Fyctia
Chapitre 14 - Alma
Bon Iver & St. Vincent - Roslyn
Sur le chemin jusqu’à l’immeuble pour mon cours d'essai, je stresse un peu, me demandant si j’ai pris la bonne décision. Je joue avec la lanière de mon sac, comme si ça allait apaiser l’agitation dans ma poitrine.
Arrivée devant un bâtiment qui a clairement vu des jours meilleurs, je repère un panneau à moitié effacé indiquant les différents étages. L’atelier d’écriture est au troisième. Pas d’ascenseur. Génial, pensé-je en montant les escaliers qui grincent sous mes pas.
En haut, une porte ouverte donne sur une grande salle lumineuse où quelques personnes discutent déjà. L’odeur de café flotte dans l’air. Une femme d’une cinquantaine d’années, élégante, s’approche de moi avec un sourire sincère.
— Bonjour, je suis madame Rosemary Palmer, la professeure de ce cours. Mais appelez-moi Rosemary.
— Bonjour, je suis Alma, réponds-je, un peu maladroitement.
— Enchantée, Alma. Alors, installez-vous où vous voulez.
Je balaye la pièce du regard. La disposition est simple, presque scolaire : des tables en rangées, avec quelques chaises par-ci par-là. Je repère une place près de la fenêtre et m’y dirige. Une fille, probablement dans ma tranche d'âge, me sourit. Son sourire est contagieux.
— Salut, moi c’est Maeve, dit-elle en déplaçant légèrement son sac pour que je puisse m’asseoir.
— Salut, moi c’est Alma, réponds-je, déjà un peu plus à l’aise.
— C’est ta première fois à ce genre de cours ? me demande-t-elle tout en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Oui, et toi ?
— Pareil.
Rosemary commence à parler. Elle a une voix posée qui capte immédiatement l’attention. Elle nous parle de poésie et de l’importance d’écrire avec son cœur. Puis elle propose un exercice.
— Je vais vous demander de réfléchir à un objet qui a une signification particulière pour vous. Ça peut être quelque chose que vous avez sur vous ou que vous imaginez. Racontez une histoire ou exprimez une émotion liée à cet objet. Laissez parler votre cœur.
Maeve murmure à mi-voix :
— Ouais, facile... sauf si ton cœur est en grève.
Je lui souris timidement, mais au fond, je ne sais pas si je vais réussir cet exercice. Je pense à la bague. Pas celle que je porte maintenant, mais l’autre. Celle qui a tout déclenché.
Mes pensées s’embrouillent. Pourquoi j’ai choisi ça ? Je prends une profonde inspiration et commence à écrire, mais les souvenirs me frappent comme une vague glacée. Je m’arrête plusieurs fois, redoutant d’aller trop loin.
À la fin, tout le monde lit son texte. Les histoires sont intimes, touchantes, parfois drôles. Puis Rosemary me désigne.
— Alma, à toi, si tu es prête.
Je hoche la tête, les mains moites, et me lance :
— Cette bague. Celle que j’ai vue à son doigt, et pas au mien. Cette bague, pleine de promesses, d’illusions. Celle que j’imaginais comme un "oui" et qui n’était qu’un adieu. Elle brillait. Elle scintillait d’un futur qui n’était pas le mien.
Je m’arrête, incapable d’aller plus loin. Le silence qui suit est presque étouffant, mais Rosemary le brise doucement.
— Merci, Alma. C’était très beau et sincère. N’oubliez pas : l’écriture est comme un muscle. Plus vous vous entraînez, plus il devient puissant. Vous n’avez pas besoin d’être parfait. Vous avez juste besoin d’être vous-même.
À la fin du cours, alors que je range mes affaires, Rosemary m’aborde doucement.
— Alma, ce que tu écris est très touchant et prometteur. Je te conseille de lire des auteurs variés, ça enrichira ton écriture. Mais surtout, continue à écrire. J’espère te revoir ici.
— Merci, réponds-je, avec un sourire timide.
Puis, après quelques secondes, je demande :
— Vous faites ça bénévolement ?
