Fyctia

Benjamin

La pluie s'est arrêtée, mais le ciel reste gris. Comme un rappel.

Chloé est, presque, étrangement calme. Je dis "presque" car depuis notre... rapprochement, dimanche, elle a étonnamment prit ses distances. Je ne peux pas lui en vouloir, après tout. Coucher avec une personne que l'on connait à peine, puis rester enfermer avec elle durant trois jours n'est visiblement pas dans ses habitudes. Dans les miennes non plus, du reste.

Tant mieux! cela prouve définitivement qu'elle n'est pas uniquement intéressée par ma notoriété, ni mon argent. Néanmoins, je ne suis pas dupe. Quand je fais le point sur les dix jours qui viennent de s'écouler, je me rends compte que nous n'avons que peu parlé. Chloé ne sait rien de moi ou de mon caractère, ni de ce que je cache au plus profond de mon âme. Je dois me faire une raison, ce qui c'est passé n'était que physique.

Pourtant, je craque littéralement pour cette fille à l'imagination débordante, avec ses histoires de Zombie et de cerveaux. De Trolls et de Christiano Ronaldo. Je crois que c'est cette dernière remarque qui m'a le plus fait rire! Trois jours. C'est le temps qu'il lui aura fallu pour de nouveau m'adresser la parole: ça m'avait manqué!

Et nous voilà embarqués direction Paris, dans un silence absolu. Lorsque j'ose un regard dans sa direction, Chloé a les yeux rivés sur le paysage. Je sais que l'un de ses amis s'est retrouvé à l'hôpital, toutefois elle ne m'a donné aucune précision. Je ne devrais pas. Je sais bien que je ne devrais pas, pourtant je souris en songeant que c'est nous qui avons faillit nous retrouver plusieurs fois à l'hôpital, ces derniers jours. Entre le presque incendie que ma "collègue de travail" à faillit provoquer et ses escapades dans les champs, d'où elle revenait tantôt trempée, tantôt en boitant... J'ai sincèrement eu peur que le calme de ma résidence secondaire soit troublé par les sirènes des pompiers.

Je crois que le pire était hier, lorsque Chloé —à moitié réveillée —, s'est dirigée droit vers le micro-onde tandis que Anouk se promenait sur le bord de l'évier. J'ai bondis droit dans leur direction et saisi le chat, craignant qu'elle ne le confonde avec son bol de café au lait. J'exagère peut-être, mais si vous auriez été à ma place, croyez-moi que vous en auriez fait de même. Malgré cela, une seule question me taraude. La question, l'éternelle question. Celle que je n'aurai jamais cru me poser un jour: "qui est cette fille"?

Chloé

Benjamin me lance des regards qu'il pense certainement discrets et je me force à river mes yeux sur les champs, en résistant à la tentation de me détourner pour voir ses magnifiques lèvres autrement que par le reflet de la vitre.

Le temps est changeant. Mon humeur, aussi. Je devrais ne penser qu'à Mikado, seulement à Mikado. C'est mission impossible. La vision des pâturages me renvoi aux bons moments passés à Melun. J'ai rarement été aussi heureuse de toute ma vie, et me voilà contrainte de quitter l'odeur de l'herbe fraîche pour la troquer contre l'air pollué de la capitale. Les nuages sont bas, gris, presque brumeux, et mon ventre se tord lorsque mon esprit en revient à mon meilleur ami. Dim va bien —heureusement—, mais Steph ne m'a rien dit concernant Mika, si ce n'est que les médecins craignent une commotion cérébrale.

Je tente de me rassurer en me disant que tous nos amis sont à ses côtés. Sév à même mit un terme à ses congés, pour s'occuper de lui. Mais une voix intérieure me susurre qu'elle n'est pas magicienne! Ce n'est pas avec sa gentillesse ni son sourire, qu'elle va faire des miracles. Mon téléphone vibre entre mes cuisses. C'est Steph:

—Tu arrives bientôt?

Je reporte mon regard sur la route. Nous sommes entrés dans Paris, pendant que j'étai plongée dans mes pensées.

—Dix minutes, affirmés-je.

—Sûr?

—Commence pas à me gonfler, Steph.

Je l'entends glousser derrière son téléphone.

—O.K. à de suite!

Ce que j'avais pris pour un rire nerveux —Steph glousse toujours lorsqu'elle panique—, n'en n'était pas un. Son "O.K. à de suite" était bien trop limpide, pour que ce soit le cas.

Elle raccroche et mes épaules se délestes automatiquement d'un poids, même si je ne sais toujours pas dans quel état je vais retrouver mon petit Mikado.

Benjamin a les yeux rivés sur un feux tricolore qui, bien sûr, est passé au rouge à notre approche. Légère, je m'autorise enfin à attarder mon regard sur sa mâchoire. Elle est tendue, au point que ses pommettes jaillissent. Il a dû sentir mon regard persistant, car Benjamin détourne légèrement le menton. J'ai un geste de recul, comme une petite fille surprise la main dans le sac.

—Je t'accompagne, lance-t-il les dents serrées.

Je le toise un instant, incrédule, mon cerveau tentant d'analyser l'expression de son visage. "Enfin, si ça ne te dérange pas", ajoute Benjamin en repointant le menton sur la route. Je l'imite en soufflant.

—C'est gentil... mais je ne voudrais pas que tu...

—Ça va aller, assure-t-il tandis que ses yeux se plissent.

Je lui lance un "O.K" et le feux repasse au vert.