Fyctia
Chapitre 21 LE LONG DES CORDES
Face au miroir de la salle de bain, elle ne porte que ma chemise ouverte, laissant deviner ses seins, ses si jolis seins tout menus en forme de pommes, qui tiennent dans la main d’un honnête homme (et parfaitement bien dans la mienne), avec leurs petits tétons à l’apparence d’une larme de chocolat bien fraîche. Ceux-là même que j’ai caressé de mes lèvres durant nos moments d’amour… Depuis ces presque huit mois que nous sortons ensemble, mes sentiments ont grandement évolué. Je reste encore ébahi du fait qu’elle se soit intéressée à moi, pauvre gars de type fermier face à elle, si belle avec sa peau brune et brillante. J’adore son petit nez mutin légèrement épaté, qui trône au-dessus de lèvres naturellement foncées. Elle est belle ma petite Haïtienne, elle préfère que je l'appelle Sissi en privé, plutôt que le surnom un peu trop réducteur qu'on lui a donné à son entrée dans la bande Solid color. Je l’aime et j’en suis fier, persuadé de notre amour éternel. En regardant son reflet, je ne peux m’empêcher de sourire. Elle s’excite après ses cheveux ondulés, qui tombent en cascade sur ses épaules musculeuses, et je dénombre déjà sept tentatives de coiffures différentes, accompagnées de bougonnements. Elle souffle, et ses yeux, autant que son visage, marquent des signes de fatigue. Je note même une inquiétude.
Elle approche davantage son visage du miroir, et après s’être passée une perle de culture à l’oreille gauche et un anneau argenté à la droite, elle marque de son doigt la petite cicatrice qui barre son visage du bas de la tempe droite à la naissance de son maxillaire. Elle fait souvent ça avec de la tristesse dans le regard… Un autre souvenir de Vilma ! Depuis ce jour, Sissi ne s’est plus vue comme une fille tout à fait normale. Elle est pourtant, à mon avis de garçon amoureux, toujours aussi parfaite… Je me lève pour me coller contre elle, l’enserrant de mes bras, j’imprime à nos corps un mouvement de balancier suggestif, elle se laisse faire les yeux à demi fermés, j’aurais aimé avoir le temps de disputer à nouveau une partie de jambes en l’air, mais je vois bien que cette option n’effleure pas les pensées de mon héroïne… H qui nous avait laissé savourer nos moments de sensualité, tranquille, nous appelle, il a encore fait des pancakes... Main dans la main, nous descendons le rejoindre. Attablé face à Sissi, je fixe la pendule. C’est le grand jour : Vilma va être enterrée à onze heures. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai envie d'y aller... Je pense malgré moi qu'elle aurait aimé que je sois là. Qui parmi la bande sera de la partie ? En tout cas, Sissi, elle, a choisi de ne pas y aller...
Son corps repose dans un cercueil somptueux, en bois de hêtre, resté ouvert. Arrivé en retard (un acte manqué ?), j’ai raté l’éloge funèbre et échappé à la traditionnelle messe. Inévitablement, le souvenir de Shirley qui trois ans plus tôt reposait dans cette même église aux colonnes blanches et murs gris parsemés de scènes liturgiques… me revient dans la tronche. J'ai encore de façon fugace un relent de haine pour Vilma, il faut que je pense à autre chose, mes yeux divaguent. Les églises modernes n’auront jamais le charisme des bons vieux édifices gothiques ou romans. Mon propre enterrement se fera dans une cathédrale, comme Notre-dame de Paris… me dis-je, hors de propos. Malgré mes efforts, je sais que rien, pas même ma Sissi, ne me fera oublier ce jour maudit, celui où Shirley a été à tout jamais enfermée dans une boite, au fond d’un trou. Et, aujourd’hui, j’assiste à l’enterrement de celle qui fut « son bourreau » ! Quelle sombre ironie ! Subitement dégoûté par ma présence hypocrite, je suis pris d’une envie de fuir, avant de me ressaisir en songeant aux secrets de Vilma. Un peu en retrait, non loin des bénitiers, j’observe Renatee, complètement effondrée, penchée sur le front de sa fille pour y déposer un baiser. Toute de noir vêtue, elle a dissimulé son visage bouffi derrière un voile et son corps, plutôt pulpeux, dans une immonde robe de laine pourpre. Il n’y a pas grand monde, une quinzaine de personnes environ, et sans doute une majorité d'hypocrites, parmi les membres de la famille venus là plus par obligation que réel dévouement, comme Max et Marlon qui regardent fixement le révérend Bonnest purifier l’âme de Vilma, j'entends quelqu'un pester à voix basse, il dit que la présence de Vilma dans cette église est proche d'un sacrilège, je ne sais pas qui parle, mais je reconnais qu'il n'a pas tort ! Détournant mon regard au hasard, j’aperçois Nick, l’air hagard, un peu à l’écart, dans le fond d’une des travées annexes. Après quelques longs instants, je me décide enfin à m’approcher du cercueil et, traversant timidement l’allée centrale, je fais abstraction des regards (réprobateurs ?) sur moi…
Le choc ! La rousseur de ses cheveux contraste énormément avec la pâleur de son visage qui semble pourtant si apaisé ! La voir là, inerte, toute de blanc vêtue la rend plutôt belle et lui donnent un aspect virginal telle une représentation d’un tableau de la Renaissance, et cette image me fait un instant oublier ce qu’elle était de son vivant. C’est assez classique, mais je pourrais presque croire qu’elle n’est qu’assoupie et qu'elle va se réveiller pour se jeter sur moi. Cette sensation est si présente dans mon crâne que je crois même à un moment voir se soulever son opulente poitrine, après une minute, je me rends compte qu’il ne s’agit là que d’une illusion d’optique, sans doute provoquée par l’incrédulité. Je la regarde comme pour la première fois et j’ai peine à croire qu’à sept reprises, une lame a entaillé ses chairs… Un flash de son corps perforé se superpose à la réalité, j’ai un petit étourdissement que je maîtrise aussitôt. Je ne veux pas me laisser submerger ! Peu après mon passage, on referme le cercueil et quatre hommes s’en saisissent pour le porter à l’épaule. Successivement, les gens se lèvent et sortent. Je les suis, tandis que Nick me rejoint, en me gratifiant d’une poignée de main. Le regard vague et fuyant, il murmure à mon oreille :
– À plus tard…
– Tu ne restes pas ?
– Non, je ne me sens pas très à l’aise.
Je partage son sentiment. Alors pourquoi suis-je venu ? N’éprouvant presque plus de haine pour Vilma, j’espère peut-être, en la voyant une dernière fois, qu’elle m’accordera son pardon. Ainsi, ma haine d’adolescent sera enterrée avec elle, pour ne laisser place qu’à la compassion des adultes.
Menant le cortège, Renatee, sa fille cadette Tawney et son fils Chadd, suivis d’autres gens que je ne connais pas, on nous conduit jusqu’à la tombe. Je me place entre Max et Marlon, un peu en retrait, tandis que le pasteur encense encore une fois le cercueil, en débitant quelques rapides prières. Qu’y a-t-il de plus à dire sur la défunte ? Nous sommes là pour l’honorer, tout du moins essayer de, et nous ne savons comment lui rendre hommage !
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