Milie Ben Un billet pour Tobermory Monsieur MacDowell

Monsieur MacDowell

– Vous êtes virée !

Trois mots. Trois mots qui vinrent frapper mon esprit… Mon cœur, lui, chantait probablement un air de libération mais j’étais trop accablée pour lui donner de l’importance.

– J’ai des droits.

– Nous verrons cela au tribunal. Prenez vos affaires et rentrez chez vous.

– Mme et Mr D. avaient besoin de ce prêt.

– Et moi, je vous avais ordonné de ne pas leur attribuer.

– Ce que j’ai fait puisque je ne leur ai accordé qu’un tiers de ce qu’ils demandaient.

– Ce n’était pas à vous d’en décider. On vous paie pour exécuter, non pour penser.

– Dans ce cas, balancez vos moodboards à la poubelle !

Monsieur Urmick me fixait de son gros œil vide. Qu’est-ce que le moodboard avait avoir avec le prêt de Mme et Mr D. ? Cette interrogation ravivait son air idiot. Une grosse chenille affalée dans son cocon blanc jaunâtre. Je tournais les talons et décidais de m’en aller de cet endroit étouffant le plus vite possible.

Dans la salle de repos, mes collègues mangeaient des croissants qui s’émiettaient sur le sol. Aucun d’eux ne me salua. Entre eux, il y avait d’excellents rapports. Moi, j’étais la pestiférée… celle qui gênait parce que différente. On se forçait parfois à m’adresser la parole… vous savez, la fameuse « inclusion ». Mais ce n’était que de l’esbroufe. J’étais habituée depuis l’école à cette sensation de n’être pas au bon endroit, au bon moment. Comme si je mettais perpétuellement mes pieds dans le plat. Pourtant, j’avais fait des efforts au sein de cette équipe. Au début, j’amenais des viennoiseries, du chocolat chaud, des bonbons. Je riais aux blagues que je ne comprenais pas. L’humour est tellement subjectif. Comme l’écrivait Bergson « le rire cache une arrière-pensée d’entente, de complicité… ». Alors, je m’efforçais de rire. Mais des remarques, des coups d’œil, des moqueries m’avaient fait capituler. J’avais fini par faire moins d’effort et puis plus du tout.

Avant de partir, je désirais punaiser un mot sur leur moodboard. Une phrase que j’avais sur le cœur depuis un moment. Il fallait que je m’en libère. C’était le bon moment. Il y avait presque toute l’équipe agglutinée autour des croissants. Une fois que je l’eu accrochée et que je fus sortie de la salle, j’entendis la précipitation des pas groupés sur le sol. Ma libération résidait dans cinq petits mots : Allez tous vous faire foutre !

Depuis un banc dans le parc, j’observais une petite canne. Elle nageait gracieusement suivi d’adorables canetons. Ils étaient heureux. Parfois, ils plongeaient leurs têtes pour observer l’autre monde. Etait-il plus agréable que le nôtre ? En tous cas, il paraissait incroyablement plus captivant… si je le pouvais, j’irais moi aussi plonger ma tête sous l’eau… percevoir le monde au travers des bouquets de myriophylles. Qu’allais-je faire de ma vie ? J’avais étudié, trouvé une place à la banque, grimpé un peu les échelons… et maintenant ? Plus rien. Comment allais-je payer mon loyer ? J’avais un peu épargné mais cela ne serait pas éternel. Il me fallait trouver un autre emploi dans une banque. Cette idée me tordit les boyaux. Les chiffres me sortaient par les yeux. Je n’avais plus envie de rien. Juste plonger ma tête dans l’eau et me transformer en caneton. Cette maman canne était sûrement merveilleuse. Bien plus merveilleuse que la mienne. Je me mis à la dessiner sur un petit carnet que je déposais toujours dans le fond de mon sac. Tout en esquissant sa silhouette, j’eu l’impression qu’elle me réconfortait. C’était incroyablement doux. Et, sans m’en rendre compte, je commençais à établir une liste des choses que j’aimais faire. La dernière chose qui me vint à l’esprit était étonnante… observer le monde… était-ce vraiment considéré comme une véritable activité ? Beaucoup, la prendrait pour de l’oisiveté… mais n’était-ce pas la plus essentielle dans la vie « savoir observer le monde » ? Les larmes me montèrent aux yeux… et j’entendis soudain la voix de ma mère persiffler « une vieille dame qui fleure bon la violette »… la colère s’élança en moi. J’inspirais et expirais bruyamment. Des promeneurs me regardèrent perplexes se demandant certainement ce qui pouvait me faire souffler ainsi comme une vieille baudruche qui se dégonfle.

