Fyctia

— Bon, je vais arrêter de te taquiner. Même si, honnêtement, j'adore ça.

Il me lance un sourire en coin, l’air beaucoup trop satisfait.

— Ah, donc tu es du genre à embêter les gens au réveil ?

— Et toi tu es du genre à fuir au petit matin ?

Je roule des yeux, croisant les bras.

— D’habitude, non. Mais d’habitude, je sais où je suis et comment j’y suis arrivée.

Il hausse un sourcil.

— Vraiment ? T’as tout oublié ?

Je me raidis immédiatement.

— Il s'est passé quoi ?

— Plein de choses. Cette soirée a été des plus... intéressantes.

Je fais un pas en arrière.

— Pas dans ce sens-là, ajoute-t-il en levant les mains, comme s'il voulait se défendre. J'aurais jamais profité de toi, encore moins bourrée.

— J'espère bien, oui.

— Assieds-toi. Après qu'on aura parlé, si tu veux t'enfuir, libre à toi. Mais avant, je tiens à te rassurer : il ne s'est rien passé de bizarre. Je t'ai ramenée ici parce que, quand je t'ai demandé ton adresse, tu m'as répondu que tu ne voulais pas rentrer chez toi.

Je grimace légèrement. Ça, c'est fort possible. Vivre avec une traîtresse n'aide pas à apprécier l'idée de rentrer.

— D'accord, je t'écoute.

Je me laisse tomber sur un fauteuil du salon, tandis que lui s'assied sur le canapé.

— Alors... tu te souviens de quoi, exactement ?

Je soupire en croisant les bras, le regard fuyant.

— Avoir bu un verre puis un autre... puis encore un autre. La soirée avait bien commencé, je crois. J'ai parlé à pas mal de gens, pris leurs contacts sur LinkedIn.

Il pouffe de rire.

— Sérieux, sur LinkedIn ?

— Hé, c'était une soirée de réseautage ! Mais après ça, je sais pas. Tout devient flou. J'ai eu l'impression que boire m'aidait à oublier mes problèmes sauf que j'ai clairement abusé.

Je fronce les sourcils en le fixant.

— Mais comment ça se fait que je ne me souviens pas t'avoir vu ?

— Je suis arrivé plus tard. Toi, t'étais déjà disons, dans un état second.

Il marque une pause, comme s'il pesait ses mots, avant de continuer :

— Je t'ai trouvée au bar. Tu essayais de négocier avec le serveur pour qu'il te serve un autre verre, mais il refusait. C'est là que je suis intervenu.

Je ressens une vague de honte. Une image floue surgit dans ma tête : lui, assis sur une chaise à côté de moi, calme et patient pendant que je... mon dieu.

— Tu as commencé à me raconter tout ce qui se passe dans ta vie. La trahison de ton copain et de ta meilleure amie. Et le fait que... vu qu'ils vont emménager ensemble, tu vas te retrouver sans logement.

Sa voix est douce, mais chaque mot qu'il prononce me frappe comme un marteau. Les souvenirs reviennent par vagues, et je me recroqueville légèrement sur le fauteuil, terriblement gênée.

— Oh non... j'ai vraiment dit tout ça ?

Je me prends la tête dans les mains, incapable de le regarder.

— Désolée. Désolée de t'avoir embêté avec mes problèmes. Et... merci de m'avoir ramenée ici. Je ne t'ai même pas remercié jusque-là.

— Pas de soucis, Alma.

Il sourit, et son regard, étrangement sincère, me donne une sensation étrange.

— Tu n'as pas à t'excuser, dit-il doucement. J'étais là... et j'avais envie de t'écouter.

Je détourne le regard, mal à l'aise face à cette honnêteté.

— Bon... je vais y aller, dis-je en m'accroupissant pour remettre mes talons.

— Attends une seconde.

Je lève la tête intriguée, alors que je suis en train de refermer la bride de ma chaussure.