Rosemary sourit, un éclat chaleureux dans ses yeux.
— Oui. L’écriture a changé ma vie, dit-elle d’une voix douce. Alors, je veux aider d’autres personnes à trouver leur voix. Parfois, il suffit d’un stylo et d’un peu de courage pour changer une existence.
Je hoche la tête, touchée par ses mots. Elle me laisse repartir avec cette idée : peut-être que, moi aussi, je peux changer quelque chose dans ma vie en osant écrire.
Je me sens légère. Bien que ce cours m'ait obligée à me confier à des inconnus sur ce que je ressens, sur ce qui me hante, ça m’a fait du bien. Je déambule un peu dans le quartier, visitant quelques boutiques qui me font de l’œil. Un peu de lèche-vitrine, ça change les idées. Je repère un café cosy, avec des guirlandes lumineuses accrochées aux fenêtres. Je me surprends à penser que ce serait un endroit parfait pour y aller avec Jun, un jour.
Sur le chemin du retour, mes pas sont plus assurés, presque légers, comme si j’avais laissé une partie de mes doutes là-bas, dans cette salle aux tables bancales et aux odeurs de vieux livres. Une voix dans ma tête murmure : continue. Je veux recommencer. Je veux écrire. Je veux être fière de ce que je crée.
Je souris en repensant à Rosemary. L’écriture a changé ma vie, avait-elle dit. Moi aussi, je veux ça.
Changer.
Bouger.
Exister.
Le froid de décembre s’engouffre dans mes vêtements, j'accélère le pas jusqu’à l'immeuble. Quand j’entre, une douce odeur envahit mes narines. La cuisine embaume d’épices, je plisse le nez, essayant de deviner. Je lâche un soupir satisfait en enlevant mes chaussures.
— Ça sent trop bon, dis-je à Jun en entrant.
— Je prépare un curry au lait de coco et aux légumes.
— Hâte de goûter ce que tu prépares, chef Jun.
Je pose ma veste sur le porte-manteau et m’approche.
— Alors, ton cours d'essai s’est bien passé ?
Je hausse une épaule, jouant l’indifférence.
— Mieux que ce que je pensais. Intense, mais bien.
Il hoche la tête tout en mélangeant le curry. Son visage s’adoucit légèrement.
— Donc, t’as pas fui en courant. C’est un bon début.
— Je suis plus coriace que j’en ai l’air, tu sais.
— Ah ouais, ça, je te crois. Petit poids.
Je fronce les sourcils, perplexe.
— Pardon ? Petit quoi ?
Il se retourne, l’air innocent.
— Petit poids, comme poids plume. Tu sais, légère. Enfin, laisse tomber c’était drôle dans ma tête.
Je lève les yeux au ciel, exaspérée.
— La prochaine fois, garde ta blague dans ta tête. Ça vaut mieux.
Jun rit franchement, se tenant au comptoir comme s’il avait peur de tomber.
— Sérieux, Alma. T’as aucun respect pour mes talents d’humoriste. Ça me brise.
— Tes talents ?! Je crois que je t’épargne, au contraire.
Il met une main sur son cœur, feignant une douleur mortelle.
— Tu me poignardes, là.
Je secoue la tête, un sourire involontaire aux lèvres.
— Par contre, ton curry, ça, c’est une vraie réussite. Continue dans cette direction, ça nous fera du bien à tous les deux.
Il prend une pause, posant la cuillère sur le rebord de la casserole.
— T’y retournes, alors ?
— Où ça ?
— Ton cours. T’as décidé de devenir écrivaine ou c’était juste sur un coup de tête ?
Je prends un moment avant de répondre, réfléchissant.
— C’est pas interdit de rêver, tu sais.
— Justement. Continue d’y aller. Ça te va bien, l’écriture.
5 commentaires
Sunny NDV
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Il y a 11 jours
MelinaSANYA
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Il y a 11 jours
Akiria.s
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Il y a 13 jours
Carl K. Lawson
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Il y a 13 jours