Fyctia
Chapitre 7 : Le choix (1)
Nuit paisible, réveil à l’heure, frigo et placards pleins – je me prépare une salade de fruits frais pour avoir bonne conscience - cette journée commence bien. Pas de traces d’Amélie, ni de Jared qui doivent faire la grâce matinée. C’est ce qui est un peu frustrant, avec mon métier : travailler le samedi. On se lève, alors que les autres dorment encore, on rechigne à faire des soirées le vendredi et on est fatigué pour celles du samedi. Enfin, on s’y fait ! Aujourd’hui, on est positive, répété-je comme un mantra tout en laçant mes chaussures. Alors que je m’apprête à franchir la porte, mon colocataire surgit :
— Prend ça !
Il me tend un livre, ce qui me surprend et explique, dans un bâillement :
— J’ai étudié toute la nuit, c’est une mine d’informations.
Je regarde le titre de l’ouvrage « Louisa Augustin se livre, sans langue de bois. »
— Je pars travailler, quand veux-tu que je trouve le temps…
Jared m’interrompt, comme si il avait anticipé ma réaction :
— Dans le métro, à ta pause… Je ne me fais pas de soucis, tu lis vite et, tu verras, c’est passionnant.
L’image de la pile à lire que m’a confiée M. Pero se matérialise dans mon esprit, toujours aussi haute. J’ai honte. D’ailleurs si je ne veux pas être en retard, il faut que je file. Je prends l’ouvrage sans protester, car je n’ai pas le temps de débattre avec Jared qui, de toute façon, aurait le dernier mot…
Sur le trajet je n’ai pas l’opportunité de lire. Il y a trop de monde partout, du bruit, du mouvement, des coups de sacs, de coudes, des tressautements qui me déséquilibrent et des arrêts brutaux qui me font chanceler. Je n’insiste pas et apprécie, pour une fois, de juste laisser le temps s’égrainer sans me dire que j’ai quelque chose d’important ou de mieux à faire… Sans me dire que j’ai quelqu’un ou quelque chose qui m’attend sur mon téléphone, les réseaux, Internet … Je prends juste le métro puis je marche juste dans la rue. J’hume l’air humide du matin, l’odeur gourmande des croissants de la boulangerie – je me rapproche – et celle des pots d’échappement. Fumeurs addicts, ils crachent une épaisse fumée parfois dans un raclement de métal. J’ai choisi de vivre en ville.
Ce matin, personne n’est là, je suis la première alors j’ouvre, non sans quelques efforts, le rideau de métal qui grince et couine de douleur. La fine pluie du matin ne lui fait pas du bien. Puis, je pousse la porte et le carillon me dit bonjour en chantant. C’est tout aussi bien que M. Pero qui fredonne à l’arrière du magasin, car j’aime, parfois, être seule dans la librairie. Je me dirige d’ailleurs, immédiatement, dans l’arrière-boutique et quitte mon sac, ma doudoune. Un rapide passage aux toilettes m’indique que je suis totalement décoiffée par la capuche. Je lisse mes cheveux afin de ne pas effrayer les clients puis retourne dans le magasin.
D’un coup d’œil, j’avise les rayonnages. Tout semble à sa place. Alors j’allume les néons pour donner le signal : la librairie est ouverte. Les ouvrages ainsi éclairés semblent resplendir de mille feux. Je me sens comme dans une confiserie. Il y a toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et certaines couvertures « glaçage miroirs » étincellent. Je voudrais tout acheter, tout lire, tout goûter : parfum romance, science-fiction, fantaisie… Savourer les mots de James Matthew Barrie, d’Alexandre Marcel, redécouvrir René Barjavel ou René Louis, reprendre un peu de Jane Austen, de Mary Ann Shaffer et d’Annie Barrows. Découvrir. Il y a tant à découvrir. Frustration. Toute une vie ne suffirait pas. Il y a le charme de l’ancien mais aussi l’attrait des nouveautés. Mon regard glisse, avec envie, sur la table où nous exposons les dernières parutions. Je remarque que Suri et M. Pero ont ajouté de nouveaux titres, hier, des titres que je ne connais pas qui font référence au cinéma ou à la fête des lumières – les deux événements du moment. Il y a du choix, j’aime ça et en même temps ça m’agace, car j’ai du mal à me décider. Je procède par élimination. Le premier thème me fait culpabiliser, un peu, alors je saisis un livre sur la célébration du 8 décembre. Un de ces beaux livres qui sont épais, cossus, carrés, lourds dans la main et je lis la 4e de couverture.
Il s’agit d’un album photo qui expose un condensé des meilleurs clichés de la fête des lumières durant ces 10 dernières années. Bien, bien, à présent, que nous avons fait connaissance, je peux pénétrer un peu plus l’intimité de cet ouvrage et découvrir ces mystères et son histoire. Alors, prête à en prendre plein les mirettes, je le feuillette. La tranche du livre défile sous mon pouce dans une caresse rêche. Elle pourrait même devenir mordante, incisive si j’insiste trop, mais j’ai l’habitude. Tandis que mes autres doigts s’amusent à se coller et à se décoller de la couverture, j’observe les images. Oui, les photos en couleur, sur le papier glacé premium et pleine page, sont magnifiques. La ville de Lyon n’est jamais aussi belle que lors de cette fête où elle se pare de toutes les lumières.
Rapidement aussi, vient pour me séduire, l’odeur du papier. Je suis encore seule dans la librairie, alors, j’en profite et respire les pages. J’ai toujours aimé sentir les livres. Ils n’ont pas tous la même odeur, certains portent le parfum du temps, d’autres celui de la colle et de la sève de l’arbre fraichement coupé. Je lâche un soupir de satisfaction. Est-ce qu’un jour un homme parviendra à me faire le même effet ? Malgré le temps qui passe, en ce qui concerne les livres, rien ne me lasse. J’aime mon métier, pour ces instants, et ça me fait vite oublier que, ce matin, j’ai dû me lever de bonne heure. Brutalement, je suis tirée de mes pensées. Quelqu’un entre.
6 commentaires
violectrice_plume
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Il y a 2 ans
May Darmochod
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Il y a 2 ans
Mélia MC
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Il y a 2 ans
elia
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Il y a 2 ans
May Darmochod
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Il y a 2 ans
Jessie Moon auteure
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Il y a 2 ans