvres. Mon impertinence reprend le dessus. Je croise les bras contre mon torse avec insolence, m'appuyant à l'encadrement de la porte.


— Et... laissé-je traîner. Est-ce qu'il est question de toi nue, dans cet enfer ?


Ses mâchoires se serrent alors que ses deux prunelles ambrées errent autour d'elle, comme si elle cherchait un projectile potentiel à m'envoyer à la figure. Ou pire.


— Dégage, gronde-t-elle finalement, un doigt pointé devant elle.


Ouais, désolé mon cœur, aucune munition possible de ce côté-ci.


— Je crois plutôt que je vais rester là, ça me semble une bien meilleure façon de commencer ma journée.


— Tu n'es qu'un...


— Un trou du cul, ouais, j'connais la chanson. Si tu la connais aussi, chante avec moi, raillé-je.


Mon dédain se tarit lorsque je remarque la lèvre inférieure de Tory qui se met à trembler, et le coin de ses cils se gorger d'humidité. Je fais instinctivement un pas en avant, puis me ravise. Elle dresse une main entre nous et ferme les yeux, ne souhaitant pas me laisser entrevoir sa douleur.


Le temps où l'on partageait la nôtre est révolu, et ma gorge se serre face à cette constatation.


— Tory, je...


— Arrête.


Sa voix brisée tord un peu plus chacune de mes entrailles. Ma bouche s'ouvre et se referme, soudain incapable de rétorquer quoi que ce soit.


— Est-ce que tu peux juste... me laisser tranquille aujourd'hui ? articule-t-elle entre deux hoquets. Ça a été une longue nuit.


Et je sais que par « longue », elle veut dire « difficile ».


Et je sais que j'ai perdu le droit de lui demander un nom, n'importe lequel, pour que je puisse en faire mon affaire personnelle.


Alors je hoche la tête.


***


Tory a dormi toute la journée.

Moi, j'ai cogité toute la foutue journée.


Est-ce que je ne ferais pas mieux de me tirer d'ici ? Quand il est passé hier soir, Zack m'a proposé de m'installer chez lui. Il a dit que ça éviterait que la maison de Nana soit terrassée par la tornade Tory, ou un truc du genre. Il m'a même filé un téléphone et enregistré son numéro en favori, au cas où je me déciderais.


Tu parles.


Un sourire s'esquisse sur mes lèvres en prenant conscience que la folie a dû s'emparer de mon âme. Sinon, pour quelle autre raison je préférerai rester là et crever au beau milieu d'un cyclone, plutôt que de m'éloigner d'elle une nouvelle fois ?


Je suis coupé dans mes réflexions par le bruit de la sonnette qui retentit. Je me lève du canapé et me presse jusqu'à la porte que j'ouvre en grand.


La femme face à moi papillonne des cils à plusieurs reprises, le front plissé. Elle semble essayer de me replacer dans le puzzle de sa mémoire, avant que ses yeux ne s'arrondissent de stupeur.


— Mason ? C'est toi ?

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4 commentaires

DIANA BOHRHAUER

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Il y a 19 jours

Fidèle, je like 💕 N'hésite pas à aller sur le mien

oooDaphneooo

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Il y a 21 jours

Un très beau chapitre qui intensifie encore la tension entre eux et fini sur une bombe !!!! Qui est donc cette femme ?????

lorrely

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Il y a 23 jours

🎄🎄🎄 à jour ❤️

TammyCN

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Il y a 23 jours

Like 💝
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