Fyctia
6 - Nicolas
Henry n’a pas fait dans la dentelle, c’est le moins qu’on puisse dire. Le chalet est sublime. Une grande cuisine, un salon digne d’un magazine de déco, un immense canapé installé devant une cheminée où crépite déjà un feu qui réchauffe même les âmes les plus gelées. Un sapin de Noël gigantesque trône dans un coin, et les décorations dignes d’un film de fin d’année finissent de rendre le lieu encore plus féerique.
— Notre chambre à ma femme et moi est à l’étage. Les vôtres sont dans ce couloir. La chambre de Ninon est proche de la salle de bain. À vous de vous partager les deux autres ! nous balance Henry avant de disparaître, aussi serein qu’un mec qui vient de déposer une bombe.
Ninon court déjà voir sa chambre avec un sourire complice. Elle sait très bien ce qu’elle fait. Et je sais que ce n’est pas très mature de le penser, mais j’aimerais bien partager une chambre avec elle… comme avant. Mais je suis trop vieux, et elle mérite son intimité.
— Je prends une chambre pour moi. J’ai besoin d’intimité pour appeler ma fiancée, décrète Rémi, sans même attendre une réponse.
Vic ne réagit pas. Elle reste plantée là, ses valises aux pieds, dans le salon.
Bon. Dernière chambre en jeu. C’est soit elle, soit moi. Et franchement, connaissant ma chance, je devine déjà le verdict.
— Et toi ? Pourquoi toi tu aurais ta chambre ? je lui lance, certain qu’elle va me sortir une excuse bancale.
Mais non. Elle hausse les épaules.
— J’ai rien à dire. Prends la chambre si tu veux.
Pardon ?
Elle enlève son manteau, s’installe sur le canapé, comme si de rien n’était. Elle est calme. Trop calme. Pas normal. Et il est hors de question que je laisse une femme dormir sur un canapé.
Alors sans un mot, je prends sa valise, traverse le couloir et la dépose dans l’une des chambres. Elle est spacieuse, chaleureuse. Grand lit à baldaquin, armoire, tables de nuit. Le genre de chambre où on s’imagine très bien à deux… enfin, dans un autre contexte.
Je pose sa valise sur le lit moelleux et me retourne. Vic entre, bras croisés, regard méfiant. Et avec sa chemise noire et sa jupe patineuse… ouais, elle est sacrément mignonne.
— Pourquoi ? me demande-t-elle, intriguée.
Je m’approche, frôle presque sa silhouette. Son parfum m’assomme en pleine poitrine. Et au moment de passer la porte :
— Parce que je suis bien élevé, voilà pourquoi.
Et je disparais, direction le canapé. Un vrai gentleman. (À moitié boudeur, mais gentleman quand même.)
*
On se retrouve tous à table pour notre premier repas en Laponie. La salle à manger est cosy, ambiance bois massif, fauteuils rembourrés, baies vitrées avec vue sur la neige qui tombe comme dans un film. À croire que Netflix a produit cette soirée.
Vic se retrouve à côté de moi. Encore. Mais ce n’est pas ma faute cette fois. Elle est arrivée en dernière. Dernière place dispo : juste à ma droite. Karma, baby.
Des serveurs nous entourent. Un cuisinier a été engagé. Henry vit clairement dans une autre réalité.
— Tu peux me passer le pain ? je demande en tendant la main vers Vic.
— Prends-le toi-même, rétorque-t-elle en s’empiffrant de purée.
D’accord. Elle est encore en colère. Mais sérieusement, j’ai été irréprochable. J’ai cédé la chambre, je suis poli… je fais tout bien. Alors c’est quoi, maintenant ?
— T’es sérieuse ?
Son regard pourrait tuer. Glacial, précis… mais il y a autre chose dedans. Un truc qu’elle ne dit pas.
— Très.
Je souffle, attrape la corbeille de pain moi-même, en me penchant juste un peu trop vers elle. Juste pour l’embêter. Rémi et Ninon ricanent dans leur coin. Même ma sœur me lâche.
