Fyctia
Chapitre 4 : POV Adam
Je quitte la banque dès l’aube. Le vent mordant s’infiltre sous mon manteau, un simple avant-goût du froid glacial qui m’attend à Crimson Pines. Avec ma valise en cuir, je me fraye un chemin parmi les passants emmitouflés, l’esprit fixé sur une seule chose : régler cette affaire aussi rapidement que possible. Trois semaines ? Ridicule. Trois jours me suffiront. Je grimpe dans ma voiture, démarre le moteur, et laisse derrière moi les immeubles imposants de BellHood. Le voyage est long, les routes de plus en plus sinueuses à mesure que je m’enfonce dans les montagnes. Le paysage urbain cède peu à peu sa place à des forêts enneigées et des plaines désertiques. Le silence de la nature contraste avec le brouhaha de la ville, un silence presque oppressant.
Enfin, après plusieurs heures de route, j’aperçois les contours du ranch de Crimson Pines. Une bâtisse robuste, au toit recouvert de neige, trône au milieu d’un vaste terrain. Les clôtures de bois délimitent les enclos où quelques rennes paissent, leurs silhouettes majestueuses se découpant sur le fond blanc de l’hiver. Un sentiment étrange m’envahit, une sorte de nostalgie que je m’empresse de chasser. Ce n’est pas le moment de s’attendrir.
Je m’approche de la porte en bois vieilli et frappe deux fois. Le silence répond d’abord, puis des pas résonnent à l’intérieur. La porte s’ouvre brusquement, et je me retrouve face à une femme qui me tient en joue avec un fusil. Ses cheveux noirs cascadent sur ses épaules, et ses yeux bleus me transpercent d’un regard glacial.
— Vous êtes qui ? gronde-t-elle, la voix rauque, marquée par le froid et la fatigue.
— Adam Castle, de la banque BellHood, je réponds calmement, mon regard fixé sur le canon de son arme.
Un éclair de reconnaissance traverse ses yeux. Elle me dévisage avec un mépris palpable.
— Vous.
Je devine immédiatement : c’est la même femme que j’ai insultée sur la route quelques jours plus tôt. Le souvenir m’arrache un sourire sarcastique.
— Enchanté de vous revoir, dis-je sans une once de sincérité.
Elle fronce les sourcils, mais ne baisse pas son arme.
— Vous perdez votre temps. Je ne vendrai pas ce ranch.
Je sors lentement les papiers du contrat de ma sacoche et les lui tends.
— Peut-être changerez-vous d’avis après avoir lu ceci.
Elle ne prend même pas la peine de les regarder. D’un geste brusque, elle les arrache, les parcourt du regard, puis les froisse sans hésiter.
— Vous pouvez aller vous faire foutre, lance-t-elle, les mâchoires serrées. Je ne céderai jamais. Cette terre m’appartient, et elle m’appartiendra toujours.
Sa voix tremble légèrement, non pas de peur, mais de colère contenue. Elle a la rage des gens qui ont tout à perdre, et je sens que la convaincre ne sera pas aussi simple que je l’avais imaginé. Mais je suis tenace.
— Très bien. Alors, je vais rester. Trois semaines. Jusqu’à Noël, déclarai-je, la défiant du regard. Vous changerez d’avis.
Elle éclate d’un rire sans joie, un rire amer qui résonne dans l’air glacé.
— Vous ? Ici ? Trois semaines ? Dans le froid, loin de votre bureau luxueux ? J’en doute.
Elle me dévisage un instant, puis soupire, baissant légèrement son fusil.
— Très bien. Restez si vous voulez. Mais à une condition : vous m’aidez avec les rennes. Je ne vous loge pas gratuitement.
— Marché conclu.
Elle me fixe, le regard perçant, cherchant probablement à déceler une quelconque faille. Puis elle recule, me laissant entrer. L’intérieur de la maison est aussi rustique qu’impeccable. Une cheminée crépite dans un coin, projetant des ombres dansantes sur les murs de bois. L’air sent le feu de bois et quelque chose d’indéfinissable, un mélange de terre et de souvenirs anciens.
— Une dernière chose, Monsieur Castle, dit-elle en refermant la porte derrière moi. Ici, c’est moi qui commande.
Je soutiens son regard, un sourire narquois aux lèvres.
— On verra ça, Mlle Snow.
Le jeu venait de commencer. Et, pour la première fois depuis longtemps, j’étais prêt à le jouer.
Isabelle me toise un moment, comme si elle évaluait encore la crédibilité de ma présence ici. Puis, d’un signe de tête sec, elle m’invite à la suivre. Son fusil est maintenant posé contre le mur près de la porte, mais je sens qu’elle reste sur ses gardes.
— Suivez-moi, lance-t-elle en ouvrant la porte arrière qui donne sur une vaste étendue enneigée.
Je m’engage à sa suite, l’air glacial mordre la peau de mon visage. Le silence de la montagne est presque assourdissant. Isabelle marche d’un pas décidé, ses bottes crissant dans la neige, et je la suis en silence, les mains enfoncées dans les poches de mon manteau.
— Bienvenue dans mon enfer blanc, murmure-t-elle, les yeux fixés sur l’horizon.
— Vous tenez vraiment à ce ranch, n’est-ce pas ? je lance, plus par provocation que par curiosité sincère.
Elle s’arrête net et se retourne, son regard d’acier planté dans le mien.
— Ce ranch est tout ce qu’il me reste. Mon père l’a construit de ses mains. Je ne vous laisserai pas tout détruire pour quelques billets de banque.
Sa voix est ferme, mais je décèle une pointe d’émotion qu’elle essaie de dissimuler. Elle reprend la marche, et je la suis jusqu’à un enclos où plusieurs rennes paissent tranquillement.
— Ce sont eux, les fameux rennes ? je demande, essayant de briser la glace.
— Oui. Ils sont l’âme de ce ranch. Sans eux, je n’aurais plus rien. Vous savez seulement compter l’argent, Monsieur Cole, mais ici, on compte les vies.
Sa remarque pique, mais je garde mon calme. Je ne suis pas venu ici pour m’émouvoir, encore moins pour m’attendrir. Pourtant, quelque chose dans sa voix, dans cette terre, me semble différent.
— Et ces rennes ? Qu’en faites-vous exactement ?
Elle soupire, comme si ma question était ridicule.
— Vous croyez quoi ? Que c’est une attraction pour touristes ? Ils participent à des courses, mais surtout, ils sont l’héritage de cette région. Le festival de Noël approche, et chaque année, la ville entière vient les voir. Sans ce ranch, la tradition s’éteint.
Nous continuons la visite en silence. Elle me montre les écuries, où des chevaux robustes et nerveux grattent le sol. Puis, nous passons par la grange, où une odeur de foin frais et de bois flotté envahit l’air.
— Vous comptez rester longtemps ici ? demande-t-elle finalement, brisant le silence.
— Trois semaines. Jusqu’à Noël. Vous le savez.
Elle sourit, mais son sourire est triste.
— On verra si vous tenez aussi longtemps, murmure-t-elle.
Un défi. Un avertissement. Peut-être un peu des deux. Mais une chose est sûre : cette femme n’est pas prête à se laisser faire. Et moi, je n’ai jamais aimé perdre.
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