Fyctia
Révélations : visions futures
Estrella se redressa dans son fauteuil pour apercevoir Aurean, revêtu d’une simple chemise blanche et d’un pantalon beige, les cheveux encore humides. La jeune fille se sentait un peu coupable de l’avoir pris pour cible, même sans le vouloir, mais le Gardien ne semblait pas le lui en tenir rigueur. Son arrivée inopinée et sa remarque portaient sur les nerfs d’Estrella, mais elle ravala une réponse mordante. Elle percevait la tristesse intense qu’il le tenaillait après ses épreuves et la disparition de Bastian, sans compter ses difficultés à se réadapter à l’univers d’Erastria. Sans doute cherchait-il – certes maladroitement – un peu de soutien.
Elle ferma les yeux en soupirant.
L’Académie des Sept Couleurs…
Un rêve inatteignable, qui d’un coup, était devenu réalité.
Estrella avait le sentiment que, comme Aurean, elle s’était éveillée d’un long sommeil. Et ce qu’elle allait trouver à son retour dans le monde ordinaire l’effrayait et la fascinait à égale mesure.
***
Le reste de la journée se déroula dans le calme. Aurean se retira pour discuter avec Azura de questions lucidiennes, ce qui n’était pas pour déplaire à Estrella. Elle ne pouvait s’empêcher de se demander quel était leur lien, à Lucid : collègues ? Amis ? Frère et sœur ? Ou... quelque chose de plus intime ? Elle éloigna cette interrogation de son esprit. Ce n’était pas son affaire.
Encore fatiguée par ses péripéties nocturnes, la jeune fille s’octroya une longue sieste, dont elle émergea la tête lourde, mais un peu plus reposée. Malgré tout, un épuisement profond, que dame Ledelian attribuait à son premier usage de la magie, la rattrapa vite. Elle partit se coucher juste après le dîner.
Elle avait posé son livre et s’apprêtait à éteindre la lumière quand elle entendit quelques coups discrets contre sa porte. Elle se leva en maugréant pour ouvrir, s’attendant à voir madame Maysie qui venait s’assurer qu’elle allait bien. Elle découvrit à sa place dame Ledelian, qui lui adressa un sourire un peu tendu :
— Est-ce que je peux entrer, Estrella ?
— Bien sûr, murmura-t-elle en s’écartant pour livrer passage à la préceptrice.
Après avoir regardé autour d’elle, la visiteuse se dirigea vers le fauteuil près de la fenêtre, alors qu’Estrella s’asseyait sur son lit. La jeune femme observa un temps de silence avant d’annoncer :
— Vos parents arriveront demain en fin de matinée, par le train.
Elle marqua une pause avant d’ajouter, d’un ton plus grave :
— Ils seront accompagnés par ceux de Bastian.
— Les parents de Bastian…
Estrella se mordilla la lèvre, pensive. Aurait-elle la force de leur parler, de leur raconter ce qu’elle avait trouvé dans la crypte ? Devait-elle leur mentionner le papillon argenté qui l’avait guidée jusqu’à la prison qui avait retenu leur fils et son frère adoptif durant deux longues années ? Dame Ledelian dut deviner ses interrogations. Elle se pencha pour poser une main sur l’épaule de la jeune fille :
— Vous n’aurez pas besoin de leur donner trop de détails, Estrella. Ils savent déjà l’essentiel. Maintenant que la faille de réalité a disparu, ils voudront surtout voir l’endroit où leur fils a rendu son dernier souffle, à défaut de pouvoir lui offrir une sépulture.
La jeune fille songea à la trace de poussière scintillante qui représentait tout ce qu’il restait d’un garçon de son âge, doté de dons considérables et d’un talent qui ne l’était pas moins. Une cruelle ironie avait voulu qu’il se volatilise dans la crypte où reposaient ses ancêtres.
— Et s’ils me demandent comment je l’ai retrouvé ?
— Dites la vérité. Que vous vous êtes sentie attirée par la résonance magique d’un sort qui se délitait.
Ce n’était pas exactement ce qui s’était passé, mais Estrella n’avait confié à personne l'existence du papillon argenté, même pas à Aurean. Une autre pensée traversa son esprit :
— Et pour Aurean, murmura-t-elle d’une voix inquiète, ils étaient au courant… pour sa nature ?
Après tout, la présence du gardien sur Erastria était considérée comme illégale.
— Bien sûr, ils le savent. Cela aurait été difficile de le leur dissimuler.
— Mais… Ils le présentaient comme leur fils adoptif, non ? Est-ce qu’ils ne vont pas vouloir qu’il habite avec eux ?
Même si le fait de revenir dans la demeure de son enfance, à Reylissane, l’effrayait un peu, celle de devoir vivre chez de parfaits inconnus, dans le souvenir d’un mort, la terrifiait littéralement.
La préceptrice esquissa une grimace :
— N’ayez aucune inquiétude à ce sujet. Ils seront ravis de le voir emménager sous votre toit. Disons qu’ils ont toujours considéré Aurean comme… un mal nécessaire.
L’expression sembla rude à Estrella, mais elle avait le mérite de bien situer les choses, et en un sens, elle s’en sentit soulagée. Par contre, comment Amée et Francis d’Outremont réagiraient-ils en apprenant qu’ils allaient devoir héberger un étranger… qui plus est, pas totalement humain ?
— Est-ce que mes parents seront mis au courant eux aussi de sa véritable nature ?
Dame Ledelian garda le silence un moment ; la jeune fille avait le sentiment que sa question l’avait prise de court.
— Nous verrons cela en temps voulu, répondit la préceptrice avec un sourire un peu crispé.
Estrella fit la moue. Ces paroles évasives ne firent que confirmer ses soupçons concernant son père : Francis devait en savoir bien plus qu’elle n’avait pu le croire. Puisque ce sujet semblait un sensible, elle décida de passer à quelque chose de moins épineux :
— Est-ce que je vais vraiment pouvoir intégrer l’académie ?
Ledelian croisa ses longues jambes et haussa un sourcil étonné :
— Pourquoi ce ne serait pas le cas ?
La jeune fille baissa le regard vers ses mains, crispées sur ses genoux :
— Tout le monde y entre à treize ans. J’en ai seize…
— Ce n’est pas un problème. Il arrive fréquemment que des Compagnons l'intègrent un peu plus tard, s’ils n’ont pas été tout de suite repérés. Je ne vois pas pourquoi on ne vous offrirait pas cette possibilité.
Estrella ouvrit de grands yeux affolés :
— Je vais me retrouver dans la même classe que des enfants !
La préceptrice éclata de rire et se pencha pour poser la main sur son épaule :
— Allons, ne vous inquiétez pas pour cela ! Je ferais en sorte que vous puissiez entrer directement la quatrième année à la rentrée prochaine ! Nous profiterons de l’été pour vous donner une formation de rattrapage. Qu’en pensez-vous ?
— Ça me semble parfait ! répondit la jeune fille avec soulagement. Mais quand vous dites « nous »… de qui parlez-vous ?
— Je vous apprendrai les bases sur la nature de la Lumière et son utilisation. Pour le reste, vous serez confiée à notre précepteur de l’École jaune, Alleman de Veritas.
— L’école de Transfiguration ?
— En effet. Après tout, c’est la Lumière que vous avez spontanément employée. Sans oublier le fait que vous êtes liée au Gardien d’Or.
Estrella esquissa une petite grimace : elle n’était pas particulièrement coquette, mais l’idée de porter un uniforme jaune n’avait rien de bien attractif.
1 commentaire
Caro Handon
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Il y a 3 ans