Fyctia
Chapitre 46
Aussitôt après avoir passé le pas de la porte, emmitouflée dans un des gros manteaux de mon père, le froid et la neige me percutent de plein fouet. La température extérieure est glaciale, tout comme la discussion que je m'apprête à débuter.
Je le suis sans dire un mot jusqu'au cabanon situé de l'autre côté de la cour. Alors que je devrais être en train de sentir une boule d'anxiété se former dans mon ventre, je me sens étonnamment calme.
Peut-être parce que j'attends ce moment depuis des jours ?
Même si le timing est mal choisi, qu'importe, il est grand temps que nous ayons une réelle discussion.
Arrivés au cabanon, j'observe mon père s'immobiliser devant la porte avant d'allumer la minuscule lumière extérieure. Il prend un moment de pause avant de me faire face en sortant un paquet de cigarettes de sa poche. Alors qu'il en allume une, il me tend le paquet en me scrutant une nouvelle fois de son air mauvais.
– Je sais que tu fumes. - débute-t-il -
La discussion commence en fanfare mais ça a le mérite d'être honnête alors que j'allume à mon tour une cigarette. J'inspire à plein poumon la fumée et nous restons un moment dans un silence pesant jusqu'à ce qu'il se décide à le briser.
– Bon Anna. Votre petit jeu doit cesser, maintenant. Vous vous rendez bien compte que la relation que vous entretenez n'est pas appropriée. Et encore moins dans le cadre de ton travail. Tu le savais que nous ne tolérons pas ce type de relations au cabinet. Je vais devoir rompre votre période d'essai et si vous continuez ainsi, ça t'arrivera au même titre que les autres collaborateurs. Que tu sois ma fille ou non.
Je reste bouche bée pendant qu'il me fixe l'air impitoyable.
– La règle, c'est la règle. Quand tu joues, tu prends le risque de tout perdre. - poursuit-il fermement -
– Tu n'as pas l'impression que ta réaction est exagérée ? Enfin ! Tu as bien conscience que c'est abusif de remercier des salariés pour ce motif-là !
– Non. Je peux vous remercier dès que je veux et ce, sans aucun motif. Recevables ou non. Même si ce serait regrettable de se séparer de deux bons éléments comme vous.
Il prend le temps de me laisser mariner quelques instants pendant qu'il continue à fumer de plus belle sur sa malheureuse cigarette qui crépite sous son inspiration.
– Je ne comprends pas pourquoi tu t'accroches à Alexander. Ne vois-tu pas que tu n'es qu'un passe-temps pour lui ? - reprend-il, fataliste -
– Et moi je ne comprends pas d'où te vient cette aversion pour lui ! Tu sais papa, j'aimerais bien connaître la vraie raison qui te pousse à le haïr et je t'en prie, ne me sert pas tes excuses bidon cette fois-ci ! - poursuis-je tout aussi cassante -
Mon père lâche un soupir à fendre l'air tout en secouant doucement la tête telle une critique sourde. Même si j'ai conscience que notre échange devient délicat, il est temps que je sache ses raisons et c'est une nouvelle fois dans une attente interminable que je redoute sa réponse.
– Ecoute, tu penses le connaître mais tu ne sais rien de lui, de sa famille et de sa façon de vivre. Ce sont des personnes qui ne vivent pas dans le même monde que nous, pour eux, la vie est un jeu ! Ils n'ont pas la pression de l'argent ou de la réussite, ils ont déjà tout !
– Mais non ! J'ai rencontré sa famille et ils n'ont pas l'air de vivre dans un monde parallèle contrairement à ce que tu penses ! - m'emporté-je -
Il hoquète sensiblement de surprise avant de reprendre d'autant plus négatif.
– Tu veux savoir ce que je pense ? Tu vas devenir sa jolie petite poupée jusqu'à ce qu'il se lasse de toi et qu'il te laisse tomber, et quand ce sera fait, tu reviendras ici, détruite et à ramasser à la petite cuillère. Alors pardonne-moi de vouloir protéger ma fille des griffes de cette famille qui va te détruire ! - rétorque-t-il, irrité -
– Et alors ? Même s'il me brise le cœur, je ne vais pas en mourir ! Laisse-moi un peu vivre bon-sang ! Papa, je ne peux plus d'être ton pantin que tu manipules à ta guise. Je ferais certainement des choix qui ne te plairont pas mais je ne peux pas vivre en fonction de tes craintes, je ne suis plus ta petite fille maintenant !
Cette fois-ci, c'est moi qui prends un temps de pause pour retenir son attention pendant qu'il me fixe, les sourcils froncés de désaccord.
– Dad, tu sais j'ai toujours eu peur de ton jugement concernant ma vie et c'est d'ailleurs pour ça que je n'ai jamais présenté les hommes que j'ai fréquentés. J'avais la trouille que tu me rabaisses par rapport à mes choix et j'avais raison car c'est exactement ce que tu fais avec Alexander ! Ça fait trop longtemps que je me retiens de vivre pleinement ma vie parce que toi et ton jugement me mettent une pression de dingue sur les épaules !
Mon père reste stupéfait de mes paroles en affichant une mine déconfite mais quoi qu'il en soit, les choses sont mises au clair et je ne reviendrais plus sur ma décision désormais.
Alors que notre discussion vient tout d'un coup de prendre fin, il se résigne à me faire entendre raison, me résignant également de mon côté. La situation me blesse profondément car je pensais que notre relation père-fille était bien plus solide que ça.
C'est entre la colère et la tristesse que je prends la direction de la maison en précédant mon père de quelques mètres.
– Anna, tu es certaine de préférer tourner le dos à ta famille et au cabinet tout ça pour un homme ? - finit-il par m'adresser avant que je ne pose ma main sur la poignée de la porte d'entrée -
– Non papa, ce n'est pas pour un homme. C'est pour moi et mon propre bonheur mais ça, c'est quelque chose qui semble t'échapper apparemment. - surenchéris-je, amère -
– Soit, vas-y alors. Jettes-toi dans la gueule du loup puisque c'est ce que tu souhaites mais je ne te demanderais qu'une seule chose Anna.
M'adresse mon père en joignant ses deux mains l'une dans l'autre comme pour mimer une prière.
– Continuez à jouer votre mascarade car c'est la dernière fois que cet homme met les pieds dans ma maison. Je ne tolérerais pas qu'il touche ne serait-ce qu'un de tes cheveux sous mon toit. Je suis chez moi et j'ose espérer que tu aies un minimum de jugeote pour respecter mes volontés. - souffle-t-il hargneux -
C'est dans un silence implacable que je réponds d'un hochement de tête avant d'ouvrir la porte pour clore définitivement cette discussion. Dès que nous entrons, c'est également un calme plat qui nous accueille pendant que nos convives ne disent pas un mot en nous observant.
L'ambiance pesante est palpable et la fin de cette soirée s'annonce formidablement morne.
32 commentaires
M. Florisoone
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Paupipauline
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Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael
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lchardon
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Jane Moody
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