— Vous êtes pires que des enfants, commente Henry, hilare.
Vic s’étouffe avec son pain. Moi je souris. Si seulement Henry savait que c’est probablement notre record d’interactions à ce jour.
— Correction : lui est un enfant, tranche Vic, en découpant sa viande comme si c’était une opération à cœur ouvert.
Je la fixe, un peu déstabilisé. J’ai pas l’impression d’avoir été gamin aujourd’hui… avec elle, en tout cas. Un drôle de truc me serre la gorge. Tiens, ça s’appelle comment déjà ? Ah oui. La colère.
— Oh là là, c’est romantique… souffle Ninon, voix basse, mais bien assez forte pour qu’on l’entende tous.
Je manque de m’étouffer. Vic recrache son eau. Sérieusement ?
Je me tourne vers ma sœur, prêt à lui demander si elle est malade, mais Vic me devance :
— Pardon ?!
— Ah non, pas encore cette théorie… gémit Rémi.
La fameuse théorie de bureau. Si deux personnes ne se supportent pas, c’est qu’elles sont faites l’une pour l’autre. La version corporate du "qui aime bien châtie bien".
— Bah quoi ? Vous vous disputez comme un vieux couple. Ça fait monter la tension. Tout le monde voit ça.
Je regarde Ninon. Je l’aime, ma sœur. Mais là, elle parle comme si elle avait trente ans d’expérience en psychologie relationnelle.
Vic devient écarlate. Et moi, je reste là, à me demander pourquoi ça la touche autant. C’est vexant, quand même. Je suis si insupportable que l’idée d’un "nous" lui file des boutons ?
— C’est faux ! claque-t-elle.
Elle replonge dans son assiette. Moi, je me tais. Y’a un truc là-dessous. Mais je pige pas encore quoi.
Henry, lui, se marre doucement en servant du vin chaud.
— En tout cas, ça nous promet un mois… chaleureux.
Je préfère me concentrer sur mon assiette. On nous sert du saumon fumé, du ragoût de renne, de la purée et du pain noir. Ça change. Mais c’est pas mal.
— Bon, alors Henry, lance Rémi, enfin prêt à sauver cette conversation. On aura des indices sur les épreuves à venir, ou c’est encore un mystère à la con ?
Henry se penche sur la table, l’œil qui pétille. Monique sirote son vin, l’air de rien. Je suis sûr qu’elle est dans le coup. Elle a l’air sage, mais je sens la passion de Noël sous la surface.
— Ce serait trop facile si je vous disais tout maintenant, non ?
Vic soupire bruyamment et pose ses couverts. Elle fixe Henry comme s’il venait de lui annoncer qu’elle allait passer un mois sans Wi-Fi.
— J’aurais dû m’en douter.
— Mais je peux vous dire une chose… Les défis commenceront demain matin.
Je redresse la tête.
— Attends, quoi ? Demain déjà ?
— Évidemment, Nicolas ! Noël, ça se prépare. Et je veux voir qui est prêt à donner corps et âme pour l’esprit de Noël.
Vic se masse les tempes. Moi, je ne vois que son poignet bouger.
— Tu veux dire… qu’on va se lever demain sans savoir ce qu’on va devoir faire ?
Henry acquiesce avec la joie d’un gosse de six ans.
— Exactement !
Je me laisse tomber en arrière, repu, déjà fatigué rien qu’en imaginant la suite. J’essaie de faire mon blasé… mais au fond, je suis curieux. Même excité. Je suis un gosse, moi aussi. Pas fan de Noël, mais fan des jeux. Et si ça peut faire plaisir à ma sœur et me faire décrocher le job de mes rêves… alors je vais devenir le roi des lutins.
— Super. J’ai hâte.
— On va souffrir, murmure Rémi avec un sourire résigné.
— Mais avec panache ! conclut Henry en levant son verre.
1 commentaire
Sarael
-
Il y a un mois