Fyctia

Le réveil à cinq heure trente est difficile pour Marylou. Elle tripote le vieux réveil déniché par Lily dans tous les sens, sans succès, puis tape violemment dessus . Ce truc improbable avec des clochettes frétillantes émettant un bruit suraiguë qui lui vrille le crâne est enfin mis hors d'usage. Elles ont mis demi-heure à trouver comment le régler avant de se coucher. Le problème étant qu'elles n'avaient pas réfléchi à comment l'éteindre. Un bon coup sur la tête semble une méthode efficace, car les clochettes se sont tues pour de bon.

Elle est tentée de se laisser glisser dans le sommeil qui l'appelle, et de rester au chaud dans son duvet, mais son cœur lui rappelle que ce n'est pas n'importe qui qui l'attend en ce matin de noël. -C'est plutôt matinal et original comme rendez-vous !-

Elle se lève le plus discrètement possible et emporte le réveil clochette au cas ou il se remettrait à frétiller. Comme ça il ne pourra pas réveiller Mandy qui dort comme un loir.

Marylou esquisse un sourire en s'habillant près du poêle dans la pièce principale. Cela lui réchauffe le cœur de voir sa fille chérie sourire et rire autant. Elle reprend vie ici. - Moi aussi, j'ai l'impression que mon cœur dégèle et que je retrouve le bonheur ici-

La veillée de noël s'était terminée vers minuit, tout le monde s'éclipsant tour à tour, après avoir débarrassé et nettoyé un peu. Les gens étaient fatigués par les évènements récents, et l'accordéoniste, qui avait un certain âge, était parti depuis un moment.

Marylou avait apprécié la discrétion de Joan, qui s'était contenté de lui lancer des regards et des sourires discrets. Mandy était réapparue peu avant la fin, hilare, avec sa bande de copains. Elle avait immédiatement demandé à sa mère si elle pouvait passer la journée de noël avec ses nouveaux amis.

Marylou avait été surprise, puis elle s'était dit que c'était un signe du destin. De toute façon elles fêteront noël plus tard en famille, quand elles pourront retourner à la civilisation. Lily l'avait rassurée avant même qu'elle ne lui pose la question. Sylvie les avait invitées à manger chez elle, donc elle irait comme prévu. il fallait absolument que son amie profite de son cadeau de noël !

Joan toque discrètement à l'heure convenue. Marylou ouvre la porte et tire son sac à dos dehors sur le pas de la porte, avant de se redresser. Il a une allure assez comique avec son bonnet et sa frontale.

- Vous passez un peu tôt père noël !

Joan s'approche à quelques centimètres de son visage et reste immobile un instant, sondant son regard. Marylou tend ses lèvres et ils s'embrassent tendrement, la chaleur de leurs visages créant un halo de buée qui gèle dans l'instant.

- Joyeux noël ma belle louve!

- Joyeux noël Joan ! Il va falloir que je te trouve un surnom à toi aussi. -Je l'ai déjà baptisé l'ovni, mais je ne vais pas lui dire !- Je n'ai pas de cadeau pour toi, désolée.

- Moi j'en ai un , mais je te le donnerai plus tard pour ne pas t'encombrer.

Il lui fait un petit bécot sur le front, puis s'éloigne d'elle pour fouiller dans ses affaires au sol.

Marylou prend une moue boudeuse.

- Il ne fallait pas ! Maintenant je me sens mal de ne rien avoir pour toi.

Joan lui attache un casque et des crampons d'alpinisme à l'avant de son sac.

- Tu trouveras bien quelques grattes culs ou autres végétaux piquants en chemin !

Marylou pouffe. Il a raison, elle va forcément trouver matière à lui révéler ses sentiments au cours de leur randonnée.

Il soulève alors son sac et l'aide à passer ses bras dans les anses.

- Voilà ma petite louve ! Prête à courir dans la montagne avec tes congénères ?

- Si on m'avait dit que je ferais ça le jour de noël, je ne l'aurait jamais cru !

- La vie serait triste sans imprévus !

Ils se mettent en route dans la nuit. Les étoiles brillent fort, signe que le temps est dégagé et qu'ils auront une météo agréable, au moins en début de journée. Marylou ne peut s'empêcher de lever les yeux vers le ciel régulièrement, pour identifier quelques constellations qu'elle connaît.

Ils ne parlent pas, respectant le silence de la nuit qui précède l'aube.

Ils se prennent la main un instant, puis renoncent en riant, l'épaisseur des gants rendant la position inconfortable.

A la sortie du village, Joan prend un sentier qui tourne vers l'Est. Ils continuent à marcher côte à côte, le sentier étant encore large.

Joan entame la conversation.

- C'est une chance qu'il n'ait pas encore neigé à basse altitude cette année.

- C'est anormal ?

- Oui, d'habitude les premières neiges tombent avant le mois de décembre dans cette vallée.

- On va dire que c'est le réchauffement climatique ?

Joan soupire.

- Dérèglement climatique plutôt. Si tu veux mon avis, tout ça est utilisé dans les hautes sphères pour faire culpabiliser les gens, et leur gâcher la vie. Les donneurs de leçon continuent à prendre leurs jets privés, et ils investissent dans le green washing pour se donner bonne conscience, ou nous le faire croire.

Marylou est ravie de découvrir que Joan a des opinions bien tranchées et réfléchies.

- Je suis d'accord avec toi. Quand je vois les programmes scolaires de ma fille et ce qu'on leur fait apprendre, en particulier en histoire géographie, je suis outrée. Egalité mon cul ! La liberté, on a bien vu aussi comment ils se sont assis dessus.

Joan rit à sa remarque.

- C'est vrai qu'on nous fait un bon lavage de cerveau dès le plus jeune âge pour qu'on adhère au système comme de bons petits moutons.

- Moi j'appelle ça des "mougeons". Des moutons croisés avec des pigeons. Pendant le covid, le troupeau a bien marché vers l'abattoir !

Joan acquiesce tristement.

- Oui, une bien sombre période.

- Comme tu dis. J'ai dû fermer mon magasin à cause des interdictions de sortir et des confinements. Quand les gens ont le droit de sortir une heure, ils vont acheter de la bouffe et du PQ.

- Tu avais ta propre boutique ?

- Oui, j'étais à mon compte depuis 7 ans, et ça marchait bien.

- Je suis désolé pour toi.

- Tu n'y es pour rien, mais je te remercie.

Le sentier rétrécit, les empêchant de poursuivre leur conversation. Joan passe devant pour ouvrir la marche et réguler l'allure. Ils attaquent les pentes raides qui mènent au col, quand le soleil pointe au-dessus des montagnes en face.

Marylou s'arrête et se tourne. Une joie soudaine envahit son cœur devant la vue imprenable sur la montagne qui s'éveille. Ressentir les rayons du soleil sur son visage, en compagnie de son beau guide, la comble de bonheur. Elle ne voudrait être nulle part ailleurs ! Même pas dans son lit. -Tout est parfait !-

- Timing parfait Joan !

Il s'arrête un instant et se tourne vers elle.

- C'est une des choses que j'arrive à bien calculer avec l'expérience. On a beaucoup de chance que le temps soit dégagé.