Fyctia

La remise, voilà, un abri sûr. Je suis appuyée à l’étagère qui porte les stocks à renvoyer aux éditeurs. Il faut que je me remette de mes émotions. La porte s’ouvre et Suri apparaît, elle m’a suivie.

— Ça va, Camille ? T’as vu le JT d’hier ?

— Non.

Et je pense que ce n’est pas plus mal.

— Dommage, ils ont passé la séquence où tu prends la parole, tu étais incroyable, une véritable passionnée.

Je ne sais pas quoi répondre alors je lance un « merci » peu convaincu. Elle poursuit :

— C’est une super pub pour la boutique, nous allons avoir pleins de nouveaux clients. Il faut absolument que tu demandes une augmentation ou une prime.

Je souris, crispée. En bonne française, je ne suis pas à l’aise à l’idée de parler d’argent. Je détourne la conversation, en ramenant l’attention sur le travail. Suri joue le jeu et cesse de me parler de l’évènement de la veille. Je crois qu’elle a compris que ça me mettait mal à l’aise.

La journée se déroule, finalement, à peu près convenablement. Il y a, bien sûr, un peu plus de monde que d’habitude et quelques références faites aux médias, mais rien de trop embarrassant. La fin de journée se profile enfin. M. Pero me propose de rentrer un peu plus tôt, car je semble « fatiguée ». Je ne me fais pas prier et en profite pour faire les courses. Sur le chemin du retour, j’enfile un masque, pour être certaine d’avoir la paix. J’ai droit à quelques regards réprobateurs, mais je m’en moque. Une seule chose me préoccupe, à cet instant précis : me reposer. J’imagine, déjà, la petite soirée cocooning que je vais m’organiser. Moi, le plaid, ma série et la boite de guimauves que je viens d’acheter.

Je rejoins le bâtiment, gravis les marches et pousse la porte d’entrée. La lampe de sel est allumée, c’est bon signe. Je file dans la cuisine pour préchauffer le four et ranger les produits que je viens d’acheter. Je laisse sorties les quenelles que je vais cuisiner ce soir avec des champignons et une sauce « nantua » revisitée : de la crème mélangée à du concentré de tomates. Je vais me régaler. Préparer le plat me détend et le mettre à chauffer me donne une grande satisfaction. Tout se déroule, enfin, de nouveau, normalement. Il est 19h, quand je commence à manger. C’est tôt, mais c’est très bien ainsi car je pourrai me coucher rapidement. Amélie me rejoint à 19h30, alors que je fais ma vaisselle. Nous échangeons quelques mots sur nos journées respectives et je file me doucher puis me coucher. Il est 20h30, quand je regagne mon lit. Je le trouve particulièrement moelleux. Mes écouteurs dans les oreilles, je lance le nouvel épisode de la série du moment. Au bout de quelques minutes, alors que mes yeux commencent à papilloter, on frappe à ma porte.

— Oui, lancé-je la bouche pleine de marshmallows.

— Coucou !

Tania apparaît avec Jared. Je manque de tout recracher.

— T’es déjà au lit ?

— Ça se voit, non ?

— T’as pas vu mon message ?

— Quel message ?

— Pour la répétition.

J’ai l’impression qu’elle me parle une autre langue. Je plisse des yeux pour me concentrer, ce qui ne sert strictement à rien.

— Oui, on fait une répète pour le casting de mercredi, complète Jared.

— Oh, non, pas ce soir, je suis fatiguée. C’est vendredi et la semaine a été éprouvante…

— Pas d’excuses, c’est un moral de perdant.

Jared est sans pitié. Il s’installe sur mon lit, il prend son rôle un peu trop à cœur, à mon goût.

— Alors, tu vois, Tania, je pensais faire ce genre de gestuelle.

Il s’incline vers moi et plonge son regard dans le mien enfin essaye car j’ai les yeux à demi fermés par la fatigue.

— Camilla, Chérie, fais un effort…

— Je n’ai pas envie, la journée a été pénible.

— Je n’aime pas quand tu boudes comme ça…

Lance-t-il tandis que je me renfrogne. Il entreprend de me pincer la joue ce qui me fait sortir de mes gonds :

— C’est trop demander de tenir un petit peu compte de ce que je ressens !

Tania, que j’avais presque oubliée, applaudit bruyamment :

— Vous êtes parfaits, on dirait un vieux couple qui se dispute.

Je la regarde, médusée, je ne joue pas… mais Jared répond avant moi par une révérence. Je saute sur l’occasion pour me débarrasser d’eux :

— Parfait, le show est fini pour ce soir, on poursuivra…

— Dimanche, répond Tania.

Je vais pour objecter mais réalise que je n’ai pas de raison valable alors j’obtempère.

— Moi, je veux continuer l’entrainement, poursuit Jared. Si tu veux bien, je te montre quelques répliques auxquelles j’ai pensé.

— Avec plaisir ! s’enthousiasme Tania.

Et je les vois quitter ma chambre bras dessus, bras dessous. Ils devraient passer le casting ensemble maugréé-je avant de me cacher sous la couette. Je prends une profonde inspiration, ferme les yeux. J’ai un répit jusqu’à dimanche, en ce qui concerne les répétitions et, pour l’affichage médiatique, j’imagine que, dès demain, tout sera oublié...