Fyctia

Ça a aller, ça va aller, ça va …

— Chloé! Bouge ton gros cul !

Ça, c’est ma nouvelle amie et coloc, Steph, qui tambourine sur la porte de la salle de bain. Mieux vaux que je lui réponde, sinon elle va passer à travers  !

—Deux minutes !

Qu’est-ce que je disais, déjà ? Ah oui. Que ça va aller.

Je me répète cette litanie jusque devant le miroir. Mais c’est plus fort que moi, je stresse. Et quand je stresse… Bref, vous verrez.

— Je n’ai rien oublié ? Je n’en ai pas l’impression.

J’ai mis un pantalon ? Je baisse automatiquement les yeux vers mes cuisses : Oui ! c’est toujours important un pantalon. J’ai mis ma chemise en coton. La grise avec des gros carreaux noirs. Une chemise de mec. Une chemise de bûcheron, comme le disent Steph, Mikado, Dim et Séverine. Mes colocs. Qu’importe. C’est mon look, et en plus, c’est ma chemise porte-bonheur. J’attrape la précieuse pochette en carton dans laquelle j’ai fourré mon scénario et jette un dernier coup d’œil : Tout est là, dans ce petit bout de carton. Le Pitch, le synopsis, le séquencier et le traitement… Et même une ébauche de continuité dialoguée ! En bref, plus de miles pages pour lesquelles j’ai consacré une année et demi. Je fourre mon téléphone ainsi que mes clefs dans mon jean avant de sortir de la chambre.

— Hey ! J’y vais !

— O.K, à plus !

Comme à son habitude, Dim ne décroche pas les yeux de l’écran. Il pourrait y avoir une guerre nucléaire dans le salon, qu’il ne quitterait pas sa manette pour autant. Ah, les mecs et leurs manettes ! C’est leur rituel du week-end : passer la journée devant l’écran, le cul sur la canapé, à côté du frigo. En revanche, à la nuit tombée, Dim est capable de « pister » une fille sur plusieurs kilomètres ! Non, vraiment. Je l’ai déjà vu à l’œuvre !

D’ailleurs, alors que Môsieur Dim n’a pas bronché d’un millimètre pour me dire « aurevoir », le voilà qui a les yeux rivés sur la belle blonde qui vient de sortir de la douche. Plus précisément, sur la serviette qu’elle porte autour de la poitrine. Il la fixe, comme si ses yeux étaient pourvus d’une fonction « rayon-x ».

— Je ne fais que passer, affirme Steph en traversant le salon.

Elle ferme la porte de sa chambre derrière-elle, et Dim replonge ses yeux sur l’écran de la TV.

— Attend, bichette !

Mika, alias Mikado à cause de ses doigts aussi longs et fins que les Dreads qu’il porte fièrement au sommet de son crâne, est le seul à daigner quitter le canapé. Évidemment, Dim râle. J’imagine que Mika a dû mettre le jeu en « pause ».

— Et… merde ! Lâche Mikado en m’offrant un de ses plus beaux sourire.

Je lève une main dans sa direction, et on se lance dans un salut rituel, digne des mouvements de la macarena. Sauf que notre « salut » se termine avec un claquement de doigt par-dessus la tête. Oui, bon, OK… c’est pas ouf, mais c’est notre truc !

—Amuse-toi bien ! Dis-je à mon ami, après avoir remis mes lunettes en place.

C’est pas pour dire, mais c’est du sport de « macarener » avec un type qui fait deux têtes de plus que moi ! Au point que j’ai faillis en perdre mes lunettes.

—Ouais, c’est pas de l’amusement, c’est un massacre ! Hurle Mikado pour se faire entendre de Dim.

Ce dernier a croisé les bras sur sa poitrine, attendant que Mika retourne jouer. Dim souffle un « pff… ramène-toi, pour voir », et Mika éclate de rire.

—Ah, au fait !

