Fyctia
2- Victoria (1/2)
La soirée bat enfin son plein. Je ronge mon frein, car je sais que je n’ai pas le choix. J’entends à peine les discussions entre Amy et Rémi, qui se tiennent par la main comme deux amoureux transis – ce qui est, techniquement, le cas.
Henry nous a salués chaleureusement avant de disparaître pour accueillir les autres invités. Dans son costume ajusté, il est très séduisant pour un homme qui aurait dû prendre sa retraite il y a déjà cinq ans. Mis à part le fait qu’il est marié à la même femme depuis plus de trente-cinq ans, il est aussi marié à son entreprise. Ou peut-être est-ce sa maîtresse, au choix.
La chaleur devient étouffante, et mon estomac se noue. J’ai l’impression d’être un condamné à mort attendant le verdict. Trop d'incertitudes. Trop de mystère. Je serre les poings sous la table, m’efforçant de ne pas céder à mon envie irrationnelle de fuir. C’est si inconfortable que je me mets à me gratter le dos de la main. Je le fais de plus en plus souvent. Je n’ai rien, bien sûr, c’est juste nerveux. Je me répète sans cesse que je suis capable de m’arrêter, que je peux m’en empêcher. Parfois, j’y arrive. Surtout lorsque je vais le soir à ma salle de sport pour décompresser. Mais ce soir, avec tous ces mystères, je n’arrive pas à me calmer. Alors je gratte, mes ongles arrachant petite couche après petite couche, me ramenant à la réalité.
Une chaleur s’installe dans mon dos, et je me fige. Cette odeur, je la connais par cœur. Nous ne sommes peut-être pas dans le même secteur, mais nos bureaux sont l’un à côté de l’autre. Et il s’amuse à me mettre la tête à l’envers.
Je me retourne doucement, essayant d’arborer mon plus beau sourire, cachant autant que possible mon dédain pour lui.
— Qu’est-ce que tu veux ? Ma voix froide claque autour de nous.
Ses yeux se baissent sur ma main rouge, que je cache immédiatement dans mon dos. Qu’il s’occupe de ses affaires et me laisse tranquille.
— Henry va annoncer sa grande nouvelle ! Il demande à tout le monde de s’installer autour des tables.
Une voix posée… Étonnant, venant de lui. Je me retourne pour voir que tout le monde est déjà à sa place et soupire. Je me suis encore perdue dans mon propre monde. J’hoche la tête pour le remercier avant de me diriger vers la table d’Amy et de Rémi. Il reste encore deux places. Je trouve la mienne et, au moment de m’y installer, Nicolas tire la chaise dans un geste étrange. Il attend, les deux mains sur le dossier, que je m’assoie avant de pousser la chaise. Mais qu’est-ce qui lui prend ce soir ? Il est bourré ou quoi ? Puis, il prend place à nos côtés. Je préfère ne rien dire.
Henry, à la table juste à côté de nous, fait tinter son verre pour obtenir le silence. Son large sourire ne me dit rien qui vaille, tandis qu’Amy, elle, semble surexcitée. Mon souffle est court. C’est enfin le moment que j’attendais depuis des jours. L’instant où tout va changer… Et je n’aime pas le changement. Je l’ai dit, ça, non ?
Nicolas me tourne le dos pour mieux admirer notre patron. Je ne le reconnais pas. D’ordinaire, il est toujours si… enjoué, pour rester polie. Toujours à plaisanter. Toujours à vouloir détendre l’atmosphère. Mais ce soir, il semble différent. Je secoue la tête. Ce n’est pas le moment de m’attarder sur lui. Henry doit nous annoncer quelque chose, et je dois être attentive.
— Mes chers amis, mes chers collègues. Depuis plusieurs années, Henry & Co. se développe sur le territoire. Les publicistes font désormais partie de nos clients les plus fidèles. Nous avons forgé une réputation basée sur le travail et le sérieux. Et pour tout cela, je vous dis merci. Merci de faire de cette entreprise mon rêve. Notre rêve.
Je lève les yeux au ciel. Voilà qu’il devient mignon. Abrège, Henry, viens-en au fait !
— J’ai une très bonne nouvelle à vous annoncer. L’entreprise grandit tellement que j’ai besoin d’un président adjoint, non seulement pour me seconder, mais aussi pour m’aider à profiter de mes vieux jours en compagnie de ma très chère et magnifique épouse !
Monique rougit légèrement. Elle n’aime pas particulièrement qu’il la mette en lumière, et je peux le comprendre. Henry est tellement solaire qu’à côté de lui, il est difficile de briller. Et je pense qu’elle apprécie cette place dans l’ombre.
Les paroles d’Henry suscitent des exclamations surprises. En même temps, lui qui refuse toujours de prendre du repos nous annonce qu’il veut passer plus de temps avec sa femme et déléguer une partie de ses responsabilités. C’est très étrange.
J’attrape mon verre d’eau et en avale une gorgée pour faire passer la petite boule qui se forme dans ma gorge. S’il lui faut un président adjoint, il a sûrement déjà fait son choix. C’est donc ça qu’il va annoncer. Je me demande qui va obtenir ce poste.
— Je sais, je sais. Accepter de déléguer est une décision difficile pour moi, mais je ne m’arrête pas. J’ai simplement besoin d’un peu d’aide. Et pour trouver la perle rare, j’ai décidé de choisir parmi vous celui qui aura cette formidable chance.
Cette fois-ci, un silence de plomb s’installe. On pourrait entendre une mouche voler. Mon cœur bat la chamade, et je ne peux m’empêcher de me gratter. À côté de moi, Rémi se tend, tandis qu’Amy affiche son sourire le plus tendre. Nicolas, lui, me tourne toujours le dos, bien que je distingue ses épaules crispées.
— Parmi vous, trois personnes ont déjà été présélectionnées au cours de ces derniers mois. Les critères étaient simples : savoir travailler en autonomie et en équipe, être une bonne personne. Mais il me manquait un point essentiel pour permettre à ce futur directeur adjoint de prendre pleinement sa place dans cette entreprise. A-t-il la même vision que moi ? Pour le découvrir, j’ai concocté une surprise. Les trois candidats viendront passer le mois de décembre avec ma femme et moi en Laponie, dans le village du Père Noël. Celui qui saura me prouver qu’il aime autant Noël que moi obtiendra le poste.
Mon cerveau bugue. La Laponie ? Pour prouver notre amour de Noël ? C’est une blague ? Mon estomac se contracte, et je sens mes ongles s’enfoncer dans ma paume. Ce n’est pas possible. Pas moi. Pas ça.
Henry tourne son regard vers notre table, et un sourire illumine son visage déjà rayonnant. L’appréhension me gagne. Même si ce serait une opportunité incroyable, je ne pense pas avoir la carrure pour lui montrer que j’aime Noël… alors que je déteste cette fête. Pourvu que je ne fasse pas partie de sa liste ! Noël. Ce mot me donne des frissons. Pas ceux d’excitation enfantine, non. Ceux qui glacent le sang, qui ramènent des souvenirs qu’on préférerait enterrer.
— Je vais maintenant vous annoncer les trois candidats que j’ai retenus. Rémi Lenvers, Nicolas Morin et Victoria Campos.
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Krissa Danos
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NICOLAS
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leysa
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