Fyctia

Je repose le livre et fait volte-face. Ce ne sont que M. Pero et Suri qui arrivent ensemble.

— Bonjour, Camille.

— Bonjour, patron !

— J’espère que vous êtes en forme, les filles, car, aujourd’hui, ça va être la journée de vente de l’année, je le sens. On va faire un chiffre d’affaire inégalé !

C’est un optimiste, M. Pero, car il dit ça tous les samedis, mais finalement, je crois qu’il a raison, car les premiers clients ne tardent pas arriver et, tout au long de la matinée, la boutique ne désemplit pas. Le week-end, nous avons toujours du monde, mais, là, l’affluence est telle que ça fait la queue devant la librairie. Les médias n’y sont évidemment pas pour rien…

— Il va falloir voir plus grand, beaucoup plus grand ! s’exclame M. Pero, l’air grave, en constatant que sa boutique est devenue trop petite.

Il ne fait pas dans la demi-mesure.

— Et voilà, encore du monde ! s’enthousiasme-t-il.

Je regarde la porte restée définitivement ouverte avec son carillon bloqué pour nous empêcher, nous, de « débloquer ». L’air s’engouffre, comme les clients, mais la quantité de personnes dans l’espace restreint permet de continuer de le chauffer. D’ailleurs, mes joues deviennent un peu plus rouges quand je m’accroupis et tombe nez à nez avec « Les Dieux du stade ». Le rugbyman, à demi-nu, semble me regarder, narquois. Cadeau humour ou cadeau espoir. Avant les fêtes, nous avons toujours ce type d’ouvrage qui a sa propre clientèle, il ne faut pas croire. Je me relève enfin et mon regard est immédiatement happé par une silhouette tout aussi agréable. Les personnages sortent des livres, maintenant ? C’est mal poli, mais je ne peux m’empêcher de fixer ce buste musclé, ces épaules carrées. Oui, ça se voit, même à travers le blouson de cuir noir qui fait ressortir ses cheveux d’or. Son visage est bronzé et ses yeux indescriptibles. Je suis littéralement statufiée par cet Apollon.

— Il est canon, murmure Suri, pourtant en couple, à côté de moi.

— Oui, et il a des yeux et une chevelure blonde incroyable.

— De quoi ? Je te parle du brun ?

Je balaye rapidement la pièce du regard. Il y aurait plus beau que le demi-dieu qui vient d’entrer ?

— Effectivement, il est sacrément beau gosse, aussi, lance ma collègue qui semble pourvue d’un radar.

Alors, je vois, à mon tour, le brun, mon brun : Jérémy ! Encore ? Trop tard, je n’ai pas le temps de m’accroupir de nouveau derrière le rayon. Il a vu que je l’ai vu et il me fait signe.

— Incroyable, le brun te fait coucou ! s’exclame Suri. Tu le connais ?

— C’est compliqué, me contenté-je de répondre puis je me dirige dans sa direction avant que ma collègue ne me pose trop de questions.

Progresser dans la boutique est difficile, j’ai l’impression d’être dans le métro, sauf que, là, je suis obligée de sourire quand on me marche sur le pied ou me bouscule. Enfin, je parviens à rejoindre mon ex :

— Jérémy ! Toi, ici ?

— Bonjour, Camille, répond-il.

Il semble amusé.

— Oui, bonjour, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? je réponds, agacée.

— Accepter que l’on déjeune ensemble, lance-t-il avec son sourire ravageur avant d’ajouter : l’autre soir, c’est passé vite…

Sa proposition me surprend puis je repense au SMS de Tania « il m’a dit qu’il avait un truc à te dire». Tant pis, je fais comme si je ne savais rien :

— Pourquoi veux-tu que l’on se voit ?

— Et pourquoi pas ?

Il a un de ces culots ! Je sens une bouffée d’espoir et de colère monter en moi, simultanément. C’est dangereux, l’espoir, surtout dans ces moments. Pourquoi ne suis-je pas une fée pour ne ressentir qu’un sentiment à la fois ?

— Parce que.

Je rentre dans son jeu. Avec ce type d’échanges, on ne va pas aller loin. Alors qu’il s’apprête à me répondre, j’entends M. Pero m’appeler.

— Je dois y aller, on a besoin de moi.

« Vraiment besoin de moi » ai-je envie d’ajouter, mais je ne dis rien et m’éloigne. Tout en rejoignant mon patron, je réalise qu’il est avec « le blond ». J’ai une pensée pour le sketch de Gad Elmaleh, avant de me sentir hypnotisée par cet homme.