Fyctia
Chapitre 1 - Partie 1
Adossé contre une des colonnades qui bordent l’entrée de l’université, j’attends, les jambes tremblantes. Si mes prévisions sont exactes, Delphine doit passer par ici pour se rendre à son premier cours du matin.
Je n’ai qu’une unique certitude en tête : il faut prendre le taureau par les cornes ! Aujourd’hui ! Le tout premier jour ! À la toute première heure ! Si je ne le fais pas maintenant, je n’oserai jamais. Courage, mec, ce n’est pas si compliqué ! Elle arrive, tu t’avances, tu lui fais un signe de la main et tu la salues, rien d’autre. La stratégie est simple : une entrée en matière douce, dans le calme et la sérénité.
Depuis la veille, je n’ai quasiment pas dormi, répétant inlassablement mon plan qui tient pourtant sur un timbre-poste ; même le plus abruti des abrutis pourrait s’en souvenir. Mais, je ne peux m’empêcher d’imaginer tout ce qui pourrait mal se dérouler : une Delphine entourée d’une horde de copines piaillant et riant ultrafort, une Delphine main dans la main avec un potentiel petit ami (le pire des scénars), une Delphine main dans la main avec une potentielle petite amie (ça, ça ouvre des perspectives intéressantes...), une Delphine qui me regarde tel un étron gisant sur un trottoir, ou encore une Delphine qui hausse un sourcil dédaigneux tout en se demandant qui je suis (une possibilité à ne pas exclure). La seule chose que je n’ai pas prévue, c’est une Delphine qui ne se pointe pas. Je checke un coup ma montre et je balaye la grande cour de l’université en me maudissant intérieurement. Bravo, tu t’es à nouveau débrouillé comme un champion ! Même pas foutu de lire correctement un horaire.
— PAUL !
Tout en priant tous les dieux pour que mon cœur reparte, je me retourne sur une Louise tout sourire.
— Alors, où en est ton plan machiavélique ?
— Toujours pas de Delphine à l’horizon, grommelé-je en lui balançant en bon coup dans l’épaule. Mais j’ai bien failli caner sur place, espèce de saucisse !
Louis éclate de rire avant de lâcher un puissant rôt.
— Oups, petit déjeuner mal passé…
La finesse incarnée !
— Allez vient, reprend-elle, on va être en retard au cours.
Las de voir échouer mon misérablement plan, je la suis dans les couloirs en traînant les pieds. Tout en évitant la horde d’étudiants qui parsème les larges allées, je remarque que Louis me jette des coups d’œil à la dérobée. Je la connais depuis près de trois ans maintenant et je savais que ce comportement cachait quelque chose.
— Vas-y, crache le morceau !
— Quoi !?
— Je sais bien que tu as quelque chose à me dire.
Louise s’arrête au pied de l’escalier qui mène au département des sciences historiques, une main sur la rambarde, et plante ses yeux verts dans les miens. Elle est loin d’être moche, Louise. Je l’ai rencontrée le jour où j’ai emménagé dans ma nouvelle colocation, dans les logements estudiantins qui bordent le parc de l’université. Avec deux de ses amies, elle partage depuis l’appartement à côté du mien. On a tout de suite accroché. Il faut dire qu’on a beaucoup de points communs : une famille nombreuse, un humour bien particulier et une passion pour l’histoire. Les quelques semaines qui avaient suivi notre rencontre, je l’avais envisagée comme une potentielle petite amie, mais Louise m’avait rapidement fait comprendre qu’elle me considérait davantage comme un grand frère – ou un petite, suivant les circonstances – que comme un amoureux.
— Ta Delphine, dit-elle d’une voix fluette qui ne lui ressemble pas, elle a changé de faculté, elle s’est inscrite en droit depuis le début du semestre.
Damned ! Je ne pourrai plus la voir tous les jours. Ça risque de devenir encore plus compliqué de lui adresser la parole, bien que le souci principal ne réside pas dans la proximité, mais dans un manque flagrant de couilles, il ne faut pas se mentir.
— Bah, c’est pas la mort, dis-je d’une petite voix qui ne parvient pas à cacher ce gros mensonge.
— Ce soir, film chez moi, déclare Louise, j’ai téléchargé le dernier Marvel et il sent le génie. Dis-moi que tu ne l'as pas encore vu.
Tandis que je hoche la tête de gauche à droite, je souris un peu, un brin réconforté par l’optique d’une soirée tranquille avec mon amie. Ce dont Louis ne se doute pas, c’est que je déteste les Marvels. Mais comme elle les adore, je me dis toujours que mieux vaut regarder un navet en bonne compagnie qu’un chef-d’œuvre avec un imbécile.
— J’apporte les chips.
6 commentaires
Gwenaële Le Moignic
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Il y a un an
Krrkippaal
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Il y a un an