Mikado tire un bout de papier argenté de sa poche et le glisse dans ma main gauche. Je le toise un instant. Il vient de me filer une capote, ou je rêve ? Attendez… mais il a crû que je vais faire quoi, là ? Sérieusement, est-ce que j’ai l’air d’une p...

—Au cas où tu stresse, précise-t-il.

Je retrouve mes esprits, alors que Mikado sourit sous sa barbe brune, type Hipster. Du Chewing-gum !

—Si tu sens que tu perds pied, mâchonne ça. Ça t’évitera de partir dans tous les sens.

Il me connaît trop bien !

Les routes sont dégagées, ce qui est étonnant pour un samedi. Mais je ne vais pas me plaindre. J’ai rendez-vous à 14 heures, du coup je suis même presque en avance. Le bureau de Mme Caroline Tillier, une des meilleures agents littéraire de la capitale, se trouve à l’autre bout de la ville, non loin des studios et plateaux télé des plus grandes chaînes nationales. Je me gare le long d’un trottoir et embrasse l’horizon du regard.

J’ai l’impression d’être dans un de mes rêves de petite fille !

Derrière le bureau d’accueil, une très jolie brune m’adresse un sourire convenu. Ses petits yeux marron me fixent alors que je pose ma pochette sur le marbre. Elle détaille ma tenue. Je sais que je n’ai sans doute pas le look classique qu’arborent les gens qui viennent dans ce genre d’endroit, mais je m’en fiche ! Je range une mèche rebelle derrière mon oreille.

—J’ai rendez-vous avec Mme Tillier, dis-je avec un semblant d’assurance.

Elle scrute un instant son écran, avant de revenir vers moi.

—Elle termine un rendez-vous, puis elle va vous recevoir, affirme-t-elle. Mais, vous pouvez patienter dans la zone d’attente.

Je lève un sourcil interrogateur. Elle pourrait préciser un peu, non ?

—Deuxième étage, puis première porte sur votre gauche, m’indique-t-elle. Enfin.

L’ascenseur me conduit jusqu’au deuxième étage. Oui, je fais ma feignasse me direz-vous. Mais je joue gros avec ce rendez-vous et mes genoux s’entrechoquent déjà. Croyez-moi, il est préférable que j’évite les escaliers ! Je profite de mon trajet en ascenseur pour faire un point mental, tout en m’assurant que le chewing-gum est toujours dans ma poche.

La porte s’ouvre et je me retrouve dans un petit couloir. Il ne paie pas de mine, mais j’aime bien la déco faite de bois vernis et de petits tableaux, modernes et colorés. J’avance lentement en passant mon regard sur les petits détails décoratifs, comme cette espèce de vase en verre rouge, représentant un poisson. Une carpe, je crois. Ma contemplation s’arrête là. La porte que m’a indiquée l’hôtesse ne se trouve qu’à quatre ou cinq mètres de l’ascenseur, et s’ouvre sur un petit homme au crâne lisse.

—Demain matin, à la première heure, lui ordonne une voix féminine et stricte.

—Ouais, ouais, ouais… baragouine l’homme en se dirigeant tout droit sur l’ascenseur.

Il me frôle et je me décale juste avant qu’il ne me percute. Il ne s’excuse même pas !

—Mademoiselle Carrio, je présume.

—Bonjour Sophie. Caroline est là ?

Sophie m’adresse un sourire gêné, lorsqu’elle pose les yeux sur moi. La petite brune était plongée dans la lecture d’un « Voici », ou de je ne sais quel torchon se présentant comme médiat. Ses joues sont devenues rouge-tomate. Elle bredouille un « oui », et je la laisse retourner à sa lecture. Ça fait trois jours que Caroline évite consciencieusement tous mes appels et je dois être à la salle dans à peine une heure.

Depuis l’accueil, la petite voix de Sophie marmonne quelque chose que je ne comprends pas. Mes yeux sont rivés sur l’ascenseur et déjà ma poitrine me fait mal.