Fyctia

Les deux amies d'enfance remontent une ruelle en pente du village, tout en plaisantant sur la durée des vacances forcées qui leur sont imposées par la chute du pont.

L'adrénaline générée par les événements inattendus qui se sont produits est retombée, pour laisser la place à un étrange sentiment de liberté un peu honteuse, comme lors du premier confinement.

Lily s'immobilise à la dernière maison, qui n'est pas collée aux autres, et met un petit coup de coude à Marylou.

- C'est là ma belle. Je te laisse te débrouiller, je suis impatiente d'aller voir ce qui se passe près de la rivière !

Marylou proteste.

- Non, s'il te plaît ! Me laisse pas seule avec l'ovni ! Il est trop relou ce mec !

Lily part dans un grand éclat de rire.

- Toi, peur d'un mec ! Non ! Tu me raconteras quelle vieille technique de drague il va essayer cette fois. J'en suis morte de rire d'avance !

Lily prend un air de penseur comique, majeur sur le nez, et fait mine de réfléchir.

- Le chant du cygne, peut-être ?

Lou ne peut se retenir de rire. Son amie est vraiment une petiet bout-en-train qui dériderait n'importe qui.

Elle fait mine de lui sauter à la gorge.

- Hors de ma vue avant que je t'étripe !

Lily fait semblant de courir, ralentie par son parapluie, en s'éloignant du porche de la vieille maison de pierre un peu austère.

Marylou soupire quand son amie disparaît de sa vue dans le virage. Elle sait que Lily la laisse volontairement seule avec cet homme. Pourtant elle doit connaitre sa réputation. Elles n'ont pas eu le temps d'en parler avec tous ces événements. Elle se promet de mettre le sujet sur la table ce soir, pour que Lily comprenne bien qu'elle ne veut pas se laisser séduire par ce petit jeune.

En attendant, elle se tourne vers la façade banale du bâtiment à un étage et toque trois coups sur un joli heurtoir métallique en forme de chamois.

Une voix masculine très étouffée se fait entendre assez rapidement. Les vieilles portes en bois sont très épaisses et isolent bien les sons.

Joan ouvre et paraît surpris.

- Oui ?

Marylou décide de ne pas prendre de pincettes pour lui faire comprendre qu'elle n'a pas apprécié son autoritarisme sur le parking du village.

- Je viens chercher les clefs de ma voiture ! Vous vous souvenez ? La vieille Twingo que vous avez prise sans me demander mon avis !

L'ovni fait les yeux ronds, puis se ressaisit et prend une expression froide.

- Faudrait plutôt me remercier mademoiselle, car le parking a disparu quelques minutes après dans le torrent !

Marylou est déstabilisée. - Le parking aussi ! Mais alors il a sauvé Titine !-

Titine est le surnom affectueux que Marylou donne à sa voiture âgée de 27 ans. Elle l'a achetée dès qu'elle a eu son permis en poche, le jour de ses 18 ans, et Titine l'a toujours accompagnée dans les bonnes, comme dans les mauvaises aventures, sans jamais lui faire vivre de galères supplémentaires. C'est vraiment une bonne voiture. Jamais une panne idiote. Juste un pneu crevé de temps en temps. Elle y est vraiment attachée, comme à un être vivant.

Marylou déglutit et s'apprête à s'excuser et remercier le sauveur de la journée, mais il ne lui en laisse pas le temps. Son visage souriant l'invite à entrer et il lui épargne gentiment cette humiliation.

- C'était un plaisir de vous rendre ce service, ne me remerciez pas ! Entrez, je vais chercher la clef que j'ai posée sur la table de la cuisine. Je comptais vous la ramener de suite en redescendant chez Mimi. Mme la mairesse a décidé que ce serait notre QG pour les jours à venir.

Marylou bafouille et entre à sa suite.

- Ah, oui, merci.

Elle est soulagée que Joan se soit détendu si vite, et qu'il lui rende rapidement sa clef. Elle constate avec surprise qu'il fait preuve d'une maturité plus grande qu'elle, alors qu'il est plus jeune . La honte ! Cela la met dans la position de la petite fille prise en pleine démonstration de mauvais caractère, tandis qu'il prend le rôle supérieur du plus mature. Il en devient d'ailleurs très attirant. Elle a envie de prendre ses jambes à son cou !

Elle ne le suit pas jusqu'à la cuisine, car son regard est attiré par une véranda sur la gauche, dans laquelle sont suspendus des dizaines de bouquets de fleurs séchées.

Incroyable ! Cela ne colle pas du tout avec le personnage.

-C'est vraiment un ovni.- Pense-t-elle.

Il la rejoint quelques secondes plus tard en agitant la clef de Titine.

- Voilà la clef ! Vous pouvez laisser votre voiture dans ma grange si vous voulez. Vous pourrez venir la récupérer en faisant le tour de la maison par la droite. Je n'ai pas de portail.

Marylou est entrée dans la véranda sans autorisation et elle se promène entre les fleurs de montagne qui embaument la pièce. Elle tourne vers Joan des yeux qui pétillent.

- C'est vous qui faites ça ?

- Oui. Je suis passionné par les fleurs depuis tout petit. Ma mère était herboriste et elle m'a enseigné l'amour des plantes et certains de leurs bienfaits. Je fais des décorations avec des fleurs séchées l'hiver, ça m'occupe. Vous aimez les fleurs ?

- Plutôt oui, je suis fleuriste !

Joan rit de la coïncidence.

- Ça alors ! Une fleuriste au Reposoir !

Marylou pense sans pouvoir s'en empêcher. -Il a un rire envoûtant- , et lui sourit franchement. Mais elle se reprend très vite. -S.O.S ! Ne surtout pas sourire à un garçon ! C'est un signe encourageant pour lui ! -

Marylou se tourne vers la porte pour partir, mais Joan ne compte pas la lâcher comme ça, et la questionne en marchant près d'elle.

- Vous travaillez ou ?

Marylou est forcée de s'arrêter pour lui répondre.

- A Genève, mais avant j'avais mon propre magasin en France.

Joan fait une moue un peu négative.

- Les grandes villes, ce n'est plus mon truc. J'ai fuit Lausanne après le covid.

- Vous êtes Suisse ?

- Franco-Suisse pour être exact.

- Mais excusez-moi, j'abuse avec mes questions indiscrètes. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

Sur ces paroles, Marylou se dirige vers la porte, quittant à regret les fleurs de la véranda.

- Vous ne me dérangez pas ! Si vous aimez les fleurs, je vous en offrirai à l'occasion !

Marylou s'immobilise. -Et voilà ! Il croit qu'il a une ouverture ! -

Elle décide de le refroidir immédiatement.

- Méfiez-vous avec les fleurs ! Elles ont un langage, et parfois leur signification est à l'inverse de l'intention de la personne qui les offre.

Joan ne se laisse pas déstabiliser et semble même prendre les paroles de Marylou pour un défi.

Il penche légèrement la tête et prend un regard séducteur.

- Certaines sont même dangereuses, et il faut les manipuler avec précaution pour ne pas se blesser.

Marylou est décontenancée encore une fois. -Mais qu'est-ce qu'il sous-entend là ? Quel aplomb !-

Elle s'enfuit presque pour ne pas tomber dans les filets habilement tissés par le jeune homme, et crie depuis la rue, sans avoir déplié son parapluie.

- Merci pour Titine ! Au revoir !