Fyctia
Chapitre 2 - Jun
Hier soir...
Stephen Sanchez - Until I Found You
Je termine le travail plus tard que prévu. Une situation qui m’irrite déjà : une réunion interminable et des bouchons à n’en plus finir m’ont ralenti. Être en retard n’est pas dans mes habitudes. Ce sentiment d’imprévu, de désordre… c’est insupportable.
Quand j’arrive enfin à la salle des fêtes, la musique résonne déjà dans les murs. Les rires, les discussions trop fortes, le cliquetis des verres. Tout cela forme un brouhaha qui me donne envie de faire demi-tour.
Et c’est là qu’il m’intercepte. David.
— Jun ! Je ne pensais pas que tu viendrais ! Ça fait tellement longtemps. Tu te souviens de moi ?
Son enthousiasme est presque… envahissant.
— Oui, David. Comment oublier ? Ton nom était probablement le plus crié par les profs.
Il éclate de rire, comme si j’avais raconté la blague du siècle. Je souris par politesse, bien que l’échange me lasse déjà. Il me raconte qu’il est devenu professeur de sport ironique, sachant à quel point il détestait l’école mais ça semble lui plaire, alors tant mieux pour lui.
Puis, je l’entends.
Une voix. Forte, familière.
Je tourne la tête instinctivement, cherchant son origine. Et mon regard se fige.
C’est Alma.
Alma.
— Elle est comme ça depuis un moment déjà, commente David, suivant mon regard. Tu te souviens d’elle ?
Bien sûr que je me souviens d'elle.
— Je vais me chercher à boire, dis-je brusquement pour couper court à la conversation.
Sans attendre sa réponse, je me dirige vers le bar. Mon esprit est déjà ailleurs, focalisé sur Alma.
Elle est là, en pleine discussion ou dispute avec le barman.
— S’il vous plaît, juste un dernier et j’arrête, insiste-t-elle, les yeux brillants.
— Non, c’est pour votre bien, répond-il fermement.
— Vous n’êtes pas gentil…
Et c’est là que je la vois pleurer. Pas une simple larme discrète, mais des pleurs sincères, désespérés. Cette vision me serre la poitrine. Alma… Au lycée, elle était ce rayon de soleil capable d’éclairer les journées les plus grises. Qu'est-ce qui a bien pu se passer depuis ?
Je prends un mouchoir dans ma poche et le lui tends. Elle le prend, levant enfin les yeux vers moi.
— Merci…
Ses yeux plissés scrutent mon visage. Puis, soudain, elle sourit. Un sourire éclatant, déstabilisant.
— Jun, c’est toi ?
— Oui, c’est moi.
— Tu as changé. Tu es encore plus beau qu’à l’époque.
Son compliment me prend au dépourvu.
— Toi aussi, tu as changé, Alma. Ça va ?
Je regrette presque mes mots dès qu’ils franchissent mes lèvres.
C’est comme si ma question avait libéré une digue. Elle parle, les mots se bousculent. Elle raconte tout. Son ex, sa meilleure amie, son travail, sa vie qui semble s’effondrer autour d’elle. Je l’écoute sans l’interrompre. Je l’écoute, absorbant chaque mot.
Et plus elle parle, plus je sens une colère monter en moi. Pas contre elle, mais contre cet homme. Celui qui a eu Alma et qui a osé la briser.
Je serre la mâchoire, fixant mon verre comme si c’était lui que je voulais écraser.
Alma ne mérite pas ça. Pas elle.
J'ai passé la soirée à ses côtés, et étonnamment, ça ne m'a pas dérangé. Les gens commencent déjà à partir, les serveurs ramassent les derniers verres abandonnés sur les tables, et une musique lente et nostalgique tourne en boucle, signe que la soirée touche à sa fin.
Je me tourne vers Alma, toujours assise au bar. Enfin, « assise » est un bien grand mot. Elle est affalée sur le comptoir, les bras croisés comme si elle était prête à hiberner là jusqu’au printemps.
