Fyctia

Furieuse, je regarde le mobile en bois qui tangue devant la porte vitrée. L’ouvrir à nouveau pour lui demander de répéter, ce serait possible, dans un film ou si j’avais plus de cran… Autrement dit, pas dans ma réalité. Je sais que je n’aurai jamais la confirmation d’avoir bien compris ce qu’il a voulu dire. Je me sens comme condamnée. Ces trois mots vont me hanter. Les questions commencent déjà à affluer. A-t-il vraiment dit ça ? Pour quelle raison ?

— C’est curieux, quand même.

M. Pero me fait sursauter. A-t-il assisté à la scène. Je le dévisage, observe son air circonspect et me demande brusquement si LUI a entendu, mais il poursuit et anéantit tous mes espoirs :

— Pourquoi Louisa Augustin voudrait sa propre autobiographie ?

— Un caprice de star, sans doute.

Je suis agacée et j’ai du mal à le dissimuler. Mon patron me regarde, avec sérieux, avant de répondre :

— Je ne pense pas qu’elle soit comme ça…

Il est amoureux, ou bien ? Rapidement, l’homme d’affaire reprend le dessus :

— J’ai commandé 100 exemplaires.

— C’est éno…

Je ne finis pas ma phrase, me rappelant brusquement que c’est lui qui décide. Oui, il est vraiment sous le charme car acheter autant d’unités d’une autobiographie qui n’est pas récente n’est vraiment pas fréquent.

— J’ai aussi commandé quelques exemplaires des autobiographies des acteurs qui seront sur le tournage. On ne sait jamais ! Comme ce fameux Léo Per. D’ailleurs, tout à l’heure, j’ai cru que c’était lui qui nous rendait visite.

L’image du beau blond se matérialise dans mon esprit. Oui, il y avait bien un petit quelque chose, mais non ce n’était pas Léo. J’en suis sûre, ce ne sont pas ses cheveux et puis j’ai examiné chacun de ses traits, pendant des heures, sur l’énorme poster qu’il y avait dans ma chambre, chez mes parents.

— Une petite ressemblance, oui, mais ce n’était pas M. Per.

J’ai envie d’ajouter que, si ça avait été lui, il l’aurait vite su. Je me serais sans doute empourprée ou j’aurais bafouillé ou je me serais peut-être même carrément évanouie. Il va d’ailleurs falloir que je m’endurcisse pour le casting. L’idée de rencontrer mon acteur préféré devient, tout à coup, palpable et je sens le rose me monter aux joues. Il fait brusquement chaud, je quitte ma doudoune tandis que M. Pero me demande :

— Il y a autre chose que je ne comprends pas… L’exemplaire que tu as donné à cet homme de main, il ne sortait pas de la remise ? Je n’ai pas trouvé sa trace dans le registre…

— Non, c’est le mien, enfin celui d’un ami, je l’avais dans mon sac.

Ses yeux s’illuminent.

— On peut dire que ça nous a sauvé la vie. Camille, je te rendrai, évidemment, l’exemplaire et tu auras droit à une prime, pour ta réactivité.

Oui, il fait vraiment très chaud. Je sais que je l’ai méritée, mais je me sens mal à l’aise. Je remercie mon patron avant de filer me rafraichir au petit coin.

Oh non, le miroir m’indique que j’ai de la sauce sur le menton. Et personne ne m’a rien dit, ni M. Pero ni Jérémy. Dans les films, ce dernier l’aurait, sans doute, essuyée du bout du doigt. Je grimace, je trouve ça cracra puis observe mon regard et vois cette lueur que j’ai mis des mois à faire disparaître. Cette lueur d’espoir et de peine. Je ne suis pas soignée, Jérémy, mon cœur saigne encore. Tandis que je retiens la larme qui rêve de rouler le long de ma joue, c’est le long de ma jambe qu’il se passe quelque chose : mon téléphone vibre. Immédiatement, j’ai de l’espoir et de la crainte. Je décide de ne pas décrocher, pour me laisser le plaisir douloureux du doute. Peut-être est-ce Jérémy qui va enfin me dire ce qu’il me veut ou s’excuser pour tout ? En tous cas, la personne insiste alors je finis par décrocher.