Fyctia
Chapitre 5
Le bureau est vide. La porte d’en face est fermée et je n’ose pas l’ouvrir. Ethan est-il monté ? Je n’ai pas entendu ses pas dans les escaliers. Je décide d’explorer le fond du rez-de-chaussée en empruntant le long couloir sombre qui y mène. Une porte est ouverte, d’où sort une agréable odeur de gratin au fromage. Je réalise que je n’ai pas mangé depuis le minuscule sandwich auquel j’ai eu droit dans l’avion. La pièce est vaste. Un gigantesque îlot central moderne trône en son centre et sur son marbre étincelant sont posés deux énormes plateaux de fruits accompagnés d’un très joli bouquet de fleurs colorées. Un énorme frigo métallique avec distributeur de glaçons et recouverts d’aimants colorés me fait face. C’est Ethan que je pensais trouver dans la cuisine, mais c’est une petite femme rondelette que j’aperçois de dos, penchée sur la crédence, occupée à découper un ananas. Elle se retourne et m’offre son plus beau sourire.
— Tu dois être Paige, me dit-elle. Bienvenue à la ferme « Happy Gator », me dit-elle. Elle a l’air sincèrement heureuse de me rencontrer enfin. J’ai à peine eu le temps de la voir s’essuyer les mains sur un torchon qu’elle est déjà sur moi, m’étreignant et me tapotant le dos. Ta chambre te plaît ? ajoute-t-elle.
— Ma chambre ? Je bégaie. Je dois avoir l’air complètement demeurée, mais elle me sourit avec bienveillance. Elle a des rides au coin des yeux et un regard chocolat. Elle a les cheveux teints en blond et doit approcher la soixantaine. Elle semble d’origine latine, comme de nombreux habitants en Floride.
— Sacré Ethan. Je ne sais pas où il est passé, s’exclame-t-elle tout en gardant le sourire. Je suppose qu’il ne t’a pas fait visiter les lieux ?
Après m’avoir installée dans ma chambre à l’étage et avoir sorti le gratin de macaronis du four, elle m’emmène faire une très rapide visite du propriétaire. C’est bientôt l’heure de fermeture du parc et les touristes commencent à se faire rare. Le dernier aéroglisseur vient se ranger le long du ponton de bois, déversant son lot de touristes rougeauds et heureux. Ces derniers se précipitent pour les uns aux toilettes et pour les autres dans la petite boutique de souvenirs à l’entrée du parc.
— Tu la visiteras demain, me dit Judy, avant l’ouverture, quand il n’y aura personne. C’est le rush maintenant et Lizzie est seule en boutique. On est une petite entreprise, rien à voir avec certains parcs en périphérie de Fort Lauderdale. Ici, pas de débit de touristes, mais de l’authenticité. Mais c’est le rush quand même par moment.
Ça me fait sourire de travers. De l’authenticité ? C’est bien un mot que mon père n’a pas dans son lexique personnel. Ça ne m’étonne pas que cette ferme soit dans son collimateur.
Une heure plus tard, je sors de la douche, le corps délassé et badigeonné de lotion pour le corps à l’abricot. Je rejoins la cuisine, vêtue de mon survêtement en éponge bordeaux. C’est mon préféré et il reste assez classe. La plupart des filles de mon âge portent désormais ces tenues tout confort au quotidien, avec des petits tops courts et sexy et une belle couche de maquillage. Depuis que je travaille pour mon père, je dois porter des tailleurs. Alors ça me fait un peu bizarre d’être en training avec un jersey de baseball, sans faux cils et sans maquillage pour coller au plus près d’une fan de zoologie.
J’arrive dans la pièce et tout est prêt, la table est mise. Judy est en train de poser le plat de mac&cheese qu’elle a réchauffé sur la table et un homme a la tête affairée dans le frigo. Il en ressort une bouteille XXL de ketchup en main.