— Alma, il faut partir, dis-je en me penchant légèrement vers elle.
— Hmm ? Elle lève à peine la tête, visiblement pas encore revenue sur Terre.
— On ne peut pas rester ici. Ils vont finir par éteindre les lumières et nous mettre à la porte. Je vais te ramener chez toi.
— J’ai pas envie de rentrer chez moi. Je veux rester là, murmure-t-elle, sa voix traînant comme si chaque mot lui coûtait un effort surhumain.
Je retiens un soupir, mais un sourire amusé me trahit. Elle n’a pas changé.
— Malheureusement, on ne peut pas squatter la salle toute la nuit. Allez, debout.
Elle tente de se lever, mais ses jambes flanchent presque immédiatement. Par réflexe, je la rattrape avant qu’elle ne s’écroule complètement. Je passe un bras autour de sa taille pour la stabiliser. Elle s'appuie contre moi.
— Tu tiens à peine debout, Alma.
— Si, si, ça va. Je suis juste… fatiguée.
— Bien sûr, "fatiguée". Tu n'as pas bu du tout, hein ?
Elle esquisse un sourire un peu coupable mais ne répond pas. Je la soutiens jusqu’à l’entrée où ne restent plus que quelques manteaux sur le portant.
— C’est lequel le tien ?
Elle pointe vaguement du doigt, hésitant entre deux manteaux.
— Lui. Le gris. Ou peut-être… non, si, lui.
— T’es sûre ?
— Je crois.
Je hoche la tête, attrape le manteau gris, le lui enfile doucement et en profite pour mettre le mien.
— Voilà. Maintenant, on bouge, dis-je en la guidant vers la sortie.
Une fois dehors, l’air frais semble l’éclaircir un peu, mais pas assez pour qu’elle marche seule. J’ouvre la portière de ma voiture et l’aide à s’installer sur le siège passager. Elle se laisse faire sans un mot. Une fois sa ceinture bouclée, je m’installe à ma place.
Quand je tourne la tête pour vérifier qu’elle est bien, je la vois déjà endormie, la tête tombant légèrement sur le côté. Elle respire profondément, son visage détendu. Ça me fait sourire.
— Bon, tu ne me laisses pas vraiment le choix, Alma, murmuré-je en démarrant la voiture.
Je roule calmement jusqu’à mon immeuble. Arrivé en bas, elle dort toujours. Je soupire doucement et me penche pour ouvrir sa portière. Je passe mes bras sous elle et la soulève. Elle est légère, presque trop, et son souffle chaud effleure mon cou alors que je la porte jusqu’à l’ascenseur.
Une fois dans ma chambre d’ami, je la dépose doucement sur le lit. Je prends le temps de lui enlever son manteau et ses chaussures, un geste à la fois. Quand je lui retire une chaussure, elle marmonne quelque chose d’incompréhensible. Je m’arrête, surpris, et l’observe.
— Qu’est-ce que tu dis encore ?
Elle ne répond pas, profondément endormie. Je l’installe correctement sous la couette. Une fois assuré qu’elle est bien, je quitte la pièce en silence.
Je me débarrasse de mon manteau et m’affale enfin sur le canapé du salon, le poids de la journée retombant sur mes épaules.
Alma est chez moi.
Je me passe une main sur le visage, comme pour me convaincre que ce n’est pas un rêve étrange. Alma, dans ma chambre d’ami.
Si ça avait été n’importe qui, je n’aurais jamais accepté qu’on envahisse mon espace comme ça. Mais c’est Alma. Et avec elle… tout est différent.
Je jette un coup d'œil vers la porte de la chambre, comme si je pouvais l’entendre respirer d’ici. Puis je m’enfonce un peu plus dans le canapé.
— Qu’est-ce que tu fais, Jun… murmuré-je en fermant les yeux.
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Sarael
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