Fyctia
Chapitre 9
De peur, je sursaute et vacille, tentant en vain de rattraper mon équilibre. Pour éviter la chute, j’accueille le vide et me retrouve à moitié dans les bras d’Ethan. Il me stabilise en me lançant un regard de reproche alors que c’est de sa faute si ma cheville vient de prendre un coup. Je grimace mais refuse de me montrer faible devant lui.
— Je te cherche depuis dix minutes ! Tu aurais pu me dire que tu partais !
Il lui aura donc fallu cinq minutes avant de remarquer mon absence et commencer une traque.
Furieuse, je lui réponds sèchement devant un public croissant. En effet, plusieurs clients sont entrés dans la boutique et n’ont rien de mieux à faire que de se masser autour de nous. Si ça continue, ce show pourrait bien valoir celui des crocodiles.
— Désolée Ethan, tu avais l’air si occupé que je ne voulais surtout pas te déranger.
— Je faisais tout simplement mon travail. Son ton est agacé, voire même blessé.
— Moi aussi ! Figure-toi qu’on avait besoin de moi ici, dis-je d’un air sérieux.
— Pour accrocher de pauvres guirlandes de Noël ?
— Ici je me sens utile. J’en ai marre de nettoyer du caca d’alligator et de te regarder leur faire des poutous poutous toute la journée !
— Je parie que tu es jalouse.
— Pas du tout ! Tu peux faire des bisous à qui ça te chante.
Notre petite scène a de plus en plus de succès et la salle est comble.
— Oh je ne parlais pas de nous mais de toi et eux, peut-être qu’il est grand temps que tu te mettes au travail sérieux, le dressage d’alligators ! Cap ?
Je le regarde bouche bée et ne sais vraiment pas quoi lui répondre. Lizzie, qui nous regardait de loin depuis la caisse, occupée avec le seul client qui n’est pas intéressé par notre altercation, est enfin libre et se dirige à ma rescousse, une boîte en carton dans les mains.
— Tiens Ethan, dit-elle en lui tendant un bonnet de lutin du Père Noël, tu devrais porter ça, ça te détendrait. Quant à toi Paige, tu ferais un parfait lutin aussi, ajoute-elle en plaçant sur ma tête un bonnet vert à grelots. Vous seriez mignons tous les deux dans un show de Noël. Ça plairait aux touristes, n’est-ce pas ? demande-t-elle aux touristes toujours groupés en cercle autour de nous.
Ceux qui ont compris (Lizzie a un fort accent du Sud) approuvent en s’exclamant et un groupe du troisième âge nous applaudit même. Je regarde Ethan et sent dans son regard qu’il a envie de démonter le magasin, mais de un il ne peut pas le faire et de deux, les petites mamies ont dû l’attendrir un chouilla car il finit par desserrer les poings et retrouver un visage apaisé, c’est-à-dire neutre en ce qui le concerne.
— On en rediscutera si tu veux Lizzie mais pour le moment il faut qu’on y aille. Roman voulait prendre sa pause.
— Mais j’ai besoin de Paige, soupire Lizzie, regarde tous ces gens ! Vous allez bien acheter quelque chose messieurs dames n’est-ce pas ? Après toutes ces émotions ! Elle leur sert son plus grand sourire.
— Ok, dit Ethan, c’est moi qui irais remplacer Roman.
Il s’imaginait quoi ? Que j’allais faire le show de 11h45 à leur place ? Lizzie lui met la main sur le bras et minaude de sa plus belle voix :
— Paige va m’aider à la caisse et toi tu accrocheras les décos. Dans quinze minutes je vous libère.
Ethan grommelle un : « C’est bien parce que c’est toi » et monte sur l’escabeau.
Vingt minutes plus tard, je le suis en claudiquant, un pique-nique industriel dans les mains.
— Tu boites ? me demande-t-il après quelques mètres.
— Oui, je te rappelle que tu m’as fait tomber.
— Tu es tombée toute seule, je n’ai fait que te rattraper ou plutôt tu m’es tombée dessus. C’est moi qui devrais porter plainte contre toi. Son ton n’est pas accusateur cette fois. S’il ne me détestait pas je pourrais presque croire qu’il flirte avec moi parce qu’il me fait un demi sourire. Il ajoute qu’il y a une trousse de secours mais qu’on doit se dépêcher à cause du prochain show.
— Tu ne vas pas manger ? je m’exclame en brandissant les sandwichs industriels sous son nez.
— Je mangerai plus tard. Le petit déjeuner était si copieux que je pourrais jeûner autant qu’un croco.
Nous arrivons au hangar et Ethan me fait asseoir dans le seul canapé de la pièce.
— Enlève ta ranger, mets-toi pieds nus et montre-moi cette cheville.
Heureusement qu’il fourrage dans la trousse de secours et ne me voit pas piquer un fard. J’ai transpiré des pieds toute la matinée dans ces horribles chaussures ! Je m’exécute à contre-cœur, priant pour que l’odeur constante du marais couvre celle de mes pieds. Ethan prend un tabouret pour enfant et s’assied en face de moi.
— Voyons voir ça, dit-il en prenant mon pied dans ses mains. Elles sont chaudes, mais je frissonne quand même à ce contact. Tu as la peau douce, ajoute-il en caressant ma cheville légèrement laiteuse.
— Aïe, doucement Ethan.
— Quelle douillette, ce n’est rien du tout, ni bleu ni gonflé. Quelle petite nature tu fais. Tu es sûre que tu veux travailler avec des prédateurs ?
Il applique avec délicatesse mais un peu trop d’insistance un gel sur ma peau avant de me bander la cheville. Je suis perplexe. Comment ce garçon peut-il passer du chaud au froid en alternance plusieurs fois par jour ? Il relève la tête en déposant délicatement mon pied à terre. Nos regards se croisent. Sa voix a beau désormais avoir des intonations caressantes et joviales, son regard reste de marbre, insondable.
L’après-midi se déroule sans encombre et sans intérêt pour ma mission, ma relation avec Ethan ou ma soi-disant passion des crocos. Nous rentrons ensemble à la « maison » et il me parle comme à une collègue, sans amitié ni animosité. Je me sens un peu moins haïe mais toujours aussi perplexe face à sa personnalité.
Une heure plus tard, lorsque je sors de la douche, je me cogne à lui en franchissant la porte de la salle de bain. Il ne pouvait pas ignorer que je m’y trouvais. Nos visages sont à quelques centimètres l’un de l’autre, j’entends sa respiration soudain saccadée, je sens son souffle chaud dans mon cou lorsqu’il me dit :
— Tu ne t’habilles pas ? Il dévisage mon corps encore mouillé et enveloppé dans une serviette. De l’eau dégouline de mes cheveux jusque dans mon cou. Il saisit une mèche et l’enroule entre ses doigts. Sans réfléchir je me rapproche de lui et nos visages se touchent presque. Dans une romance, Ethan m’attirerait contre lui. Mais il lâche mollement la mèche de mes cheveux et recule d’un pas. Il me lance un regarde à la fois de feu et de glace et me susurre dans un souffle avant de faire volte-face :
— Ne t’approche jamais de moi.
0 commentaire