Fyctia

- Alors, comment tu me trouves ?

J’essaie d’éloigner le téléphone le plus possible avec mon bras pour que Janice me voie mieux. Je ne sais vraiment pas où j’ai pu oublier ma perche à selfie. Elle a dû tomber de mon sac. Janice a beau dire que les perches sont so over, elle ne me voit pas en entier et moi j’ai besoin d’elle, seule dans cette cabine d’essayage ! La vendeuse est bien trop âgée à mon goût pour me donner un avis digne de ce nom.

Je finis par demander quand même à cette dernière de me prendre en photo et la poste sur mon compte. Le temps de me rhabiller et j’ai déjà assez de réponses positives et de likes pour oser passer en caisse.

Une fois dans la rue, je rappelle Janice qui est la seule à ne pas avoir ouvertement validé mon nouvel outfit. J’essaie de la convaincre que le jaune moutarde revient en force, mais elle trouve que le total look fait un peu vieux loup de mer, style ciré auquel il ne manquerait plus que le petit pull matelot blanc à rayures bleues pour couronner le tout.

Je proteste, ce n’est pas un total look, seule la parka est jaune, le bonnet est d’un beau vert forêt. Cela change de mes tenues habituelles où le blanc, le beige et le rose poudré dominent. De quoi se plaint-elle ? Au moins elle ne me perdra pas sur les pistes! Je suis bien décidée à foncer et tant pis pour elle si avec les autres elles n’arrivent pas à me suivre ! C’est fini l’ère de la gentille Paige accommodante, non mais ! Je prétexte un double appel pour pouvoir abréger mon échange avec Janice et me dirige vers le premier café venu, j’en ai bien besoin. J’avoue que je suis un peu déçue de la réaction de ma meilleure amie.

Je trempe les lèvres dans la mousse de mon mocaccino déjà un peu tiède et émiette distraitement un muffin caramel dans mon assiette sans le manger. Pourquoi me suis-je vexée pour si peu ? Ce n’est qu’une veste. Depuis quand suis-je aussi sensible ? Je pense à ma mère, d’habitude c’est toujours avec elle que je faisais mon shopping hivernal. Je me sens triste d’un coup et cela se voit à mon reflet que je contemple dans la vitrine du café d’une rue parallèle à la cinquième avenue où je viens de faire mes courses. Bien qu’il ne soit pas aussi net que dans un miroir, j’essaie de fixer avec bienveillance ces yeux qui me regardent dans la vitre, les miens, de couleur ambre avec des éclats noisette, des yeux qu’on n’oublie pas, des yeux de félins qui comme les leurs ont une forme légèrement en amande, mais trop petits à mon goût et avec des paupières plutôt fines que je n’arrive pas à habiller de plusieurs nuances de fard à paupière. Les mêmes yeux hypnotiques que ceux de ma mère. Peut-être est-ce pour cela que papa ne me regarde plus aussi souvent ?

Je passe la main dans l’ondulation blond doré de ma chevelure. Je ne suis pas retournée chez le coiffeur depuis longtemps, et des racines cuivrées pointent le bout de leur nez. Peut-être que je devrais assumer mes origines irlandaises plutôt que de me cacher derrière ce blond californien ? Ma peau laiteuse et mes taches de rousseurs ne trompent pourtant personne. Je finis par enfourner machinalement le muffin dans ma bouche et le fait passer avec le reste de café onctueux. Je n’ai aucun plaisir à manger alors que je me réjouissais de cette petite récompense bien méritée après un shopping éreintant.

Je sors du café en affichant un sourire, je suis bien décidée à voir le positif de tout cela. J’étais tellement excitée ce matin à l’idée de ce shopping et surtout des prochains jours à venir ! J’ai racheté toute une panoplie pour le ski et plusieurs pulls en cachemire et mohair tout doux pour les soirées entre copines au chalet. Cela va être tellement incroyable de renouer avec la tradition du Noël à la montagne avec mes copines après ne pas avoir vu Janice depuis plusieurs mois ! Et puis je trouve que j’ai bien mérité ces vacances, mon père me fait trimer comme une dingue dans l’entreprise depuis un peu plus d’un an maintenant.