Fyctia

Lou et Joan, encombrés chacun d'un grand saladier, parviennent non sans encombre à la salle des fêtes, accueillis par une clameur réjouie de quasiment l'ensemble des personnes présentes. Si ils voulaient passer incognito, c'est complètement raté !

- Voilà la crème anglaise !

- Vous en avez mis du temps !

- Vous êtes allés chercher les œufs dans le poulailler ?

- Joan, elle t'a tenu le fouet pour battre la crème ?

Les réactions fusent de toute part. Les jeux de mots grivois sur la crème rendent Lou extrêmement mal-à l'aise. Elle sent qu'elle est plus rouge que les guirlandes qui décorent la salle.

Heureusement Joan prend une voix forte et calme les ardeurs de tous les moqueurs.

- Si vous voulez manger le fameux gâteau de mamet avec la crème anglaise, il faudrait faire le service au lieu d'embêter les livreurs !

- Lou pose son saladier et se faufile telle une petite souris le long du mur pour rejoindre Lily, qui s'active avec Mimi derrière le bar.

Dès qu'elle est assez proche d'elle, elle la questionne, inquiète.

- Ou est Mandy ? Elle a assisté à cette honte internationale ?

- Non, ma poulette. Tu as de la chance, elle est sortie il y a quelques minutes avec ses amis.

- Ouf ! Je m'en serais trop voulue si elle avait vu ça. Elle est sortie pour quoi faire ?

- Elle ne me l'a pas dit, mais ils ne peuvent pas faire de bêtises ici. Laisse là vivre ses expériences.

Mimi se mêle à la conversation.

- Pourquoi tu es inquiète qu'elle te voit avec un homme ? Tu as le droit de t'amuser un peu !

- Le problème c'est que ce n'est pas un jeu pour moi. Mandy est en pleine crise et je ne veux pas la brusquer en lui imposant la présence d'un étranger dans notre vie.

- Si tu veux mon avis, fait ce que tu as envie quand tu veux, sans craindre ses réactions, sinon elle te fera du chantage et tu resteras célibataire toute ta vie ! Un enfant qui a des parents séparés en profite et les fait culpabiliser à la moindre occasion. Je parle en connaissance de cause.

Mimi a l'air de savoir de quoi elle parle et cela fait réfléchir Marylou. C'est vrai que sa fille la vampirise parfois, sous prétexte qu'elles sont souvent seules toutes les deux. Les cadeaux empoisonnés de son père, qu'elle ne voit quasiment jamais, n'aident pas non plus. Marylou ne voulait pas que Mandy ait un téléphone aussi jeune, et encore moins l'accès aux réseaux sociaux. Mais lors d'un week-end chez son père, tout cela s'était décidé sans elle , et ensuite elle n'avait eu qu'à subir. Si elle l'avait supprimé à sa fille, elle serait passée pour la méchante, et sa fille ne lui aurait plus parlé. -Que c'est dur d'être mère célibataire- pensa-t-elle en soupirant.

Lily fait une remarque qui met tout le monde d'accord.

- C'est la première fois que j'assiste à un noël ou personne ne se fait de cadeau, pourtant l'ambiance est excellente.

C'est vrai que tout le monde a l'air très heureux. Le moment de noël est tellement attendu et surfait. On fait semblant d'être heureux même si on ne l'est pas. On remercie pour un cadeau qu'on trouve pourri. Toutes ces hypocrisies n'ont pas lieu d'être ce soir. Cela évite beaucoup de tensions, sauf entre deux personnes.

Joan est en pleine conversation avec Sylvie. Lou l'entend de là ou elle se trouve. Ils n'ont pas l'air d'être d'accord.

- L'expédition des vieux qui croient tout savoir n'est toujours pas revenue. On ne va pas rester là à les attendre et à se tourner les pouces, non ?

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'envoyer encore des personnes dans une autre direction pour chercher les secours. On est pas dans le tiers monde, quand même. Je suis sûre qu'on aura des nouvelles de la ville demain, ou que l'armée ou les pompiers viendront à nous rapidement.

- Moi je n'en suis pas convaincu. Si ils sont débordés et que tous les autres villages de la vallée sont comme nous, ils ne sont pas prêts d'arriver. Tu ne peux pas m'empêcher de faire ce que je veux. Tu verras que tu me remercieras plus tard.

Sur ces mots, Joan fait demi-tour et s'approche du groupe des trois femmes.

- Alors Lou ! Prête pour partir en expédition demain à six heures du mat ?

Marylou roule de grands yeux.

- Six heures ! Mais le jour ne se lève qu'à huit heure à cette saison.

- Etant donné la durée de la rando, si on veut la boucler dans la journée, il faut partir tôt à la frontale.

Marylou frisonne rient que de penser au froid et à la nuit en pleine montagne.

- Je ne suis pas capable de faire ça, et surtout je n'ai pas l'équipement nécessaire.

Lily lui met une grande tape dans le dos.

- Tu rigoles ! Une sportive comme toi ! Je suis sûre que tu en es capable. Ce ne sera pas ta première rando difficile. Je me souviens très bien de notre ascension du dôme des écrins l'été dernier. Tu étais toujours en tête ! Pour la parka et le pantalon d'hiver, j'ai ce qu'il faut, et on fait un trente-huit toutes les deux, donc tout est parfait !

Lou fusille son amie du regard. Elle balance des trucs perso comme ça, sans lui demander l'autorisation. Joan sait maintenant la largeur de ses fesses !

Joan a un air admiratif, elle ne sait pas si c'est pour le trente-huit ou le massif des Ecrins...

- Les Ecrins ! C'est un beau sommet pour des amateurs. Je confirme que tu es tout à fait en capacité de passer le col de demain.

Lily en rajoute une couche et Marylou a l'impression d'être une sardine prise dans un filet.

- Je te garde Mandy, profites en ! Joyeux noël poulette !

Lou lui murmure à voix basse.

- Lily, tu ne perds rien pour attendre !