Fyctia
Chapitre 3 ADIEU
L’intermède bovin passé, les deux complices s’en retournent à leur mouton. Une victime à terrifier les attend, le corps endolori par plusieurs entailles, ressentant sa chair à vif. La sanction définitive va-t-elle bientôt tomber ?
– Passe-moi le couteau, demande le Cerveau. Je veux en finir.
La victime sent son sang ne faire qu’un tour. Elle va mourir…
– Attends, t’es pas à la bourre ! objecte le Bourreau. Et, puis notre amie adore ça.
– Tu m’énerves, à la fin ! Tu l’achèves ou t’as besoin qu’on te pousse ?
– Quoi, on est en train de la buter, non ? Ou alors c'est que tu veux ton lit ?
– Merde, que t’es lourd ! Je me fous de mon pieu, mais plus vite c’est réglé, mieux c’est. Alors ça te ferait mal de la tuer maintenant, cette pute ?
La pute en question les dévisage avec stupeur et anxiété, se demandant lequel allait se décider. Elle en oublie ce qu’elle leur avait fait par le passé pour qu’ils la haïssent autant. À nouveau, son bandeau glisse de sa bouche. Et, si elle tentait sa chance ?
– Tu n’es qu’un pion dans cette histoire ! lâche-t-elle dans un souffle, puisant dans ses quelques forces l’énergie nécessaire à l’élaboration de son idée. T’as la garantie… de ne pas finir comme moi après ?… Te laisse pas faire !… Je serais toi… je ne lui ferais pas confiance !… Relâche-moi, je te donnerai tout ce que tu veux…
Sa position de victime, elle le sait, ne l’autorise pas à ce genre d’effronterie, mais la visible mésentente entre les deux complices peut lui être favorable. Un affrontement possible l’épargnera peut-être, même si elle répugne à mendier sa libération. Elle tombe bien bas. Mais, son plan ne fonctionne pas, le Bourreau lui crache à la figure.
– Ferme-la ! fulmine-t-il en lui décochant une énorme gifle qui la fait se cogner à l’arbre. On ne t'a pas sonné, et je sais ce que j’ai à faire ! Si tu crois que je vais traiter avec toi, tu rêves, pauvre conne !
Le Cerveau esquisse un large sourire de satisfaction.
–Ta tentative pour nous monter l’un contre l’autre a échoué, ma belle. Comme toutes tes autres manigances de merde. Tu vas payer. Allez, passe-moi ce couteau.
Le Bourreau obéit, après une brève hésitation. Il regarde le Cerveau s’amuser à faire passer l’arme d’une main à l’autre.
– Avec laquelle vais-je te frapper ? La droite ou la gauche ? Suspense…
La victime, devenue muette, suit du regard la lame scintillante qui brasse l’air, alors que le Bourreau rit du vice de la situation. Elle ressent maintes poussées d’adrénaline quand le Cerveau fait mine de lui lapider le visage, en chantonnant. Et, subitement, elle vit le plus bizarre moment de son existence. Elle perd de vue le couteau, sentant comme une absence. Un calme étrange et inapproprié l’envahit. Comme si elle entrait dans l’acceptation de son sort avec sagesse, elle ne voit plus que la mort pour mettre un terme à ce long calvaire. Son énergie se vide, et elle met quelques centièmes de seconde avant de ressentir la lame pénétrer brutalement dans sa poitrine. La douleur l’électrise, pareille à si elle était foudroyée. Elle ne se voit pas à proprement parler mourir, sa conscience l’abandonne tout simplement, ne luttant plus contre l’épuisement, la souffrance et la fatalité. Le liquide rouge qui coule de sa blessure se répand sur le sol, formant une flaque épaisse.
Le Cerveau trépigne d’excitation, de petits soubresauts parsemant son corps, et un large sourire dévoile ses dents blanches au moment où il retire d’un coup sec le couteau du cœur de la victime. Le Bourreau s’approche pour contempler le corps sanguinolent, et pose un doigt sur sa jugulaire.
– Putain ! s’exclame-t-il. Elle est morte !
En effet, les yeux ouverts, aux pupilles dilatées, et le filet de sang sortant de sa bouche entrouverte témoignent de son dernier souffle.
– Et alors ? halète le Cerveau, les yeux brillants. C’est ce qui était prévu, non ?
– Ouais, mais il n'y avait pas le feu ! Et puis, t'avais dit que c’était moi qui le ferais !
– T’es vraiment trop con, tu pleurniches comme un gamin attardé ! Tu étais trop long, de toute façon. Mais, ça change rien, elle est morte, et c’est ce qui compte non ? Quand je déciderai de buter quelqu’un d’autre, je te ferai signe. Content ?
– Tu veux encore flinguer quelqu’un ?
Le Cerveau ne dit rien, demeurant évasif.
– Occupons-nous d’abord de ce paquet-là.
Le Bourreau délie les entraves retenant la dépouille et le corps inerte choit sur les pierres, roulant sur lui-même comme un ballot de chiffon. Les deux compères contemplent le spectacle, mais tous deux affichent une moue différente. Le Bourreau parait bizarrement gêné, alors que le Cerveau regarde avidement, sans dissimuler l’onctueux plaisir qu’il ressent. Au bout de plusieurs minutes de contemplation silencieuse, le Cerveau est pris d’une frénésie démesurée et se met à injurier le cadavre. Et, d’un coup, il se penche sur lui et le frappe encore et encore avec la lame. Le Bourreau reste tétanisé de stupeur, il y a une telle haine dans les coups portés qu’elle défigure le Cerveau et lui donne les traits de la bestialité. Face à cette scène d’épouvante, il croit bon de réagir.
– C’est bon, elle est morte !
– Je sais… Mais, ça sera plus drôle comme ça.
Drôle ? Le Cerveau a planté six autres coups, et la morte presque éventrée ne prête franchement pas à la drôlerie. Ils traînent le corps jusqu’à une vieille couverture et des draps sales, dans lesquels ils l’enveloppent avant de la saucissonner avec les cordes épaisses qui la liaient plus tôt au tronc de l'arbre. Une fois le sang poisseux recouvert de pierres et de feuilles, ils rangent chaque lampe torche dans un sac à dos, jeté à l’arrière de la Jeep. Les dernières finitions peaufinées, les deux complices saisissent le corps et le transportent à travers la forêt jusqu'à un énorme mur d'enceinte. Leurs pas les dirigent vers une porte en fer forgé dont la serrure est abîmée, toujours chargés du cadavre de la malheureuse, ils se rendent près de l'étang, où seules les grenouilles sont éveillées à cette heure nocturne. Le ciel s’éclaircissant annonce le lever du jour d’ici à une petite heure. Il faut donc se bouger le cul. Ils ne prennent pas la peine de lester le corps, le Bourreau traîne la victime dans les eaux tourbeuses de l'étang et s'y enfonce jusqu’à ce que le niveau de l’eau soit à son cou. Là, il lâche le paquet qui s’éloigne lentement vers l'autre rive, disparaissant pour un temps devant les yeux luisants du Cerveau.
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