Fyctia
Chapitre 1 : La rencontre (2)
Jules entre dans le bar ce qui me tire de mes pensées. Galant, il me tient la porte et marque ainsi de nouveaux points. Après avoir salué le barman, il prend place à une table. Je l’imite. Il retire son manteau ce qui dévoile un buste assez carré. Il a signalé sur son profil qu’il était sportif, il fait de la natation. Il semblerait donc qu’il n’ait pas menti. C’était ma plus grande crainte, en m’inscrivant sur cette application de rencontre, échanger avec un menteur ou un psychopathe. Si Tania, ma petite soeur, n’avait pas commencé à créer mon compte, je ne me serais jamais lancée. Je l’entends de nouveau me dire :
— Tu vas avoir trente ans, tu ne peux pas rester célibataire éternellement !
— Et pourquoi donc ? avais-je riposté. C’est quoi cette pression que la société met sur les jeunes femmes qui ne veulent pas se caser…
— Ce n’est pas la société, mais ta petite soeur qui veut te voir heureuse et qui aimerait que tu vives ta grande histoire d’amour plutôt que de la fantasmer à travers tes comédies romantiques.
J’avais voulu objecter puis je m’étais ravisée. Il est vrai que je suis friande de ce genre de contenus. Je m’étais donc finalement laissée convaincre.
— Alors Camille, t’as passé une bonne journée ?
La question de Jules me ramène à l’instant présent.
— Oui.
Avec ce genre de réponses, nous n’allons pas aller bien loin. Je prends une inspiration et poursuis :
— Nous avons eu un nouvel arrivage d’ouvrages. Comme à chaque fois, j’ai envie de tout lire, mais il faut faire un choix, chose difficile. C’est vrai, ça, j’ai toujours du mal à choisir et…
Je m’interromps brusquement. Est-ce que je parle trop ? Jules prend le relais :
— Moi, ma journée, ça a été l’enfer. Les clients ne savent pas ce qu’ils veulent puis ils viennent avec leurs mioches qui touchent tout. Il fallait que j’aie les yeux partout, ce n’est pas un endroit pour des gones, une cave à vin ! Ils feraient mieux de les emmener voir Guignol, on serait tranquille.
— C’est sûr que le théâtre de marionnettes est plus approprié, je réponds pour la forme.
De toute évidence, il n’aime pas les enfants ce qui me fait grimacer. Sans dire que je nous voyais déjà mariés avec trois enfants, j’espérais que nous ayons les mêmes attentes pour l’avenir. Un silence pesant s’installe. Jules plonge son regard dans le mien et affiche une petite moue de satisfaction. Je soupire intérieurement tout en me remémorant la maxime de Saint Exupéry « Aimer, ce n'est pas nous regarder l'un l'autre, mais regarder ensemble dans la même direction ». Un serveur approche :
— Vous avez choisi ?
Je n’ai pas eu le temps de regarder la carte, mais Jules répond :
— Toujours pareil.
Le trentenaire semble donc être un habitué des lieux…
— Et pour vous ? poursuit le serveur.
— La même chose ! répond mon rencard à ma place.
— Très bien, donc, 2 gins, énonce le serveur en s’éloignant.
— Euh, non, un chocolat chaud, pour moi, s’il vous plaît.
Jules me regarde avec des yeux ronds.
— Tu ne bois pas d’alcool ?
— C’est trop tôt.
— Excuse-moi, comme tu disais que tu n’aimais pas choisir…
— Je n’aime pas non plus que l’on choisisse à ma place.
J’ai répondu du tac au tac. Le vent glacial semble s’être brusquement engouffré dans le bar. Jules a perdu de son flegme pourtant il reprend :
— Enfin, je suis bien content que t’aimes l’alcool quand même, car, vu mon métier, ça aurait été dommage. Je peux te faire profiter de bonnes bouteilles !
Il me fait un clin d’oeil, mais m’acheter avec des boissons ne fonctionnera pas. Sa bouche se tord en un sourire qui se veut ravageur avant de libérer un flot de paroles sans intérêt. Mais que fait le serveur ? Je jette de rapides coups d’oeil dans tous les sens, pour le localiser. Ah, le voilà qui revient, enfin, avec son plateau. Il nous sert ce qui marque une courte pause salutaire dans le monologue de Jules. À défaut de boire ses paroles, j’avale à grosses gorgées mon chocolat chaud, amer à mon goût, afin d’écourter l’entrevue. Le serveur, au loin, amusé, semble lire l’ennui sur mon visage, mais il n’intervient pas. Nos verres et tasses sont vides, pourtant il ne cesse de parler alors, avec ma discrétion naturelle, je regarde toutes les minutes - m’indiquent les aiguilles - la montre à mon poignet. Il devrait comprendre le message… Enfin, il s’interrompt et regarde, à son tour, sa montre hi-tech, avant d’annoncer :
— 20h, déjà ! Le temps défile vite en ta compagnie. Ça faisait longtemps que je n’avais pas passé un si bon moment, tu sais. J’aimerais qu’il se prolonge toujours.
Il semble réciter un texte appris par coeur. Vraiment, son jeu est médiocre. Je me contente de lui offrir un sourire crispé puisqu’il ne me laisse pas le temps d’ouvrir la bouche.
— J’ai une idée, ça te dirait de venir manger chez moi ? On commandera un plat.
À sa fausse spontanéité, je réponds :
— Je te remercie pour ta proposition, mais je vais rentrer, c’est mieux.
Entendre ma propre voix, après un si long silence, me surprend.
— Une prochaine fois ? essaye-t-il.
— Non plus. Ne le prends pas mal, mais nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde.
Jules est contrarié, ça se voit, son plan n’a pas fonctionné, mais il ne veut pas perdre la face.
— Ça me soulage, quelque part, que tu dises ça, car je pense pareil. T’es pas très marrante comme fille.
Sa remarque ne m’ébranle pas, j’acquiesce, le salue et me dirige jusqu’au bar pour payer. Le serveur semble approuver ma décision d’un sourire tandis que le barman me regarde surpris. Jules doit être plus convaincant d’habitude.
Je soupire en passant la porte. Ce rendez-vous était horrible. Certes, Jules n’était pas un psychopathe, enfin je ne crois pas puisque je n’ai pas pris le risque d’aller chez lui, mais c’était un mufle.
12 commentaires
Aurélie Benattar
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