Sand Canavaggia Un défi, pas envie, des défis que roule l'encre de mes écrits. Défi9-Tu...tu...tu...tu...

Défi9-Tu...tu...tu...tu...

Le temps est à la brume, il est si tôt, tu te lèves sans force, mais tu le fais pour ce petit-déjeuner que tu souhaites préparer. Tu crois ce matin-là que tu n'auras que cette fatigue lancinante qui ne te quitte plus depuis des mois. Elle est comme des coups furieux sur chaque centimètre de ta peau et pour toi, personne ne voit, tu veux rester digne et droite dans cette vie qui t’a souvent courbée.

Ton sourire demeure aux lueurs du matin, la lumière dans le creux de tes yeux à un voile de tristesse... Tu crois pouvoir cacher mais ce n'est pas le cas.

Ton corps se relève avec la lourdeur des souffrances et les meubles çà et là accueillent une main parfois les deux et tu souris pour ceux que tu pourrais encore tromper, mais où sont-ils ?


Tu arrives près de ta fenêtre, tu l’ouvres et tu regardes au loin, que la Dordogne est belle ; le vert des arbres et de l’herbe, le jaune des ballots de foin et ce ciel d’un bleu où les voiles des nuages zèbrent le ciel de ses halos quand une nuée d’oiseaux en ondule les fragiles vapeurs. Le lit restera ainsi, tu auras bien le temps de le faire… Ce pyjama trop large, tu ne peux le quitter alors une étole fera bien l’affaire, la douceur de cette laine recouvre tes épaules amaigries ; un œil furtif dans la glace et d'une épingle tu regroupes tes cheveux.

Tu descends en t’accrochant à la rampe en fer forgé, les marches de pierres recouvertes d’un velours vert cintré par une barre de laiton torsadée, accrochent ton regard de souvenirs.

Tu t’arrêtes un instant, tu baisses les yeux, inspires profondément et tes pas te portent vers cette cuisine où les rires résonnaient, il y a si peu de temps. Le temps mais qu’est-ce encore ? Il y a tant de façon de le regarder et de trouver encore qu’il n’a pas assez duré.


Le café est en marche et sur la table de bois, tu déposes les deux sets brodés d’initiales qui pour toi ne cesseront jamais d’exister. Les fours sont en marchent et tes brioches puis ton pain cuisent, ils imprègnent l’air des odeurs du matin dans cette maison chaude de tentures et meubles anciens. En attendant que les cuissons s’achèvent, tu te diriges vers la porte d’entrée, tu ouvres en grand à la rosée et à la vie qui s’anime.

Le chatte du voisin est là, suivie de quatre beaux chatons, quelques canards traversent ton jardin pour rejoindre la marre, ce point d’eau naturel que tu as aménagé pour les jours où le clapotis emmenait tes attentes si près de tes rêves. Le banc de pierre qui se reflète, tu l’avais fait faire par un tailleur non loin qui depuis est parti vers d’autres horizons.


Tu es là sur cette terrasse et le fauteuil vieilli t'accueille, tu te poses dans une plainte et ton regard se perd quand le four annonce la fin de son travail. Tu te lèves à l’aide des deux accoudoirs qui ont portés tant de bras, tant de jeux d’enfants déjà grandis, ils ne viennent plus, par un brin de confiance de ce courage dont ils pensent que l’âge ne t’a rien enlevée, par ce brin d’égoïsme leur faisant oublier de venir et dans leurs bras te serrer.


Tu ouvres le four et l’odeur t’enivre, tu hésites un instant puis d’un gant et d’un torchon tu les sors sur les grilles, tu humes le fumet délicieux. Le café est chaud, tu le sers dans la tasse ébréchée à côté de la tienne, tu déposes un sucre sur le liquide ambré, il glisse sur le fond se colorant dans sa chute.


Le temps, qu’est-ce le temps, voilà une question ! Ton ombre sur le sol, encouragée par le soleil qui entre dans la pièce, bouge comme une danse que tu regardes en plissant les yeux. Tout est dans ta mémoire et tu leur donnes le souffle, l’heure est bien à cet instant où rien ne s’est arrêté. Tu bénies les vivants moins encore que les morts, dans leur disparition tu les aimes plus fort. Ils sont restés dans ces odeurs que tu conjugues et de leurs parfums si présents. Tu remontes tes manches un peu trop longues, s’il vient près de toi, il en rira encore, combien de fois il te l’a dit, combien de fois il en a ri…


— Ma Poue, il est trop grand, tu ressembles à une enfant qui aurait mis le pyjama d’un de ses parents.

— Mon amour, ma vie, ton pyjama c’est un peu de toi qui me serre dans tes bras et quand tu t’en vas c’est ta chaleur et l’odeur de ta peau qui demeurent près de moi.


