Fyctia
Chapitre 10 : POV Adam
Je repose lentement la coupure, comme si elle brûlait entre mes doigts. Tout prend soudain sens. Ce ranch, ces terres, ce n’est pas juste un héritage matériel. C’est tout ce qui lui reste de sa famille.
Une pointe de respect, mêlée de tristesse, s’installe en moi. Derrière sa façade froide et forte, Isabelle porte un poids immense. Tout ça, elle le gère seule, avec une force qui me dépasse.
— Vous fouillez dans ma vie maintenant ?
Je sursaute. Isabelle est revenue, silencieuse comme une ombre. Elle se tient dans l’encadrement de la porte, les bras croisés, son regard dur. Mais il y a autre chose. Une vulnérabilité qu’elle tente de cacher, sans succès.
— Je ne voulais pas... je commence, mais les mots meurent dans ma gorge.
— Vous pensiez quoi ? Que j’étais juste une fille bornée accrochée à un vieux ranch sans valeur ?
Je reste silencieux. Elle soupire, son regard s’adoucissant légèrement.
— Ce ranch, c’est tout ce qui me reste d’eux, murmure-t-elle, presque pour elle-même. Je ne m’attends pas à ce que vous compreniez.
— Je comprends plus que vous ne croyez, dis-je doucement, surpris moi-même par la sincérité de mes mots.
Elle me fixe, un instant d’hésitation dans ses yeux. Puis elle détourne le regard.
— Habillez-vous chaudement. Si vous êtes encore là quand je rentre, on va voir ce que vous valez vraiment, Castle.
Et sans attendre de réponse, elle disparaît à nouveau, me laissant seul avec mes pensées... et une nouvelle image d'elle que je ne peux plus ignorer.
Quand nous arrivons à CrimsonHills, je plisse les yeux, surpris. Je m'attendais à un endroit abandonné, balayé par le vent, mais non. La ville, bien que petite, est bien vivante. Des volutes de fumée s’échappent de quelques cheminées, et quelques habitants circulent, emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver.
— Pas si désert que ça, murmuré-je, plus pour moi-même.
Isabelle, à mes côtés, reste silencieuse, son regard fixé droit devant. Elle semble connaître cet endroit comme sa poche. Nous avançons à travers la rue principale où s’alignent quelques bâtiments. Une boulangerie dégage une odeur de pain chaud, presque irréelle dans cette atmosphère glaciale. À côté, une épicerie avec une vitrine chargée de produits locaux. Plus loin, une église en pierre grise domine l’ensemble, son clocher semblant veiller sur la ville.
— C’est toujours comme ça ici ? demandé-je en regardant les maisons dispersées au-delà du centre. Calme, mais… vivant ?
Isabelle hoche la tête, ses yeux parcourant les lieux avec une certaine nostalgie.
— Les gens de CrimsonHills sont des durs à cuire. Beaucoup sont restés après la tempête qui a emporté mes parents. Ce coin leur appartient autant qu'à moi.
Elle s’arrête devant une petite maison en bois, dont la peinture s’écaille par endroits. Une vieille enseigne grince au-dessus de la porte : Forgeron.
— C’est ici que je dois aller, dit-elle, la voix plus douce. Vous pouvez faire un tour, si vous voulez.
Je la regarde un instant avant de hocher la tête. Curieux, je m’éloigne, laissant mes pas me guider. Chaque maison semble raconter une histoire. Des rideaux tirés, des jardins endormis sous la neige, des traces de vie discrètes mais indéniables.
Devant la boulangerie, une vieille femme sort avec un sac de pain sous le bras. Elle me dévisage un instant avant de sourire.
— Vous êtes nouveau ici, n’est-ce pas ?
Je hoche la tête, un peu pris au dépourvu.
— De passage, ajouté-je.
— Avec Isabelle, je parie. Elle hoche la tête avec un air entendu. Cette fille… Elle porte tout ce fardeau toute seule. Prenez-en soin, jeune homme.
Ses mots me laissent sans voix. Elle s’éloigne avant que je puisse répondre, me laissant seul avec cette étrange impression : dans ce coin perdu, même les étrangers semblent connaître la force invisible qui lie les gens à cette terre… et à Isabelle.
Je sors de la boulangerie et tombe nez à nez avec Michaela.
— Bonjour, roucoule-t-elle d’une voix douce.
— Bonjour, la salué-je un peu froidement.
— Vous, vous vous êtes levé du mauvais pied, me fait-elle remarquer.
Peut-être.
— Non, je réponds, piqué au vif. J’ai juste…mal dormi.
Sans que je ne comprenne pourquoi, Michaela part d’un grand éclat de rire.
— Isa m’a raconté ce que vous avez fait hier, dit-elle entre deux rires. Ça a dû vous changer de vos bureaux douillets et confortables.
Je fronce les sourcils, un peu agacé par son rire cristallin qui résonne encore dans l’air froid. Michaela croise les bras, un sourire malicieux aux lèvres, ses yeux pétillant d’amusement.
— Je suis surpris qu’Isabelle ait pris le temps de parler de moi, dis-je, essayant de garder mon calme.
— Oh, elle n’a pas tari d’éloges sur vos talents… Elle marque une pause, l’air faussement sérieux. ... inexistants avec un marteau et des clous.
Je roule des yeux, sentant mes joues chauffer malgré le froid. Pourquoi chaque interaction ici me donne l’impression d’être un gamin maladroit sous le regard moqueur de gens bien plus solides ?
— Je ne suis pas venu ici pour des vacances, répliqué-je. Je fais de mon mieux.
— C’est ce qu’Isa a dit aussi, répond-elle, son sourire s’adoucissant légèrement. Elle a juste oublié de mentionner les jurons que vous lâchiez toutes les deux minutes.
Je laisse échapper un petit rire malgré moi, et Michaela semble satisfaite de sa petite victoire. Elle s’avance, me fixant droit dans les yeux.
— Vous savez, Adam… Isa n’est pas du genre à demander de l’aide. Si vous êtes là, c’est qu’elle a vu quelque chose en vous. Alors… Arrêtez de vous comporter comme si vous aviez quelque chose à prouver.
Ses mots me surprennent, et je reste silencieux, cherchant quoi répondre. Avant que je ne trouve quoi dire, elle me donne une tape amicale sur l’épaule.
— Allez, retournez au ranch avant qu’elle ne vous accuse de vous défiler.
Elle s’éloigne d’un pas léger, me laissant là, planté sur le trottoir enneigé, avec un poids étrange sur la poitrine. Une chose est sûre : CrimsonHills, et surtout Isabelle, avaient plus de couches que je ne l’aurais cru… et je n’étais qu’au début de ce que j’allais découvrir.
— Tout va bien ? me demande Isabelle sur le chemin du retour.
— Oui, je fais, essayant de cacher mon trouble.
Isabelle jette un coup d'œil furtif dans ma direction, ses doigts serrant légèrement le volant. Elle n’est pas dupe. Son regard perçant semble sonder mes pensées, comme si elle pouvait lire à travers mes réponses laconiques.
— Michaela peut être... directe, dit-elle finalement, brisant le silence pesant.
Je hausse les épaules, tentant de jouer l’indifférence, mais la tension dans ma mâchoire me trahit.
— Je gère, répliqué-je, la voix un peu trop raide.
Isabelle esquisse un sourire en coin, presque imperceptible, mais je le capte. Il y a quelque chose d’à la fois agaçant et fascinant dans cette façon qu’elle a de voir à travers moi.
— Vous savez, commence-t-elle, les yeux rivés sur le chemin enneigé, les gens d’ici ne mâchent pas leurs mots. Michaela incluse.
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