Fyctia
Jeu, set & match
Gâteau au chocolat. Fondant et moelleux. Tout ce qu'il me faut pour évaporer le brin de nostalgie qui venait à peine de s'emparer de moi.
Rien qu'à l'odeur qui provient de la cuisine familiale, je reconnais le gâteau de mon enfance.
Je fais à peine deux pas dans son antre, que ma mère claque un tiroir et se cogne trois fois contre le meuble en bois de la cuisine.
- Oh, déjà là ma pepette ?
Je sens une pointe de panique dans sa voix.
OK, rien de transcendent. A chaque visite c'est la même chose.
Ma mère est une femme férue de lectures sentimentales. Elle est donc ma première fan, ce qui va de soi, bien entendu. Mais elle s'obstine à ne pas vouloir me dire quels autres auteurs elle lit. Elle croit me vexer si j'apprends qu'elle bouquine d'autres romances.
C'est ridicule.
Le monde de l'édition est petit. Les romances qui sont sur le devant de la scène actuellement, la partage avec moi. Je connais donc mes concurrents mieux que personne et étonnamment je n'en ai pas peur. J'avance avec. C'est comme ça qu'on progresse. Et surtout on est tous différents. Dans notre vécu, dans nos peines ou nos rancœurs, nos bonheurs et notre inspiration.
Mon succès n'est dû qu'à mon vécu et ce que j'ai transmis de ma plume. C'est ma fierté.
J'embrasse ma mère et la serre dans mes bras. J'en profite aussi pour ouvrir délicatement le tiroir derrière elle et m'emparer du précieux sésame.
Quand je fonce à l'autre bout de la pièce comme une gamine, elle baisse les épaules et s'écrie :
- Oh non...Sofia...
Ah tiens, ce n'est plus pepette tout à coup ?
- Voyons voir...
Je fronce les sourcils et lit à voix haute le nom de l'auteur en question.
- Vietra Taylor. Très bon choix maman
Elle hausse les épaules et lève les yeux au ciel. Elle est trop mignonne. Et à ce moment je sais qu'elle va me sortir que le synopsis est sympa mais que le contenu l'a déçoit. Alors qu'elle le dévore. Même en faisant la cuisine.
Hilarant.
Elle esquisse un geste machinal comme si elle chassait une mouche.
- Rho...tu sais, un synopsis aguicheur, comme d'habitude. Mais alors le contenu...
Sa moue dubitative forcée me fait sourire.
- Navrant. Mièvre, vu et revu...pas terrible.
Il faut juste que j'éclaircisse un point : Vietra Taylor est l'une des auteures de romances les plus connues du lectorat féminin actuel. Elle en est à son cinquième roman. Elle doit sa puissante renommée à sa plume, plus qu'ambitieuse dans un renouvellement de la romance moderne, mais aussi notamment dans le mystère qui plane autour de son identité. Ses fans en sont charmés et elle entretient son anonymat avec la plus grande des précisions.
Alors, savoir que ma mère n'aime pas son dernier best-seller, elle qui est fan de ce genre d'histoires, m'attendrit au plus au point.
Que ne ferait-on pas pour ses enfants ?
Là, c'est clair, je n'ai qu'une envie c'est de la prendre dans mes bras. Pour de bon cette fois.
Ma nostalgie ne m'ayant pas totalement quittée, c'est ce que je fais. En prime, je lui susurre :
- Tu sais que je t'aime maman ?
20h45
Engoncée dans ma robe fourreau noire (taille 40, pour vous dire que je suis serrée!) je descends de la voiture de mon père telle une princesse des temps modernes. Sur les bons conseils de mes gazelles j'ai opté pour une tenue du soir, chic mais confortable. Seuls mes talons de dix centimètres me font souffrir le martyr mais c'est pour la bonne cause.
Ce soir, la star, c'est moi, n'est ce pas ? Et même si j'imagine cette soirée en joyeuse bouffe entre villageois, j'avoue que mon excitation est à son comble.