Tu avais cet amour qui noie tous les espaces, si on n’y goûte un jour plus rien n’aura de place. Entre ses lèvres « Poue » c’est pour « sa poupée », tu as la beauté de l’âme et tu ne le sais pas, tu ne sais qu’aimer, tu n’existes que pour lui. C’est toi de ta présence qui fais battre son cœur, toi seule lui donnes le sens du bonheur. Tu débarrasses la table, il est déjà onze heures, tu lui as parlé en perdant ce temps dans ses discussions qui n’en finissent jamais.


Le facteur est là dans l'entrée, tu sursautes, le regardes et l’invites d’un geste, il pose sa sacoche à côté de la patère derrière la porte. Une fois assis de l’autre côté de ces deux tasses que tu avais installées, un petit plateau garni d’un morceau de brioche et de ces bonnes confitures que tu empiles chaque année, dans les armoires du cellier. Il te fait un sourire en se frottant le ventre. Il se régale de cette gourmandise en croquant avidement, mélangeant avec une gorgée de son café.

Il part rassasier de toute ta douceur avec dans son sac un bon pain et une moitié de fouace. Tu lui souris de ce charme qui ne te quitte jamais, il te le rend, son visage enfantin malgré un âge certain.

Les cloches sonnent au loin, il est déjà midi, tu débarrasses, tu places chaque porcelaine, les sets dans le vaisselier et le tiroir qui grince sous ta poussée.


Tu es restée dans ce pyjama trop grand, tu prends un verre d’eau et t’avances vers le hall, tu regardes les escaliers mais à cette heure, ils te semblent trop nombreux ; tu te doucheras plus tard et ton lit sera aéré, la couette pourra simplement être tirée. Tu penches la tête et en traînant les pieds tu retournes t’asseoir dans le fauteuil usé face au terrain, aux arbres et aux senteurs que le soleil réchauffe, portant les mille fleurs jusqu’à toi, tu fermes déjà les yeux.


Tu es tellement d’amour qu’il ne t’oubliera pas et lui pour toujours, il sera en toi. Il te prendra dans ses bras par le coton d’un pyjama devenu souple et doux à force d’être mis.

Mais qu’as-tu sur tes joues qui ruissellent et brillent ? Tu pleures ? Il ne faut pas... Tu ne seras jamais seule, il sera là, il est là, ouvre les yeux et n’oublies pas, tu l’aimes comme il t’aime et dans ton cœur qui bat, c’est deux qui se font entendre dans le silence autour de toi.


La nature a baissé le son, sur ta tête un court moment tu sens sa main chaude glisser sur ton visage et dans le creux de ton oreille avec l’odeur de son parfum, tu entends « je t’aime ».



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10

10 commentaires

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 5 ans

Là aussi, tout est en subtilité, beaucoup de pudeur, une beauté d’âme qui raconte une vie, pleine de mélancolies. Je suis étonné que ça n'ait pas fais plus d'émules. C'est sans doute le Covi 19 le responsable qui touche les cœurs et par conséquent bouchent les esprits et les sensibilités. Qu'importe après tout,l'essentiel est que j'ai pu avoir la chance de croiser ce joli texte.

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Ohhhh, suis super touchée...un joli compliment venant de toi rarement sur les ondes et dont j'apprécie tant l'écriture <3 Merci infiniment de venir sur ces petites bafouilles et heureuse d'avoir pu montrer ce que je souhaitais dans ce texte, c'est cela mon plus beau cadeau suite à ces micro-partages avec toi/vous. @très bientôt sur tes lignes <3 :)

Sylvie De Laforêt

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Il y a 5 ans

très joli texte empreint d'émotions, bravo ^^

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Merci de ton passage et de ta lecture avec ce commentaire, cela me touche beaucoup...

Helen Mary Sands

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Il y a 5 ans

"la nature a baissé le son"... la fin est ouverte, si j'ai bien lu ? dans les deux cas, c'est magnifique...

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

La nature a baissé le son, parce qu'elle est repliée en elle et les bruits autour deviennent feutrés, à ce moment là le lien est si fort que c'est une connexion indescriptible, qui lui donne un geste qu'on lui a si souvent fait...Au-delà de l'absence quand on aime, le départ laisse près de nous l'éternelle présence, un paradoxe mais c'est réel. Merci de tous tes commentaires et ton passage...Je vais voir le prochain défi ce soir, je suis un peu bousculée ce jour ;)

Ludivine474748

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Il y a 5 ans

C'est beau mon amie la mélancolie ici te suis aussi j'ai envie de te de te dire merci tu montre ici ce que certains vivent tu montre un exemple et en te lisant on ressens ce que certains vivent en ce moment. Une leçon même si ton but n'était pas la . MERCI.

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Merci d'être encore présente sur ce texte...ta sensibilité voit la solitude qui est certes présente mais le fait est que l'on est jamais seul à bien y penser...juste un regard différent 😊😁

Karl Toyzic (Ktoyz)

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Il y a 5 ans

toujours plein d'amour de douceur de tendresse, on voit la qualité de la relation et cette complicité ! Très poétique à la sand style :)

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Mon premier fan à l'appel, toujours doux de lire tes commentaires 🤩Merciiiiii😊😇🤍
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