Fyctia

Keane - Somewhere Only We Know

Vers 19h, des bruits de clés résonnent dans la serrure. Jun est enfin de retour du travail. Mon cœur s'emballe, et je me surprends moi-même par cette montée d'euphorie. Pourquoi je suis si heureuse qu'il rentre ? Je veux dire, je suis contente, bien sûr, mais tellement contente que ça en devient presque embarrassant.

Je pose le livre que j'étais en train de lire et me dirige vers le salon sans trop réfléchir. Peut-être que c'est juste parce que je n'ai vu personne d'autre aujourd'hui. Oui, c'est sûrement ça. Je m'accroche à lui parce que c'est ma seule interaction humaine. Dès que je reverrai du monde, tout ira mieux. Pas vrai ?

Jun entre, un sourire lumineux sur le visage. Il a cet air décontracté mais pro qui donne envie de lui demander comment il fait.

— Salut, dis-je.

— Salut, répond-il, son sourire s'élargissant un peu plus.

Un petit silence s'installe. Pourquoi je me sens si nerveuse ? C'est ridicule.

— Alors, ta journée ? demande-t-il, pour combler le vide.

— J'ai cherché des cours. Et, j'ai trouvé un atelier d'écriture poétique pas loin. Du coup, je me suis inscrite à une séance d'essai.

Je croise son regard, cherchant une réaction, et il hausse légèrement les sourcils, impressionné.

— Sérieux ? Ça a l'air super cool. Tu y vas quand ?

— Mercredi.

— Mercredi, répète-t-il en hochant la tête comme s'il prenait mentalement note. Eh ben, j'espère que ça va bien se passer.

Un sourire timide se dessine sur mon visage.

— Et toi, ta journée ? demandé-je, en m'asseyant sur le canapé.

Jun me suit et s'installe à côté de moi. Je jette un coup d'œil à son costume. Parfaitement taillé. Il est... Non, Alma, on ne fangirl pas sur son bienfaiteur. Enfin, techniquement, je peux, non ? Tant que c'est dans ma tête.

— On devait proposer des idées pour que l'entreprise fonctionne mieux en interne, par exemple, trouver des façons plus rapides ou efficaces de faire notre travail. Mais la réunion pour ça a été longue et compliquée... un vrai cauchemar.

— Un cauchemar ? Pourquoi ?

Il souffle, un mélange de frustration et d'amusement.

— Parce que la moitié des gens dans la salle n'écoutaient pas. L'un d'eux a carrément dit : "Et si on explorait une solution plus moderne ?" alors que c'est littéralement ce qu'on venait de proposer. Bref, je suis sorti de là complètement vidé. Et tu sais quoi ? Le pire, c'est que...

Il s'arrête, cherche ses mots.

— Non, laisse tomber, c'est trop...

— Trop quoi ? demandé-je en me penchant légèrement vers lui, curieuse.

— Trop déprimant pour une fin de journée, dit-il avec un sourire. Mais bon, ça va. La prochaine fois, je viendrai avec des maracas pour m'assurer qu'ils m'écoutent.

Je ris, visualisant la scène, et il éclate de rire aussi.

— Les maracas, vraiment ?

— Eh oui. Ou un ukulélé. Comme ça, je fais l'intro de mes présentations en musique. Je suis sûr qu'ils s'en souviendront.

— Ouais, ou alors ils penseront que t'as complètement craqué.

— C'est un risque que je suis prêt à prendre, dit-il avec un faux air solennel.

Je le regarde, amusée.

— En tout cas, merci de m'avoir fait rire, dis-je en souriant.

— Merci à toi, répond-il doucement, son regard croisant le mien.

Le silence qui suit n'est pas gênant. Il est apaisant, comme si on n'avait pas besoin de mots pour combler le vide. Jun est assis à côté de moi, détendu, mais je remarque qu'il joue distraitement avec le bouton de sa manche. Il semble réfléchir à quelque chose.

Finalement, il prend la parole.

— Pendant cette réunion, il y avait le PDG.

Je me redresse légèrement.

— Quoi ? Dis m'en plus, dis-je, un brin curieuse.

Il esquisse un sourire amusé, mais son ton reste léger.

— Alors, tout le monde a rapidement remarqué ma bague, commence-t-il en jetant un coup d'œil à sa main comme s'il redécouvrait l'objet en question. Donc lui, évidemment, n'était pas en reste.

— Tu lui as dit que tu étais fiancé ?

— Oui, comme je l'ai fait avec mes autres collègues. Ils étaient tous surpris mais pas vraiment. Apparemment, c'était "bizarre" que je sois célibataire, d'après eux.

— Bah oui, je confirme, Jun. C'est très bizarre.

— Merci pour le soutien, dit-il en riant, son regard pétillant. Bref, voilà, j'ai discuté avec mon patron, monsieur Thompson. Et, tu sais, j'ai eu cette drôle d'impression, comme si j'étais monté encore plus dans son estime.

Il mime un geste de la main comme s'il gravissait un escalier imaginaire.

— Tout ça à cause d'une bague ? Sérieusement ?

— Imagine, lâche-t-il avec une expression exagérément dramatique. L'effet qu'une simple bague peut avoir sur cet homme.

Je secoue la tête, incrédule.

— C'est dingue quand même.

— Oh, dingue, oui. Je n'arrive toujours pas à y croire, en fait. On se croirait retourné dans le passé. Tu sais, comme si le fait d'être célibataire me rendait, je sais pas, moins compétent ?

Je roule des yeux, exagérant volontairement l'expression.

— Ouais, clairement, Jun. Parce que personne ne peut faire du bon boulot sans une bague au doigt.

— Exactement, répond-il en riant. Enfin bref, on a discuté, et il m'a proposé d'aller à l'opéra vendredi avec lui et sa femme.

— Oh, la classe, dis-je, un peu surprise. Et moi, là-dedans ?

Jun se penche légèrement vers moi, ses yeux pétillants de malice.

— Eh bien, tu viens avec moi, bien sûr. Tu es ma fiancée, après tout.

Je laisse échapper un rire nerveux.

— C'est rapide, non ?

— Très rapide, confirme-t-il en hochant la tête. Mais, tu sais, ça ne m'étonne pas. Il veut sûrement confirmer la chose.

Je fronce légèrement les sourcils.

— Confirmer quoi ?

— Que je suis bien fiancé. Que tu es réelle. Enfin, tu vois.

— Super, me voilà réduite à prouver mon existence, plaisanté-je en croisant les bras.

— Exactement, répond-il avec un sourire.

Il marque une pause, son ton devient légèrement plus sérieux.

— Comme je te l'ai dit, tu seras payée pour ton rôle.

— Ça me va totalement, dis-je en haussant les épaules. L'opéra, hein ? Je n'y suis jamais allée, ça peut être sympa.

— Parfait, conclut-il avec un sourire satisfait.

Je ne peux m'empêcher de penser à quel point cette situation est étrange, mais aussi terriblement amusante.