Fyctia

Je passe le pas de la porte, talonnée de près par mon père et c'est un nouveau silence pesant qui nous accueille. Aucun de nos convives n'ose ouvrir la bouche alors qu'ils nous observent silencieusement pendant que nous reprenons place à leurs côtés.

Chacun se jauge à tour de rôle comme pour prendre la température afin de savoir si l'un d'entre nous doit relancer la conversation malgré le froid intersidéral qui règne à table. Quelques sourires désolés m'arrivent sans pour autant que quelqu'un ne se désigne pour faire la causette.

Alors que j'observe les traits tendus de John, je ne peine pas à supposer que mon père a certainement omis, une des raisons qui le pousse à rejeter Alexander. Peut-être même, la principale raison.

Je les scrute à tour de rôle pour tenter de sonder leurs attitudes alors qu'ils semblent s'appliquer à créer une curieuse diversion entre eux pour donner le change. Cette mascarade ne m'atteint pas et je commence à être franchement excédée par cette comédie.

L'ambiance morose nous pousse à terminer le repas au plus vite et c'est dans un enchainement cadencé que nous arrivons enfin à la dégustation du Christmas Cakes et des mignardises sucrées. Bien que je désespère de voir mes parents quitter la table pour partir se coucher, mon espoir renaît lorsque ma mère finit par s'activer à préparer le thé. J'effectue une prière mentale pour qu'une puissante fatigue s'abatte sur eux.

Après de longues minutes à attendre que le thé soit servi, c'est finalement Charli qui se désigne en tant que juge de paix en nous proposant de nous échapper dans le salon. Je ne me fais pas prier pour prendre ma tasse de thé et quitter cette table qui est devenue une zone de guerre froide.

Je constate qu'Alexander et Josh nous suivent également jusqu'au sofa pour nous rejoindre au coin du feu. Dès qu'Alexander se retrouve à proximité de mon champ de vision, je prends le temps de lui adresser un sourire complice pendant qu'il m'observe avec une certaine inquiétude.

J'aimerais le rassurer, discuter avec lui, lui demander comment il se sent mais je m'y résigne une fois de plus. Ayant promis à ma mère de ne pas faire de vagues pendant les fêtes, je m'y tiendrai.

Prise dans ma rêverie pendant que je couve discrètement Alexander du regard, c'est finalement Charli qui me tire de mes pensées alors qu'il débute la discussion en se penchant vers nous.

– Vous pensez qu'ils vont bientôt aller se coucher les vieux ? Il serait temps clore cette belle soirée de merde ! - nous chuchote Charli -

Je me mets à rire doucement devant la mine contrite de mon ami. C'est vrai qu'il n'a pas tort sur ce point-là. Les fêtes devraient être synonyme de gaité, de joie, de partage et d'amour alors qu'aujourd'hui nous sommes très loin de tout ça.

Je soupire à cette pensée en buvant une gorgée fumante de mon Christmas Tea avant que Charli ne poursuive notre discussion en abordant divers sujets. N'ayant pas vraiment accordé mon attention à mes amis ces derniers jours, j'en profite pour discuter avec Charli de sa relation avec Ophélie.

Ses yeux pétillent de malice en me confiant plusieurs souvenirs qu'ils se sont faits pendant mon absence. Je l'écoute avec plaisir lorsqu'il me raconte avec entrain leur sortie à la patinoire, à Camden town, dans les petits pub et même leurs promenades le long des quais de la Tamise, main dans la main, sous la neige.

Je suis émerveillée de découvrir à quel point mon ami peut se montrer romantique lorsqu'il est amoureux. Son âme d'artiste lui a toujours conféré cette sensibilité dont il a toujours été capable de faire preuve, aussi bien avec ses amis que ses amours.

Prise dans ma niaiserie, je sursaute lorsque j'entends plusieurs pieds de chaises crisser provenant de la table. C'est avec une certaine satisfaction que je me mets à soupirer de soulagement en me disant que cette soirée d'enfer est sur le point de se terminer.

Alors que ma mère vient déposer un délicat baiser sur le sommet de mon crâne, j'entends en arrière plan mon père et John nous souhaiter une bonne nuit. Sous leurs airs faussement détendus, j'intercepte le regard réprobateur de mon père auquel je réponds d'un large sourire.

Quelques minutes plus tard, mes parents et John nous quittent enfin pour nous laisser seuls. Dès que leurs regards sont définitivement hors de notre portée, je m'empresse de rattraper mon retard en sautant sur les genoux de mon Écossais.

À peine installé, Alexander m'attire contre lui en me serrant suffisamment fort pour que puisse être parfaitement collée à son torse. Ce simple geste de sa part suffit à me rappeler ce dont pourquoi cet homme me fait fondre. Cette fois-ci, Charli et mon frère nous épient à tour de rôle avec deux drôles de mines à demi complice, à demi dubitative.

Je remarque qu'Alexander ne prête pas réellement attention aux regards que nos complices nous lancent pendant qu'il ne tarde pas à m'embrasser un peu trop langoureusement devant nos amis. Ses gestes sont aussi délicats que sensuels alors qu'il caresse du bout des doigts mon visage pour me faire frissonner une nouvelle fois sous son impulsion.

À cet instant, je n'échangerais ma place pour rien au monde.

Néanmoins notre pause hors du temps est de courte durée quand les grands yeux de Charli et mon frère nous questionnent du regard, brillant et espiègles.

– Mais je le savais qu'il se passait un truc entre vous ! - débute joyeusement mon frère -

Je lui retourne un haussement d'épaules faussement innocent accompagné d'un sourire de biais. En effet, il serait difficile de nier notre relation désormais. D'autant plus, après ce qu'ils viennent d'apercevoir.

– C'est bien pour ça que tu voulais absolument que je donne le change pour dormir avec Charli ce soir ! - poursuit-il sur sa lancée -

Ses paroles font immédiatement l'effet d'une bombe auprès de Charli qui s'empresse de questionner mon frère à ce sujet pendant qu'Alexander m'envoie un regard amusé par cette révélation inattendue.

– Alors Miss Austin, tu as tout manigancé pour passer la nuit avec moi ? - me chuchote Alexander d'une voix lascive -

Ses paroles m'électrisent instantanément en lisant toute la sensualité qui se dégage de ses grands yeux vert foncé. Comment est-il possible, que d'un simple regard il soit en mesure de m'enfiévrer aussi facilement ?

Même si je viens de quitter la terre pour la dimension Alexander, je constate qu'il est minuit passé lorsque les garçons se décident à nous laisser définitivement seuls.

Alors qu'ils finissent par se diriger vers l'escalier, ils nous adressent plusieurs coups d'œil entendus pour exprimer leurs satisfactions et peut-être aussi leurs amusements de nous voir désormais réunis.

Pour l'heure je n'ai qu'une pensée : terminer ma soirée en beauté dans les bras d'Alexander.