— J'y ai beaucoup réfléchi et... je voulais te proposer quelque chose.

— Hmm ? Je t'écoute, dis-je en arquant un sourcil.

— Bon, ça va te paraître un peu fou. Enfin, vraiment fou, en fait. Tu peux totalement refuser, hein, mais... comme on dit, qui ne tente rien n'a rien...

— Jun, va droit au but, je t'en supplie. Ce suspens est insoutenable. C'est quoi que tu veux me demander ? Je dois vendre un rein ?

Il éclate de rire, un rire qui me prend un peu au dépourvu.

— Non, rien de tout ça. Promis.

— Alors accouche, dis-je en croisant les bras sérieuse.

— D'accord, voilà. Je sais que... tu galères en ce moment, niveau boulot et logement.

— Merci pour ce rappel très utile de ma misère, rétorqué-je avec sarcasme, tout en réprimant un sourire.

— Non mais écoute, c'est pas ça le point. Ce que je veux dire, c'est que... j'ai peut-être une solution.

— Hmm ?

— Je peux t'héberger et te trouver un boulot.

— ...Jun, dis-moi tout de suite si je dois signer avec mon sang ou faire un sacrifice humain, parce que là, ton plan sonne comme un pacte avec le diable.

— Hahaha, rien de tout ça. Mais c'est vrai que ça peut sembler... un peu inhabituel.

— Ok, maintenant, je suis encore plus curieuse. Explique, mais sans tourner autour du pot.

Il prend une inspiration profonde et, pour la première fois, semble légèrement nerveux.

— Alors... je te propose un contrat.

— Un contrat ?

— Oui. J'ai besoin d'une... fausse fiancée.

Je le fixe, les yeux écarquillés, pensant un instant qu'il plaisante.

— Une fausse quoi ?

— Une fausse fiancée. Pour quelques événements importants et, surtout, pour le grand dîner annuel de Noël de mon entreprise. Bien sûr, tu recevras un salaire.

— Attends, c'est une blague ?

— Pas du tout. Écoute, je sais que ça paraît complètement dingue, mais laisse-moi t'expliquer, d'accord ?

— Je t'en prie, explique, dis-je, les bras croisés et un sourire sceptique sur les lèvres.

Il se frotte la nuque, visiblement gêné.

— Mon entreprise... Enfin, mon PDG, pour être précis, a des idées un peu... rétrogrades.

— Du genre ?

— Il pense qu'un célibataire ne peut pas être un bon leader. Pour lui, il faut avoir quelqu'un dans sa vie pour être digne d'une position de direction.

— ...C'est sérieux ?

— Très. Et vu que je suis en lice pour devenir directeur stratégique, c'est un détail qui pourrait tout faire capoter.

— Attends, tu me dis que, dans ton entreprise, ils accordent plus d'importance à ta situation conjugale qu'à tes compétences ?

— En gros, oui.

— C'est totalement absurde !

— Bienvenue dans mon monde.

Je le regarde, partagée entre l'incrédulité et un fou rire naissant.

— Donc, si je comprends bien, tu veux que je joue le rôle de ta fiancée pour tromper ton boss ?

— Exactement.

— Tu réalises à quel point c'est fou, hein ?

— Oh, totalement. Et si tu trouves ça ridicule, je comprendrai. Vraiment. Oublie que j'ai dit ça...

— Je vais y réfléchir.

— Pardon ?

— J'ai dit, je vais y réfléchir, répété-je, un sourire en coin.

Il me fixe, bouche bée, comme s'il ne s'attendait pas à cette réponse.

— T'es sérieuse ?

— Oui, dis-je en me levant. Je ne dis pas oui, mais pourquoi pas ? Ça mérite réflexion.

Il se redresse aussi, un sourire naissant au coin des lèvres.

— Je savais que t'étais un peu folle.

— Faut l'être pour écouter tes idées farfelues, non ?

On éclate de rire.