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Lord Huron - The Night We Met

Jun est parti tôt ce matin pour le travail, son sourire un peu trop énergique pour une heure aussi matinale. Moi, je reste là, affalée sur le canapé, entourée de feuilles griffonnées et d'onglets ouverts sur mon ordinateur. "Qu'est-ce que je pourrais faire de ma vie ?" C'est la question qui flotte dans l'air comme un nuage pesant.

Après la trahison, j'étais tellement mal que je n'ai pas donné signe de vie à mon boulot pendant plusieurs jours. Pas de mail, pas d'appel, rien. J'étais comme paralysée, incapable de me lever ou même de formuler une excuse. J'avais l'impression que tout s'était écroulé autour de moi. Et bien sûr, ils ne m'ont pas gardée.

Jusque-là je travaillais dans une salle de spectacle en tant qu'assistante en communication. C'était loin d'être mon rêve, mais bon, ça payait les factures, et ça me donnait une routine. J'écrivais des posts sur les réseaux sociaux, je faisais des affiches pour les événements, je répondais à des tonnes de mails. Ce n'était pas passionnant, mais ça allait.

Enfin... jusqu'à ce qu'ils me virent pour manque de sérieux.

Ça m'a achevée. Parce qu'avant ça, je n'avais jamais fait d'erreur. Je faisais mon boulot, je respectais mes horaires. Mais voilà, apparemment, ma disparition temporaire avait suffi à leur montrer que je n'étais pas irremplaçable.

À 29 ans, je suis perdue. Je ne sais pas ce que j'aime. Je ne sais pas ce que je veux faire. Une part de moi se dit que c'est normal, que tout le monde galère à un moment ou à un autre. Mais l'autre part... celle qui parle un peu trop fort quand je suis seule, me chuchote : Et si tu ne trouvais jamais ?

Je soupire, le stylo que je tiens tapotant nerveusement contre la table basse.

Jun m'a dit :

— Tu devrais trouver un truc qui te donne envie de te lever chaque matin.

Ouais, facile à dire. Mais qu'est-ce que je pourrais bien trouver ? Tout ce que je vois, c'est ce que j'ai perdu : mon copain, ma meilleure amie, mon boulot. Et moi, je suis là, entourée de feuilles blanches, à essayer de remplir les cases d'un futur que je n'arrive même pas à imaginer.

Je m'enfonce dans le canapé, le crayon coincé entre mes dents. Peut-être que je devrais m'inscrire à une formation. Apprendre quelque chose de nouveau. Exceller dans un domaine ? Enfin, "exceller", c'est peut-être un peu ambitieux. Disons, m'améliorer un peu.

Mais d'abord… Je prends une grande inspiration et ouvre mon ordinateur. Il faut être réaliste : je ne peux pas me permettre de rester indéfiniment dans cet entre-deux. Alors, je commence à chercher des offres d'emploi. Des postes qui ressemblent à mon ancien boulot d'assistante en communication. Peut-être que je pourrai retrouver une place quelque part, même si rien que l'idée d'envoyer des candidatures me donne l'impression de m'exposer au rejet.

Après avoir envoyé quelques CV, je me laisse dériver sur autre chose. Je tape quelques mots dans la barre de recherche : "cours pour adulte débutant" et voilà, le gouffre d'internet me crache un flot d'options.

— Bon, voyons ça...

Cours de dessin. Hmm. Je regarde mes notes sur le carnet à côté de moi : des bonhommes bâton à la limite de l'acceptable. Est-ce que commencer au niveau zéro absolu, c'est pas un peu démoralisant ?

Cours de danse. OK, ça, c'est cool, non ? Mais je ne sais pas si ce que je fais en soirée peut vraiment être considéré comme "danser". À moins que secouer les bras en rythme compte ?

Cours de cuisine. Je m'arrête un instant, intriguée. J'aime manger, c'est sûr. Beaucoup. Mais cuisiner ? Est-ce que j'aime ça ou est-ce que j'aime juste lécher la cuillère en bois à chaque étape ? Grande question.

Cours d'écriture de poèmes. Ah, tiens, ça a l'air intéressant. J'ouvre la page. "Une manière d'exprimer vos émotions sur le papier." Écrire pour sortir ce qu'on ressent. Je plisse les yeux en lisant ça.

— Sortir ce qu'on ressent...

Ça pourrait marcher. Pourquoi pas ? J'ai beaucoup de choses à sortir, là, tout de suite. Peut-être même trop. Je clique sur le lien et je reste bloquée sur la page.

C'est pas trop loin de l'appart, en plus. Pratique. Et ils proposent une séance d'essai.

Une séance d'essai, c'est parfait pour quelqu'un comme moi : ça veut dire que si je me ridiculise, je peux partir sans regarder en arrière.

Je me mords la lèvre en hésitant. Mon curseur danse au-dessus du bouton d'inscription, et je murmure, à moi-même :

— Allez... Tu vas pas reculer maintenant.

Je clique, et c'est comme si j'avais sauté d'un plongeoir de dix mètres. Le cœur battant, je rafraîchis ma boîte mail. Pas besoin d'attendre longtemps : la réponse arrive quelques minutes plus tard.

"Merci pour votre inscription ! Veuillez choisir une date pour votre séance d'essai."

Je défile la liste des jours disponibles. Hmm... Mercredi. Oui, mercredi, ça sonne bien. J'aime bien le mercredi. C'est équilibré. Pas trop tôt dans la semaine, pas trop tard. Le moment parfait pour se dire : "Allez, on tente un truc."

— Quatorze heures trente, murmuré-je en cliquant. Ça doit être le créneau des débutants.

Je reste un moment immobile devant l'écran, à contempler ma décision. Est-ce que j'ai vraiment fait ça ? Oui. Oui, je l'ai fait. Et maintenant, bah j'ai un truc prévu mercredi.

Mais plus j'y pense, plus une petite boule de stress commence à se former dans mon estomac. Et si c'était une mauvaise idée ? Si je n'aimais pas ? Ou pire si les autres participants étaient des génies de l'écriture et moi la seule qui galère à écrire une phrase correcte ?

— Oh là là, stop, stop, soufflé-je en secouant la tête.

Je me lève d'un bond, comme si bouger pouvait chasser mes pensées. J'ai décidé d'y aller, alors j'y vais. C'est tout. Je veux avancer. Je veux devenir une meilleure version de moi-même.

Renouer avec moi. Voilà.

Et ça commence maintenant. Bon, peut-être après le déjeuner.

Je me dirige vers la cuisine et ouvre le frigo. Et là, je reste bloquée, littéralement bouche bée.

— Attends, c'est une blague ?

Le frigo de Jun est... impeccable. Chaque truc est à sa place. Les yaourts parfaitement alignés, les légumes triés par couleur, même les bouteilles d'eau sont symétriquement espacées.

— Mais qui fait ça ?! marmonné-je, les sourcils froncés.

Ça me stresse un peu, tout ce perfectionnisme.

Je referme le frigo d'un geste vif, puis le rouvre, comme pour vérifier si c'était pas une hallucination. Toujours pareil. OK, très bien. Tant mieux pour lui.

Je décide de me faire quelque chose de simple. Des pâtes et des œufs au plat. Pas envie de me compliquer la vie. Je laisse l'eau bouillir en réfléchissant à Jun. Il ne rentre pas à midi ; il mange au restaurant de son entreprise.

Et franchement, il me manque un peu. C'est bizarre, non ? On a passé tout le week-end ensemble et là, hop, une demi-journée loin de lui, et je ressens ce vide.

— Ridicule, marmonné-je en cassant mon œuf dans la poêle. Tu deviens collante, ma vieille.