May Darmochod Un coeur à caster Ch.3: Presque comme un jeudi-2

Ch.3: Presque comme un jeudi-2

La porte s’ouvre et apparaît… Je ne peux pas le croire. Est-ce… ?


— Louisa Augustin ! s’écrie Suri, hystérique avant de se reprendre immédiatement, rouge de honte.


La célèbre réalisatrice ne lève pourtant pas un œil sur nous. Elle se dirige directement vers M. Pero. Ce dernier cligne des paupières à plusieurs reprises. J’espère que c’est de surprise car, s’il essaie de lui faire les yeux doux, c’est raté.


— Je vous demanderais d’être discret, s’il vous plaît, demande l’un des deux hommes qui l’accompagnent.


Son manager, sans doute, ou son garde du corps. Difficile à dire. Suri, elle, est cramoisie. Je suis sûre qu’elle voudrait disparaître dans un trou de souris.


— Bien sûr, répond notre patron affable.


C’est alors que Louisa prend la parole à son tour. Sa voix est chaude, grave, agréable, comme dans les interviews. Oui, c’est bien elle.


— Je cherche un roman d’amour.


M. Pero attend qu’elle nous donne plus de détails mais notre nouvelle cliente, en reste là, énigmatique. Il y a un léger flottement avant qu’il ne se ressaisisse.


— Oui, quel genre ? Un classique ? Un contemporain ? Une comédie ? Un drame ?


La jeune femme passe une main dans sa longue chevelure rousse et énonce :

— Votre coup de cœur.


Suri et moi échangeons un regard. Quel livre va choisir notre responsable ? Contre toute attente, il se tourne vers moi et répond :

— Camille, tu peux servir la dame, s’il te plaît ? Les romances, c’est ton rayon.


— Je…, oui.


J’ai le souffle court, les battements de mon cœur s’accélèrent puis je me ressaisis. C’est une cliente comme une autre, une cliente comme une autre, répété-je, en boucle, dans mon esprit, afin de retrouver mon calme. Machinalement, je me dirige dans le rayon des comédies romantiques. Je ne sais pas encore quel titre je vais lui proposer. Le souvenir de l’une de ses interviews traverse mon esprit. « Je profite de chacun de mes déplacements pour découvrir la plus petite librairie possible. » Elle avait alors rit avant d’ajouter très sérieusement. « La Fmac, ça n’a pas de charme, moi, je veux des choix éveillés, convaincus. Je ne veux pas ce que l’on voit partout, il me faut du surprenant, de l’authentique, vous comprenez ? »


Le mot résonne dans mon esprit « authentique » comme le casting. Je me dirige vers les classiques et mords ma lèvre du bas tandis que je parcours des yeux les étagères. Elle doit connaître la plupart de ces histoires d’amour : Les Hauts de Hurlevent, Orgueil et Préjugés, Anna Karénine,… Comme lorsque j’étais devant la boulangère, le temps semble s’arrêter, pourtant en regardant le dos des ouvrages, je reprends confiance. Oui, je sais quel livre choisir. Je tire le volume, regarde la quatrième par habitude, car je ne la lis pas puis me dire vers la cliente. Le silence est religieux ce qui me donne l’impression d’amener une précieuse relique. Avec soin, je tends l’ouvrage à Mme Augustin. Elle s’en saisit, observe le titre Soie de Alessandro Baricco puis plonge son regard dans mon âme. C’est terrifiant. Je lis de la curiosité, de l’intelligence et de l’exigence dans ses yeux verts émeraude mais je ne me laisse pas déstabilisée. Professionnelle, je speech le résumé. Louisa ne réagit pas, elle reste impassible ce qui me donne l’impression d’avoir fait le mauvais choix. Je commence à douter et je sens bien que M. Pero aussi, aux regards inquiets qu’il me lance. Finalement, elle lâche :

— Oui, je connais, j’aime beaucoup. Je vais plutôt vous acheter un ouvrage sur la ville de Lyon et les Frères Lumières.


Je reste sans voix. Je n’ai pas de seconde chance ? Le sang quitte mes joues, je deviens livide. Elle connaît, elle aime, donc je ne me suis pas trompée sur ses goûts mais… M. Pero tourbillonne dans le magasin et prend plusieurs ouvrages à la volée qu’il présente avec passion.


Le verdict tombe :

— Ces deux-là.


Louisa Augustin désigne d’un mouvement de doigt impérial un petit guide historique sur Lyon et un beau livre sur l’histoire des Frères Lumières. Le visage de M. Pero s’illumine. Il se dirige vers sa caisse, tout en faisait la conversation ou plutôt un monologue, car personne ne lui répond. Notre patron lui parle pourtant du tournage et du casting, mais Madame Augustin ne dit rien.


— Merci, au revoir, seront les seuls mots qu’elle prononcera avant de partir.


La porte se referme dans ce même tintement, pourtant il sonne différemment. Le vortex qui nous a aspirés nous rejette brutalement.


— Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? énonce, Suri, d’une petite voix.


M. Pero se tourne vers nous, ses yeux sont ronds comme des soucoupes. Il commence :

— Camille, il faut toujours proposer plusieurs ouvrages au client, toujours. Ça permet de faire mouche ou de cerner les goûts. Heureusement, nous n’avons pas perdu la vente !


Ce n’est pas juste, j’ai identifié ce qui lui plaisait, c’est seulement qu’elle ne m’a pas permis d’affiner ma recherche. Je n’ai pas le temps de répliquer, notre responsable laisse soudainement place à l’admirateur car il s’écrie, hilare :

— Louisa Augustin est venue dans MA librairie, elle a acheté des livres dans MA librairie. Personne ne va vouloir me croire !


Il est pire que Suri, je ne l’ai jamais vu comme ça.


— Je crois qu’elle lui a plu, murmure ma collègue.


— J’aurais dû lui demander un autographe, non une photo !


Notre patron souffle bruyamment. Il faut qu’il se calme, il risque de nous faire une attaque. J’entreprends de le rejoindre mais, pas le temps, le carillon s’affole. Et, alors que je me retourne pour découvrir qui sont les nouveau clients, Suri lance :

— Si, M. Pero, tout le monde va vous croire.

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