— Garland est un fan inconditionnel de ketchup, il en mettrait partout si je ne l’en empêchais pas, dit-elle en rigolant doucement et en posant une main affectueuse sur l’épaule de son mari. Elle se moque gentiment de lui mais le regarde avec une telle affection que cela me fait quelque chose au fond du ventre. Mon père regardait ma mère ainsi. Je me demande si un jour je vais aussi connaître ce grand frisson et s’il durera toute une vie.
Je m’assieds sur la chaise qu’elle me désigne du doigt. Une chaise reste vide, ça doit être celle d’Ethan puisque Mike m’a dit qu’il vit ici. Nous commençons à manger. Le gratin est délicieux. Il est comme j’aime, avec des pâtes très cuites, beaucoup de cheddar orange bien gratiné et de chili. Il me rappelle celui de ma grand-mère. Je ne la vois plus, elle ne vient plus nous rendre visite après nouvel an au chalet ou encore au printemps et à l’automne pour voir les arbres de Central Park se parer de reflets dorés. Enfant, j’adorais courir dans les feuilles mouillées avec elle puis prendre un chocolat chaud recouvert de marshmallows à l’hôtel Plazza. C’est au moment où Garland me tend la salade que je sens Ethan s’asseoir en face de moi. Je ne l’ai pas entendu arriver tellement il est invisible, une ombre, un souffle. On dirait qu’il ne respire pas. Il éructe une sorte d’ excuse à propos d’un certain Jeff et nous continuons à manger en écoutant Jody nous parler de ses envies pour le repas de réveillon.
— Quel est ton plat préféré pour Noël ? me demande-t-elle
Comme Je suis mal à l’aise, la voix qui sort de ma bouche se fait à la fois enrouée et fluette quand je réponds que j’adore le gratin de patates douces aux marshmallows.
— Des marshmallows, minaude Ethan, so boring. Et il plonge à nouveau le nez dans son assiette.
Je rêve ou il m’a imitée lorsqu’il a dit « marshmallows » ? Et puis son jugement était tellement condescendant. Ennuyeux ? Comme si les gratins de ce type se mangeaient toutes les semaines! Qu’est-ce que je lui ai fait ? Il a peur que je lui vole son job ? Quelle méchanceté gratuite ! Lorsqu’il relève la tête, je le regarde avec un air de défi.
— Super idée, lance Garland pour rompre le silence gêné qui a empli la cuisine. J’adore ça aussi ! Ça te dit chérie ?
Judy acquiesce. Pour détendre l’atmosphère, elle a la mauvaise idée de me poser des questions sur ma famille et mes études. Je n’ai pas assez révisé. Dois-je dire la vérité le plus possible ou m’inventer une vie de toute pièce ? j’essaie d’être sincère, Judy et Garland ont l’air super, ça me débecte de devoir mentir. Tout le long, Ethan me fixe de son regard bleu acier, me faisant presque peur tellement il a l’air mauvais. Il débarrasse son assiette et fait mine de se diriger vers la porte.
— Tu prends pas de dessert fiston ? demande Garland, enthousiaste.
— Ça va. Merci pour le repas.
Il est déjà parti. Judy s’excuse, d’habitude le dessert est ce qu’Ethan préfère même s’il n’est jamais très causant.
— C’est super d’être entourée d’hommes qui ne pipent mot, je peux tenir le crachoir.
Ils se mettent tous les deux à rire et je les suis volontiers. Ils sont tellement gentils et sympathiques que je me sens moins seule au bout du monde tout à coup. Mais moi aussi je dois aller m’enfermer dans ma chambre pour potasser mes cours sur la faune et la flore. Papa aurait mieux fait d’engager un étudiant dans le besoin, ça aurait été plus simple.
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GwendolineBrument
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Beryl L
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Il y a 4 jours
Aline Puricelli
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Aline Puricelli
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mima77
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Beryl L
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Justine_De_Beaussier
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Beryl L
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Emy Pya & Lara Robin
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Il y a 15 jours