Quand j'entre dans la salle communale, je pose le regard sur la décoration. On peut dire que ma mère, en tant que Présidente du Je-ne-sais-quoi des commerçants, n'a pas lésiné sur le tape à l’œil. Je me sens tout à coup beaucoup plus à l'aise dans mon accoutrement "Spécial Tapis Rouge" et mon souffle se calme peu à peu.
Si de l’extérieur, la salle ressemble à une vulgaire salle des fêtes, l'intérieur me laisse sans voix. L'ambiance est feutrée, les tables, rondes, sont couvertes de nappes blanches avec à leur centre des bouquets d'iris magnifiques. Les personnes déjà présentent sont toutes sur leur trente et un.
J'ai l'impression d'être à un gala de charité (c'est bien le mot qui convient en effet !) comme on en voit dans les séries de télé américaines.
Oui, oui un vrai remake des Feux de l'Amour !
Pas croyable !
Soudain, mon cœur rate un battement. Léo, à l'entrée, s'immobilise et me cherche du regard.
En costume marine, chemise blanche, sans cravate (je déteste les cravates !) il s'approche de moi. Il est sexy à en tomber. Sa légère barbe naissante lui donne une allure décontractée sans trop en faire et ses cheveux en bataille encore légèrement mouillés me donne l'envie folle d'y passer mes doigts.
Il avance vers nous, salut rapidement ma mère et se retourne vers moi.
- Sofia...
Son regard est franc. Le mien vacille. Et c'est fière de mon allure, que j'enchaîne :
- Léo...
Plus rien ne semble exister autour de moi, que Léo et ses yeux verts d'eau. C'est sans compter sur une dame rondelette et aux cheveux grisonnants qui vient à mon encontre :
- Sofia, contente de te voir ! Qu'est-ce que tu deviens ?
Euh ? Mon égo ? Oui, je le cherche, car là il en prend un sacré coup dans l'aile !
Et ça va s'enchaîner toute la soirée.
"Tu écris quoi exactement ?"
"Ah non, je ne connais pas."
"C'est ton métier ?"
Et le pire de tous :
"Tu es connue ?"
J'ai un peu de mal à réaliser.
Mon moment de célébrité n'est qu'un leurre.
Et même quand je monte sur la petite estrade de bois, recouverte d'un tissu de velours rouge pour l'occasion, afin d'émettre quelques mots sur l'association, je me rends compte qu'ici je ne suis que Sofia. La fille de Cathy et Jean.
La pepette un peu frivole d'il y a dix ans.
Hum, douche froide. Ça on peut le dire ! En même temps je m'attendais à quoi ?
Oui je sais, à ne surtout pas être reconnue à une soirée moules/frites. Mais quand même.
Bizarrement ça me touche. Ou ça me vexe. Je ne sais pas encore vraiment.
Alors, quand à minuit passé, le dessert n'est pas encore servi, je m'éclipse quelques minutes prendre l'air près du ponton qui surplombe le ru du village.
Dans un sursaut de réseau, qui n'est pas celui d'une grande ville, mon portable accueille un nombre incalculable de messages en tout genre.
Et un mail d'Al.
Avec comme objet : URGENT.
Je n'est pas le temps de le lire, car je sens des pas approcher derrière moi dans la pénombre. Adossée à la barre en bois du ponton, dans l'air silencieux, je ne tressaille pas.
Je sais de qui il s'agit.
- Alors, tu vois que rien n'est acquis.
Rrrr...Qu'il m’agace avec ses leçons de vie à la con !
Touchée, coulée ma Soso !
Ah ! Non.
Le Ratafia aidant, je prépare ma victoire du bout des lèvres.
Il ne va pas être déçu !
Jeu, set et match.
La partie est terminée, marre de jouer.
Et puis, de toute façon je n'ai jamais aimé le tennis.
28 commentaires
zélia louise
-
Il y a 7 ans
liaflandes
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
SFANS
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
SFANS
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
Audrey Woodhill
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
yuka s.whelsa
-
Il y a 8 ans