Fyctia
Chapitre 8
Ma nuit a encore été hantée par le visage d’Ethan, par Jeff le croco albinos et des seaux remplis de viande congelée. Je mets la main sur mon téléphone dont l’écran d’accueil est rempli de notifications. Les compte insta de Janice et Vera sont saturés de selfies d’elles dans les montagnes du Colorado. Je soupire, jalouse. Ici, l’absence de climatisation de cette vieille bicoque me voit déjà transpirante à sept heures du matin.
Au moment où je vais reposer mon téléphone, ce dernier se met à vibrer et la tête de mon paternel s’affiche sur l’écran. Oh non, je ne sais pas quoi lui dire. Je rejette l’appel et lui envoie un texto mensonger : « Ne peux pas parler pour l’instant, mais je n’oublie pas ma mission ». Je suppose que c’est pour cela qu’il m’appelle, ça ne lui viendrait pas à l’esprit de s’inquiéter pour savoir si mon corps est déjà recouvert de piqures de moustiques.
Ma mission ? Je dois collecter des informations sur la ferme, savoir si elle est rentable dans un premier temps. Pour cela, travailler au bureau ou à la boutique aurait été plus simple. Je ne me vois pas fouiller les fichiers de comptes en pleine nuit équipée d’une lampe torche. Autre mission, je dois m’assurer que les normes de sécurité et d’hygiènes soient respectées. Papa m’a parlé d’une dernière mission qu’il n’a pas encore voulu me révéler et je crains le pire d’autant plus qu’il est resté vraiment très vague sur ses intentions. Mais je ne suis pas née de la dernière pluie et je sais bien que tout cela est louche, voire pas sympa du tout pour Judy et Garland. D’ailleurs l’odeur de bacon chatouille mes narines, me poussant à descendre. Je crois que je vais pouvoir m’habituer à ce régime finalement.
Mon hôtesse chantonne dans la cuisine où Ethan est attablé devant une assiette géante remplie d’œufs brouillés et de pancakes. C’est tous les jours dimanche ici ! Et que se passe-t-il ? Ethan lève les yeux vers moi et ne me lance aucun regard glaçant. Son regard est neutre, sans animosité et il me lance même un « bonjour » plat où on je n’entends aucune once ironie. Les miracles de Noël existeraient-ils ? On est à moins de dix jours de Noël mais ici j’aurais presque oublié son esprit et sa magie avec cette chaleur. Hormis le père Noël géant à l’entrée du parc devant lequel je n’ai jamais l’occasion de passer et les quelques décorations kitchissimes sur le perron, j’oublierais presque qu’on est à la mi-décembre. Je ne sais même pas si on peut acheter de véritables sapins en Floride.
Garland arrive lui aussi à la cuisine en se tenant le bas du dos. Il a passé une si mauvaise nuit que Judy lui a pris un rendez-vous médical. Ethan, au comble de la prévenance pré-troisième âge, se propose d’accompagner son père, mais ce dernier ne le laisse même pas terminer :
— On a cruellement besoin de toi ici fiston. L’inspecteur qui vient nous délivrer l’autorisation d’exploiter vient la semaine prochaine et il y a du travail. Je te rappelle que tu dois aussi t’occuper de notre stagiaire.
Ethan essaie de protester mais rien n’y fait et il finit par replonger le nez dans son assiette, engloutissant sa portion à toute vitesse.
— Dépêche-toi de finir, me dit-il dès qu’il a fini d’avaler d’un trait son jus d’orange. De mon côté je commence à peine à déguster mes œufs. Le statut quo à mon égard n’aura duré que trois minutes. Je réponds à peine, ce n’est pas Ethan qui me préoccupe mais cet inspecteur. Est-ce un contrôle de routine ? Ont-ils eu des ennuis ? Mon père est-il au courant ? Est-ce en lien avec ma mission ?
Après avoir nourri les alligators avec Ethan, il me confie une mission solitaire de nettoyage. Je donne mon maximum pour lui montrer que je peux me débrouiller seule. Deux heures plus tard, me voilà crottée et transpirante. Je vais m’asseoir dans les gradins et je regarde Ethan et Roman faire des gili gili à Jimmy et ses autres amis vertébrés tétrapodes (oui, oui j’ai révisé mes classiques). Mon colocataire grincheux a l’air tellement à l’aise avec ces charmantes bestioles, je ne serais pas étonnée qu’il se transforme la nuit en alli-garou. Il n’est pas du monde des humains. D’ailleurs sa plastique non plus. Quel crime d’être aussi beau. Tout le monde devrait le détester pour ça ! Beau et arrogant, cela va de pair.
Le show s’est terminé sans que je m’en aperçoive et Ethan est désormais affairé à répondre aux questions de plusieurs visiteuses se pressant autour de lui. Mon téléphone vibre. C’est Lizzie qui me demande si je peux la rejoindre à la boutique. Je n’ose pas interrompre Ethan pour l’informer et pars en catimini.
Il est onze heures et la minuscule boutique est presque déserte. Pourquoi a-t-on besoin de moi ?
—Merci d’être venue, me lance Lizzie quand je franchis le seuil. Les clients affamés vont bientôt affluer, on ne sera pas trop de deux ! D’habitude Judy m’aide quand c’est le rush mais elle n’est pas encore de retour.
Mes yeux font le tour de la petite boutique. Elle aurait bien besoin d’être réorganisée et rangée. Des pauvres objets souvenirs s’entassent sur des présentoirs mal agencés. Et que dire du choix de nourriture ? Je sais bien qu’on n’est pas dans un endroit bobo chic New Yorkais comme j’aime avec pudding de chia et jus spiruline passion, mais on se croirait dans une boutique de station-service. Il faudrait une vraie buvette avec des tables et un petit menu du jour, ça inciterait les gens à rester plus longtemps et consommer.
—Ça te plaît pas ici ? demande Lizzie qui agite sa main devant mon visage pour me sortir de ma rêverie.
—Bien sûr ! Pourquoi tu dis ça ? Je suis gênée et quand cela arrive mon visage devient cramoisi et je me mets à transpirer, ce qui va se voir ici étant donné qu’avec la clim il doit faire seize degrés, dix de moins qu’en zone crocos.
—Ça se lit sur ton visage. T’inquiète pas, c’est pas un reproche, tu as raison. Cet endroit me déprime, c’est pour ça que je t’ai demandé de venir aussi. Ça manque de décorations n’est-ce pas ? J’aurais voulu lui dire que ça manque surtout d’organisation, je ne suis pas sûre que de la décoration puisse y changer grand-chose. La tonne de gadgets est déjà une déco de mauvais goût à elle toute seule ! Mais j’acquiesce docilement, à quoi bon lui faire de la peine ? Lizzie a l’air adorable mais aussi quelqu’un qu’on ne contrarie sous aucun prétexte. Elle a la trentaine et nos tâches de rousseurs nous font un point commun. Ses cheveux sont frisées et attachés en une énorme cascade sur sa tête.
—Parfait, dit-elle avec gaité. J’ai enfin retrouvé les décorations de Noël de la réserve. D’habitude je les mets le 1er décembre, mais cette année impossible, ils étaient tellement bien cachés que j’ai cru qu’on voulait me faire une mauvaise blague.
Alors que j’ai le popotin en l’air sur un escabeau à attacher une guirlande argentée, Ethan débarque en trombe dans la boutique et pour changer me crie dessus :
—Mais t’étais où bordel ?
2 commentaires
MarwanS
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Il y a 12 jours
Beryl L
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Il y a 11 jours