Fyctia

Il pleut des cordes depuis deux jours. Marylou est assise devant la fenêtre, à la grande table de bois, dans l’unique pièce à vivre de son amie Lily, et elle soupire.

- Super mon week-end décompression au grand air !

Lily, qui s'active à ranger de la vaisselle sur ses étagères faites maison, dispersées en mode aléatoire contre le vieux mur, lui fait la conversation.

- Les météorologues super compétents de la radio ont annoncé que cela allait durer au moins jusqu’à demain.

Marylou rit à sa boutade.

- C'est ça que j'aurais dû faire comme métier ! Tu peux te planter tous les jours, personne ne te dit rien ! Ils avaient prévu un temps mitigé ce week-end, pas ce déluge ! Quelle poisse !

- Allez Lou, ça va peut-être s’arranger dans l’après-midi. Il faut rester optimiste ma belle !

Ah, l’éternelle bonne humeur de Lily, songe Marylou. C’est comme du baume sur le cœur.

Elle a le réflexe idiot de pianoter sur son smartphone pour aller voir la météo en temps réel sur son appli préférée. Puis elle se tape sur le front et s’exclame :

- Mais quelle quiche ! Je n’arriverai jamais à m’y faire ! Pourtant cela fait des années que je viens ici et je sais qu’il n’y a pas de réseau. Mon cerveau est vraiment ramollo !

Dans la vallée de Béol, les portables sont inutile car il n’y a pas d’antennes relais, ni de câbles pour faire passer internet. C’est ce que l’on appelle une zone blanche.

Lily éclate de rire.

- C’est normal que tes neurones ramollissent ma vieille ! On va bientôt fêter nos 34 ans toutes les deux !

Marylou adresse un tendre regard à son amie d’enfance. Elles ont toujours fêté leurs anniversaires ensemble car elles sont nées au mois de mars, à trois jours d’écart.

Leurs parents qui étaient amis se sont retrouvés en même temps à la maternité de Chambéry. Cela tisse des liens indéfectibles.

Marylou est venue vivre à Genève après le covid, qui a entraîné la faillite et la fermeture de son magasin de fleuriste. Cela a été comme un deuil pour elle.

Plus personne n’a acheté des fleurs pendant des mois à cause de la peur de sortir, et des confinements successifs.

Elle a été forcée de tout recommencer depuis le début, professionnellement et personnellement, car elle s’est également séparée du père de Mandy à la même période. Un autre deuil à faire.

Elle a quitté la ville d’Aix-les-Bains et sa charmante petite maison entourée de verdure, qu’ils ont été forcés de vendre.

Vivre en appartement a été très difficile les premiers mois. Elle a fait une dépression. Assumer seule toutes les tâches ménagères, le boulot, les courses, les devoirs et les activités de sa fille...

Elle n’avait plus une minute pour elle et elle s’est oubliée. Elle a tenu sur les nerfs, qui ont fini par lâcher.

Sa mère est venue vivre avec elles plusieurs semaines, le temps qu’elle remonte la pente. Heureusement cet épisode douloureux est derrière elle. Sa fille est plus grande, donc plus autonome. Elle a trouvé un équilibre entre son travail d’employée dans une grande boutique luxueuse de fleurs du centre de Genève, ses week-ends chez ses parents à Chambéry, et ses escapades chez son amie Lily.

Celle-ci a décidé au moment de la crise du covid, de racheter et de retaper la vieille maison de l’instituteur de l’école du village d’enfance de sa grand-mère. Un magnifique village appelé Le Reposoir. C’est là ou elles ont passé leurs meilleures tranches d’enfance, auprès de la grand-mère de Lily, chez qui elles venaient passer un mois pendant les grandes vacances.

Lou et sa fille Mandy sont complètement déprimées. Lou à cause du temps qui l’empêche de profiter de la montagne qu’elle aime tant. Mandy à cause de son téléphone devenu inutile. Elle est accro à son téléphone « pomme 15 » que lui a offert son père à la rentrée. Sauf que cela fait 2 jours qu’elle ne peut rien en faire, à part regarder ses photos.

Elle est vautrée dans le petit canapé gris, devant le feu de cheminée qu'elle contemple d'un air absent.

Tout à coup Lily s’exclame :

- J’ai une idée qui va vous remonter le moral à toute les deux !

Les yeux interrogateurs et sceptiques de Mandy et Marylou convergent lentement vers Lily. Elle tient son torchon en l’air façon baguette magique. Marylou ne peut s’empêcher de sourire. On dirait une bonne fée.

Vous savez ou est-ce qu’on mange la meilleure raclette de la région ?

Marylou plisse les yeux, doutant qu’il puisse y avoir un endroit tel que celui là à proximité. Mandy s’est déjà replongée dans la contemplation de son téléphone muet.

- Non, mais tu ne vas pas tarder à nous le dire !

- Ici !

- Ah, d’accord, tu vas nous faire une raclette. Cool j’adore ça !

- Non, désolée, ce n’est pas moi qui vais la faire. C’est Mimi ! Elle a repris le vieux bar du centre du village. Elle a ouvert un gîte et elle fait aussi table d’hôte le samedi soir et le dimanche midi. C’est une bonne idée, non ?

- Carrément ! C’est un temps à manger du fromage fondu sur des pommes de terre bien chaudes un dimanche midi. Mandy ?

- Oui maman ?

- Raclette, ça te dit ?

- Ouais, bof. Je vais m’ennuyer.

Marylou soupire. Sa fille voit tout en noir depuis que les hormones ont mis la pagaille dans sa tête.

- Que tu fasses la tête ici ou là-bas, ce sera le même résultat. Allez, on y va !