Fyctia
Chapitre 8-1
Sylvia me prend par la main et me tire à l’intérieur du bar d’Angèle. La décoration est sublime malgré qu’elle soit centrée uniquement sur des éléments vintages. Rien qu’en levant les yeux au plafond, on peut constater de gros tuyaux cuivrés qui servent de base aux luminaires. Les tables proches de l’entrée sont un mélange de bois foncé et de fer forgé noir, les chaises sont quant à elles entièrement en bois avec un coussin cousu par les mains d’Angèle pour que le fessier n’ait pas mal durant le petit café ou l’apéritif entre amis. Les tabourets, ou du moins chaises hautes face au bar, imitent parfaitement le style vintage avec du fer blanc et du bois brut pour les assises et le dossier. Lorsqu’on s’enfonce un peu plus dans l’établissement, on peut remarquer un coin sous des décorations vintages inspirées des États-Unis. Sur le mur principal se trouve de jolis tableaux de publicités des années soixante à quatre-vingt-dix, des plaques d’immatriculation trônent fièrement à côté et un néon « bar » de couleur bleu brille sur le mur adjacent. Ce petit coin ne sonnerait pas assez les States sans ses banquettes rouges et blanches typiques des diners américains des années cinquante.
À peine nos fessiers assis à une table proche de l’entrée, qu’une serveuse fait son apparition, elle aussi dans une tenue vintage magnifique. Cela me donnerait presque des idées… Pourquoi ne pas remettre sur le marché des vêtements vintages, qui ont du charme, mais accessibles pour les grandes tailles. J’aimerai proposer l’idée à Sylvia, mais je n’ai pas très envie de l’embêter avec le boulot. Bien que déçue de devoir garder cette esquisse dans un coin de ma tête sans pouvoir la partager, je souris, heureuse de me retrouver dans ce bar avec elle comme avant. Ça me fait bizarre, je ne suis plus habituée et je crois bien que même la gérante, Angèle, ne me reconnaîtrait plus alors qu’autrefois, je faisais sans nul doute partie de « ses clients préférés ». Sylvia a l’air tellement contente d’être ici, ses yeux pétillent et son sourire dépasserait presque ses oreilles légèrement pointues. Comme d’habitude, elle ne manque pas d’être gentille et complimente la serveuse pour sa coiffure année quatre-vingt réussie avant de lui commander un cocktail alcoolisé avec du fruit de la passion.
— Pour moi, ça sera un Pink Lime Rhum, s’il vous plaît, merci.
La serveuse repart et donne sa commande à la barmaid : Angèle. Cheveux grisonnant, tirant presque plus sur le blanc désormais, petites lunettes rondes et foulard rouge noué dans les cheveux. C’est bien la Angèle que j’ai connue.
— Je croyais que tu voulais toujours prendre le cocktail le plus avantageux, parce que sinon, ça serait de la perte d’argent et cette fois-ci tu en prends un avec de l’eau gazeuse ? me questionne Sylvia, surprise.
— Comme tu me l’as dit avant d’entrer dans le bar, ce soir je dois m’éclater et arrêter de penser comment penserait Olivia Myers, la PDG de Beautiful Ladies, mais bien comme l’ancienne Olivia Myers qui était encore dans ses études et qui pensait pouvoir révolutionner le monde avec ses idées de jeune adulte.
— La vraie Via.
— Oui…
— Je sais que tu as vécu des périodes difficiles, mais tu dois t’en relever.
— Je m’en suis relevée, c’est bon, je n’y pense plus. Tout ça est derrière moi.
— Je sais que tu me mens et peut-être même que tu te mens à toi-même. S’il te plaît, pour une fois, dans ta vie, oublie ces histoires anciennes et fais toi plaisir.
— Je vais faire de mon mieux.
Elle pince ses lèvres, comme si elle était dubitative de ma réponse. Elle n’a pas tort. Au fond, je n’ai aucune envie de faire de mon mieux, mais je ne suis pas, de manière générale, une menteuse, alors je vais quand même essayer.
— Au fait, comment vont tes parents ? me demande-t-elle.
— Ils vont bien, ils sont toujours en voyage pour effectuer le tour du monde avec un minimum de ressources. J’ai reçu une carte postale du Vietnam la semaine dernière, me disant qu’ils ont aidé des agriculteurs dans leurs plantations contre un toit sur la tête et de la nourriture. Ils avaient l’air heureux en tous cas. Ça va faire quatre ans qu’ils sont partis faire le tour du monde mais même si je les encourageais au début pour qu’ils accomplissent leur rêve, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est un peu égoïste de leur part de ne pas me donner plus de nouvelles que de fichues cartes postales provenant des quatre coins de la Terre. Ça va faire quatre ans que je ne les ai pas vus, que j’ai fêté Noël toute seule et que je n’ai plus leurs bras pour me rassurer si ça ne va pas.
Mon regard s’assombrit sûrement puisque Sylvia me prend la main droite et m’en caresse le dos pour me réconforter.
— Olivia, pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ? Je ne pensais pas que ce voyage te faisait autant de mal. Et puis, si j’avais su que tu passais chaque Noël depuis quatre ans toute seule, je t’aurais invitée sans hésiter une seule seconde à le passer avec ma famille.
— Oh non… ça aurait été gênant et je n’aurais pas aimé m’incruster dans ta famille comme ça, comme une orpheline.
Elle soupire. Est-ce que je les exaspère ? Ou est-ce qu’elle ne sait tout simplement pas quoi me répondre ?
— Olivia. Olivia. Olivia ! Si je te le propose, c’est que ça me ferait plaisir, et non, tu n’es pas orpheline. Tu es juste en manque d’amour maternel et d’amour paternel. Tu es fille unique, alors toi qui avais eu l’habitude d’être au centre de leur attention, se retrouver seule, loin d’eux, ça ne pouvait que te rendre triste. Mais tu as trente-quatre ans, Olivia. Tu peux te débrouiller sans tes parents et quand tu auras trouver le partenaire idéal pour faire ta vie, crois-moi que Noël ne sera plus un moment de solitude ou une fête de fin d’année chez Papa et Maman, parce que tu n’as pas le choix. Vole de tes propres ailes comme tu l’as fait avec Beautiful Ladies. Tu n’as pas eu besoin de tes parents pour monter cette entreprise et te construire une carrière en or que beaucoup te jalousent.
Je ne réponds rien. Je ne sais pas si elle attend une réponse, mais elle me regarde fixement. Dans tout ce qu’elle vient de dire, le pire, c’est qu’elle a raison. Je m’accroche à mes parents comme une sangsue parce que je n’ai pas d’autres personnes proches sur qui je peux compter. Évidemment, j’ai Sylvia, mais je ne suis pas encore prête à demander de l’aide à quelqu’un. Je lui ai déjà montrer mes faiblesses à plusieurs reprises et même si je lui fais énormément confiance, je ne veux pas être un boulet qui se lamente sans cesse pour elle.
— Je sais que je ne suis que ta secrétaire en chef et qu’au fond, je n’ai aucune leçon à te faire, mais de la part de ton amie, j’aimerai vraiment que tu sois épanouie sous toutes tes différentes vies.
— Tu n’es pas que ma secrétaire en chef, Sylvia. Tu es comme une meilleure amie pour moi. Tu as fait tellement en presque dix ans. Personne n’avait fait cela jusque là, si ce ne sont mes parents. Tu es un ange.
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