Fyctia
Chapitre 28 LA PHOTO
J’entre dans le bâtiment en courant, me dirigeant vers l’accueil, où, bien évidemment, il n’y a personne ! Énervé, je traverse le hall et la salle d’attente vides, quand j'aperçois enfin une infirmière sortant d’une pièce indiquant « radiologie », je me précipite sur elle. Peinant à reprendre mon souffle, je lui demande
– … cusez-moi, m’dame… voir le docteur… auriez pas… mon cousin… numéro de chambre…
L’infirmière reste prostrée comme un poteau, yeux grands ouverts, cherchant visiblement à décoder ce que je viens de dire. Zut ! C’est à chaque fois pareil ! Dès que je suis un peu anxieux ou énervé, je me mets à bafouiller comme un bègue en bouffant la moitié de mes mots, et ça m’énerve encore plus et je bafouille encore plus, etc. OK ! Tranquille bonhomme ! Je prends une profonde inspiration et recommence mes explications :
– Excusez-moi ! C’est la panique ! On m’a informé que Monsieur Shangens avait été emmené ici !
– Ah oui ! L’accident de la route. Vous êtes de la famille ?
– C’est mon cousin, il vit chez moi.
– Ah très bien, si vous voulez bien patienter dans la salle d’attente quelques instants, je vais prévenir le médecin !
En salle d’attente, mais pourquoi faire ? C’est dans la chambre d’Harvey que je veux aller, et puis il n'y a personne d’autre de plus urgent que mon cousin ! Résigné, je fais les cent pas dans la salle d’attente. Je suis si nerveux que je me grillerai une cartouche entière de cigarettes ou peut-être cent grammes de marijuana. Qu’est-ce qu’elle fout cette infirmière, voila bien une heure qu’elle est partie ! Tout à coup, j’aperçois un grand type en blouse blanche venant dans ma direction, je me jette sur lui avec vigueur.
– Alors, docteur ? Prêt à secouer l’homme par le col. Qu’est-ce qui s’est passé ? Mon cousin va bien ? Où est-il ?…
– Je ne sais pas, moi, je ne suis pas docteur, je suis brancardier ! Me dit-il en s’esquivant.
– Pardon ?! Je suis consterné. Mais où est ce docteur, nom de…
– C’est moi, lance une voix derrière moi. Je suis le professeur Müller, j’ai accueilli votre cousin.
– Excusez-moi, docteur, je suis confus, mais soulagé. Je suis assez bouleversé ! C’est grave ?
– Cela aurait pu l’être bien plus. Pour l’heure, ses jours ne sons pas en danger. Si j’en crois ce qu’il m’a confié, il aurait percuté un véhicule qui aurait freiné brusquement ! Vol plané, et pour finir perte de conscience ! Il souffre de plusieurs contusions et d’une petite fracture de la malléole gauche. Il a besoin de repos, mais les médicaments ont l’air de lui faire effet, en tout cas, c’est un veinard votre cousin, s’en sortir sans plus de bobos sachant qu’il ne portait pas de casque. Je pense que je vais quand même le garder trois jours en observation par mesure de précaution !
– Puis-je le voir, docteur ?
– Oui, bien sûr ! Mais ménagez-le, ne restez pas trop longtemps ! Je sens comme une charge de huit tonnes choir de mes frêles épaules. H n’est pas en danger et, plein de reconnaissance, je remercie le professeur Müller une bonne centaine de fois, et j'ai même envie de lui faire le baisemain. Quelques instants plus tard, une infirmière vient me prévenir que je peux monter voir Harvey. Je ne remarque qu’au moment de prendre l’ascenseur, jusqu’au deuxième étage, la forte odeur d’ammoniaque et d’éther qui plane dans les couloirs carrelés. Ça pue tellement que je fais de l’apnée. Je me rends plus calme devant la porte blanche de la chambre des soins intensifs. Je frappe timidement jusqu’à ce que la petite voix éraillée de H m’invite à entrer. J’entrouvre la porte, pour m’approcher du lit à pas feutrés, et ce que je vois me fait tressaillir. J’ai peine à reconnaître le visage de mon cousin, tant il est enflé et rougi. Lardé de bandages sur le crâne et les bras, plâtré à la cheville gauche, il a tout du Retour de la momie. J’en ai la chair de poule. À ma vue, Harvey affiche un rictus, que j’identifie comme une ébauche de sourire. Salut, Marsh, souffle-t-il, ayant des difficultés pour articuler. N’aie pas peur… J’ai déjà eu pire, comme tête…
– Je confirme, dis-je en m’asseyant sur une chaise près du lit. T’es pire que ça tous les matins !
Le pauvre Harvey tente un nouveau sourire, ses efforts pour paraître au mieux me font monter les larmes aux yeux. Il me dit qu'il en a beaucoup appris hier sur Lara, il a même remarqué un truc un peu bizarre sur une photo dans sa chambre, quoi H a été invité dans le sanctuaire de Lara !? Il me dit de fouiller dans l'espèce de sac-poubelle sous son lit, je sors un cadre pété qui entoure une photo, il me dit de bien regarder... Je regarde attentivement la photo et rien. Juste une photo banale. Rien d’anormal, quoique… Mais bon Dieu, et je ne le vois que maintenant ! Vilma, qui pose en arrière-plan, elle est en train de chialer ! Je n’ai jamais prêté attention à ce détail auparavant, c’est étrange. Mais pourquoi pleurait-elle ce jour-là ? Harvey me fixa du regard, il ne paraissait pas bien. Je lui dis que ça date du jour où c'est devenu sérieux avec Sissi, on venait de fêter le deuxième anniversaire de la création du centre équestre, quel bordel ce jour-là ! Vilma nous avait encore fait un coup tordu, en planquant nos selles de cheval. Je me souviens d’une phrase que Nick avait lancée, elle résonnait dans ma tête.
– Un jour, je te tuerai sale conne !
Vilma avait ri, irritant Nick à l’extrême. Elle ne rirait plus jamais, désormais. Cette fois encore, elle avait insisté pour me parler, mais comme d’habitude, je l’avais envoyée paître. Cette photo prêtait plutôt à sourire. Au premier rang, accroupis par terre, Max avait les yeux fermés et la bouche ouverte, Marlon jouait les James Bond en mimant le flingue avec sa main et Lara se cachait à moitié le visage (ce qui, pour moi, n’était pas un mal). Derrière eux, assis sur des tabourets, Sissi regardait en biais, et j’étais moi, haïssant à l'extrême les photos, le seul à prendre une pose sérieuse (genre homme torse nu pour une pub de parfum). Enfin, debout en arrière-plan, Audrey envoyait des baisers à l'objectif et Nick, le sexe-symbole, louchait. Bref, que de bons souvenirs, en somme, pleins d’insouciance et pourtant Vilma pleurait.
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