Fyctia

Le lendemain, je me réveille à onze heures. Je travaille d’après-midi lorsque j’assure les visites du musée de treize à vingt heures et du matin lorsque je dois assurer l’accueil de la clientèle. Il m’arrive quelquefois d’avoir des créneaux de libre sur les plannings pour des tâches annexes.

J’ai complètement changé de métier et suis passée de serveuse à guide grâce à mes compétences linguistiques.

Lorsque j’ai commencé à fréquenter Ethan, il ne tolérait pas qu’une personne aussi cultivée et réfléchie que moi se contente d’un métier facile selon lui. Bien que je ne partageais pas son avis, il m’a montré des offres d’emploi pour entrer dans le plus célèbre musée de Nice. Il m’a dirigé vers une bonne carrière avec un bien meilleur salaire. Néanmoins, depuis la rupture, j’envisage de démissionner, parce qu’aller au travail me fait sans cesse penser à lui, à toutes les soirées que nous avons au préalable passées à l’intérieur du musée.

Nous organisions régulièrement des soirées à thème où certains artistes peuvent venir exposer leurs œuvres et nous étions le genre de couple, bien apprêté, matchy-matchy, à s’y rendre pour faire bonne figure. Nous passions pour les amoureux les plus passionnés de l’équipe du musée, toujours bras dessus dessous, à s’enlacer avec une coupe de champagne pendant de nombreuses conversations importantes. Pourtant, nous étions les seuls à savoir comment nous terminions ces soirées. Dans les toilettes, à faire l’amour comme si nous venions de nous rencontrer pour la première fois.

Maintenant, même me rendre aux toilettes me fait penser à lui et rend mes journées particulièrement difficiles. Il avait vite empiété sur ma vie, nous allions partout ensemble, nous faisions l’amour dans tous les endroits publics possibles et paraissions être le couple de l’année à chaque événement. Nous allions régulièrement au restaurant italien du bout de la rue où il m’avait fait sa première vraie déclaration. Nous aimions traîner de longues après-midis dans les centres commerciaux et se balader sur les plus belles places de la ville quand le soleil pointait le bout de son nez.

Tout Nice me le rappelle.

Peut-être que je déménagerai un jour, pour refaire ma vie et repartir à zéro dans une ville qui ne sent pas son odeur et qui n’a pas sa présence mais en attendant, je pourrais au minimum changer de métier. Un autre musée ou même retourner travailler dans un bar-restaurant ne me dérangerait pas. J’ai toujours été du genre à m’adapter facilement. Ce n’est pas ce fantôme d’Ethan qui gagnera avec ses souvenirs médiocres.

Ce n’est cependant pas l’ordre du jour alors je me prépare avant de prendre le taxi. J’ai le permis mais les embouteillages m’ont vite fait perdre patience alors je préfère me faire emmener et laisser cette tâche de patience à mes chers chauffeurs chaque jour. Avec les abonnements, les allers-retours ne sont jamais bien chers.

Direction la douche, le brossage de dents, ma routine skincare avant de m’habiller. J’enfile mes habituels pantalon noir et chemise blanche en relevant mes cheveux en chignon, élégant mais à la cool. Plus tu parais décontractée, plus les touristes te trouvent sympathique et viennent vers toi. Je mets les boucles d’oreille avec les pluies d’étoiles que mon père m’a offertes quand j’avais quinze ans et je suis prête.

Je me rends dans la cuisine préparer mon sac goûter pour ma pause de l’après midi, une pomme et quelques sablés de ma mère. Après les cinquante modèles qu’elle m’a donnés, je dois bien en manger dès aujourd’hui.

Je regarde les notifications de mon téléphone pour la première fois de la journée. Quelques matchs sur l’application de rencontre, quelques messages de prétendants auxquels je réponds par la formule de politesse “salut, enchantée, comment vas-tu?” n’étant pas une experte en drague et n’ayant pas envie de dire plus. À ça, s’ajoutent un message de ma responsable pour des heures supplémentaires et un de ma mère. Je ne suis pas trop réseaux sociaux alors j’ai rarement plus. Si personne ne me parle, je me réveille souvent sans aucune notification, ce qui ne me dérange pas. Je me rends compte que je suis beaucoup moins sur mon téléphone que les autres jeunes de mon âge, à peine deux heures par jour. Il me sert plus à écouter des podcasts pendant mes trajets en taxi que pour communiquer.

“ Salut ma chérie,

Alors les sablés ? J’espère que tu en as mangé.

Ton père vient à Noël, ton frère vient de me l’annoncer.”

Rien de bien important. Je pense même qu’elle s’est forcée à m’envoyer un message ce matin.

Hier, elle a raccroché presque aussitôt après avoir dit à son correspondant qu’elle ne pouvait pas vraiment parler avec lui et peu après son appel, elle a arrêté de cuisiner. Elle m’a annoncé avoir un rendez-vous chez le coiffeur. J’imagine que ce n’était pas le cas et qu’elle avait juste besoin que je parte de chez elle pour qu’elle ait quartier libre. Nous sommes restées sur ça et je ne sais toujours pas pourquoi elle discutait avec Ethan, mon ex. Je soupçonne qu'elle l'ait rappelé après mon départ.

Je pourrais tout aussi bien lui envoyer directement un message pour lui demander ce qu’il veut à ma mère mais je ne crois pas avoir envie à ce point de savoir ni même d'avoir un contact avec lui. J’aimerais que ça vienne de ma mère, qu’elle explique à sa fille ce qu’elle fabrique avec son ex-gendre.

Mon père vient donc à Noël. Elle paraît déçue mais il n’aurait jamais raté une fête familiale pour aucune raison et encore moins une dispute avec ma mère. Même s’ils doivent se faire la guerre tout le long du repas, il tiendra à être présent pour ses enfants et sa famille donc je ne suis pas surprise. Il ramènera de la bonne ambiance.

“ Salut Maman,

Ravie que Papa vienne.

Tu ne parlais donc vraiment pas avec lui hier.

Exquis les sablés.”

1-0 pour moi. J'ai besoin de savoir la vérité. Je la vois déjà grimacer de l’autre côté de l’appareil à la vue de ce message et moi, ça me fait sourire. Je ne la lâcherais pas. Je veux savoir ce qu’elle fabrique avec Ethan.

Treize heures, il est temps de me rendre au musée.

Je suis de mission sapin de Noël en plus.