Fyctia
Révélations : L'étrange vision
Après sa conversation avec dame Ledelian, Estrella ne parvint pas à trouver tout de suite le sommeil. Elle se tournait et se retournait dans son lit, malgré son épuisement. En quelques minutes, elle avait découvert plus de raisons de s’angoisser que certaines personnes dans une vie entière.
En désespoir de cause, la jeune fille décida de lire un peu pour oublier ses frayeurs. Elle s’assit et tâtonna pour chercher le bouton de sa lampe, qui brûlait si faiblement qu’elle n‘émettait qu’un vague halo orangé. Soudain, une lueur attira son regard, comme un bref miroitement argenté. Probablement un effet d’optique, après avoir contemplé la maigre flamme de la lampe. Elle se frotta les yeux pour dissiper cette vision, en vain.
Estrella plissa les paupières, pour tenter de mieux discerner cette lumière insolente… n’était-ce pas… un papillon ?
Bastian ?
Elle secoua la tête, incrédule. Même si la conscience de Bastian avait pu s’attarder un moment, elle avait dû s’enfuir depuis lors. Malgré tout, elle éprouva le besoin de s’adresser au garçon que le destin avait si injustement traité.
— Je suis désolée, Bastian… Nous n’avons rien fait pour mériter cela, ni toi ni moi…
Elle ferma les yeux et se laissa aller sur ses oreillers, en espérant que son épuisement aurait enfin raison d’elle. Pourtant, son esprit demeurait bizarrement alerte. Elle sentit une présence ténue effleurer sa conscience, comme une aile de papillon. Dans son sillage, des émotions étrangères semblaient éclore.
Tristesse, mélancolie, regret…
Un soupçon de colère, qui peu à peu s’intensifia pour se transformer en un sentiment de rage profonde…
Un jeune garçon était assis sur le sol dallé, les mains en arrière, comme s’il avait essayé d’amortir sa chute après avoir été violemment poussé. Ses longs cheveux blonds voilaient à demi son visage, qui portait une expression de confusion totale. Ses grands yeux d’or étaient écarquillés par une surprise chagrinée.
« Laisse-le où il est, susurra une voix à son oreille. Il ne représente rien pour toi. Sa présence t’a été imposée ! Tu ne veux pas te débarrasser de ce parasite ? »
Une autre paire d’yeux observait la scène. Larges, en amande, couleur de miroir...
Estrella s’éveilla brusquement, surprise par ce songe aussi étrange qu’intense.
Était-ce réellement un rêve ?
***
Le reste de la nuit se déroula sans incident. Enfin, Estrella plongea dans un sommeil profond. Une fois encore, ce furent des coups frappés à sa porte qui l’éveillèrent brusquement. Elle entrouvrit les yeux et grommela un « qui est-ce » à peine articulé.
— Mademoiselle Estrella ! Il faut vite vous préparer ! Vos parents ne vont pas tarder à arriver !
Elle reconnut sans peine la voix de sa gouvernante. La brave femme avait retrouvé son affolement quasi perpétuel. La jeune fille se demanda si la mage Bleue avait relâché une partie de son emprise sur elle.
Estrella n’avait qu’une envie, celle de fourrer la tête sous son oreiller et ignorer les échos paniqués qui lui parvenaient à travers le battant. Elle en venait presque à souhaiter que le train qui amenait Francis et Amée d’Outremont tombe en panne en rase campagne, en les bloquant pour l’essentiel de la journée. Hélas pour elle, en contrepartie des dons qui lui avaient été rendus, la chance avait décidé de lui tourner le dos. Au moins se sentait-elle plus reposée que la veille.
Avec effort, la jeune fille repoussa les draps brodés et l’épais couvre-lit de velours. Sans se donner la peine d’enfiler ses mules, elle gagna la porte ; quand elle l’ouvrit, elle découvrit sans surprise une madame Maysie aussi inquiète qu’excitée, un état quasi constant en ce qui la concernait.
— Tout va bien, madame Maysie ? demanda-t-elle avec une sollicitude non feinte, en tentant de démêler avec ses doigts sa chevelure malmenée par la nuit ?
La petite femme boulotte la gratifia d’un sourire reconnaissant :
— Tout va bien, mademoiselle, merci de vos attentions ! Je dois avouer que j’ai eu… comme des absences, ajouta-t-elle en fronçant les sourcils. Je ne me souviens plus très bien de l’arrivée de nos invitées… Je ne me rappelais pas que vos parents avaient prévu la visite de personnes si prestigieuses...
Estrella ravala sa culpabilité à l’égard de la gouvernante. Même si elle n’était pas celle qui avait joué avec son esprit, elle n’approuvait toujours pas l’attitude de dame Ledelian. Ses trois années en tant qu’incolore l’avaient sans doute rendue plus compatissante envers les Ternes qui représentaient l’essentiel de la population de Reyliss.
Elle tapota affectueusement le bras de la brave femme :
— La fatigue, très probablement. N’ayez aucune inquiétude, vous avez fait tout ce qu’il fallait pour qu’elles soient reçues au mieux !
— Pas vraiment, non… Je m’en veux encore d'avoir logé le jeune monsieur Aurean dans une pièce à peine bonne pour un domestique… Bien entendu, j’ai tout fait pour réparer cette erreur. Je l’ai installé dans la chambre verte !
La chambre d’ami, à laquelle une tapisserie couleur émeraude donnait son nom, se situait dans le même couloir que celle d’Estrella. La jeune fille se demanda si la gouvernante avait été habilement conseillée par son « invitée de marque ».
Elle baissa les yeux vers son poignet, où un bracelet d’argent dissimulait le cercle de lumière. Même si c’était un cadeau de sa mère, elle ne l’avait jamais vraiment aimé ; elle l’avait toujours trouvé trop large, pas assez délicat à son goût. Elle n’aurait jamais cru pouvoir l’apprécier un jour.
— Vous avez bien fait, murmura-t-elle à contrecœur. À présent, vous devriez vous reposer et laisser faire Sofie et Millie.
— Mais vos parents… Que penseront-ils si je ne prépare pas la maison pour leur arrivée ?
— Je crois que mes parents auront d’autres sujets de préoccupation, répondit-elle sombrement.
Elle se reprit aussitôt : ce n’était pas le moment de plonger madame Maysie dans la panique !
— Et si vous m’aidez à m'apprêter ?
À ces mots, les yeux de la gouvernante se mirent à pétiller. Même si ce genre d’activité ne faisait pas partie, en théorie, de ses responsabilités, elle adorait jouer les femmes de chambre auprès de la jeune fille. Estrella s’assit à sa coiffeuse ; madame Maysie commença à lui brosser les cheveux. Pendant ce temps, elle laissa ses pensées vagabonder.
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