L’étrange numéro de la veille s’afficha sur mon téléphone. Je n’étais pas dans un bon jour.

– Oui ! grognais-je désagréablement

– Euh… Madame Fleury ?

L’homme au bout du fil avait un fort accent écossais. Je le reconnaissais entre mille puisque ma mère était écossaise.

– Oui. répondis-je plus calmement

– Maître MacDowell…

« Maître » ? Un avocat ? Pour quelle raison un avocat écossais viendrait à me contacter ? Quelle tuile allait encore me tomber sur le coin du nez ? L’homme racla sa gorge. Ce qui écorcha quelque peu mon tympan.

– Je vous contacte au sujet de votre mère…

Et voilà ! Voilà pourquoi elle était partie si rapidement à l’autre bout de la planète ! Dans quoi avait-elle trempé ?

– Allô ? s’inquiéta mon interlocuteur

– Oui, oui. Je vous écoute.

– Je suis notaire. Votre mère vous a laissé un héritage assez… conséquent.

– Je vous demande pardon ?

– Votre mère se nomme bien Hamilton ?

– Euh… oui… oui… mais ma mère est en vie. Ce doit être une autre Hamilton. balbutiais-je complètement perdue

– Mary Hamilton est bien votre mère ?

– Non. Ma mère s’appelle Ruby Hamilton.

Cette fois, il y eut un petit silence du coté du notaire.

– Madame… dit-il d’une voix grave… Il vous faut impérativement venir à Tobermory. C’est d’une extrême importance.

– Monsieur MacDowell, vous faites erreur. On vous aura mal renseigné. Je n’ai rien avoir avec Tober…

– mory. ajouta-t-il pour m’aider.

– Voilà, Tobermory.

– Pourtant, vous êtes bien d’origine écossaise ?

– Oui.

– Alors, il n’y a pas de doute. Vous devez venir. Je vous envoie toutes mes coordonnées par sms. Dès que vous serez arrivée, contactez-moi. Belle soirée Madame Fleury.

Le mystérieux notaire raccrocha sans même prendre le temps de m’écouter. Si quelqu’un à ce moment là m’observait, je devais probablement ressembler à une statue de sel. J’étais comme pétrifiée. Je pensais que mon renvoie de la banque était ce qui pouvait le plus me mortifier mais j’avais tort. Il y avait encore plus atomisant.

Qui était cette Mary Hamilton ? Et pourquoi ce MacDowell affirmait-il qu’elle était ma mère ? Ma mère était Ruby Hamilton. RUBY HAMILTON. J’avais envie d’hurler ce nom à pleins poumons. Je décidai de téléphoner à ma mère. Mais elle ne répondit pas. Certainement trop occupée à fuir en Amérique centrale. Je refermai mon calepin d’un coup sec. Elle m’avait toujours affirmée qu’elle était de Glasgow. Mais comme elle mentait avec force et fracas… je n’étais plus sûre de rien. Qui était-elle vraiment ?

Après tout, je ne savais pratiquement rien de sa jeunesse. Quand elle évoquait des souvenirs, c’était toujours ceux de Paris. Son avion n’avait peut-être pas encore décollé. Puisqu’elle ne répondait pas à mes appels, j’allai la retrouver à Orly.





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10 commentaires

Anthony Dabsal

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Il y a 6 mois

C'est vraiment sympa, j'ai hâte de lire la suite :-) N'hésite pas à lire ma nouvelle et me dire ce que tu en penses :-D Bonne chance pour le concours !

Milie Ben

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Il y a 6 mois

Merci 🙏 et oui je n’y manquerai pas

Birdie

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Il y a 5 mois

Mystère intéressant 😄

Milie Ben

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Il y a 5 mois

😅

Ava Montastier

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Il y a 5 mois

Hinhin, énigmatique tout ça !

Milie Ben

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Il y a 5 mois

Je suis contente que le mystère marche 😅🙏😘
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