Fyctia

Décidément, notre entrevue prend vraiment une tournure inattendue.

Pendant que je scrute son visage qui irradie, il affiche un sourire aussi malicieux que carnassier sur ses lèvres légèrement charnues.

Il fait durer le suspens en prenant le temps de sonder mon âme de ses grandes iris vertes foncées. Il semble se passer tout un tas de choses dans sa tête rien qu'à voir ses yeux briller.

De mon côté, je me contente de m'enfoncer profondément dans mon siège en croisant les bras sur ma poitrine. A quelle sauce va-t-il me manger encore ?

– Bon, même si je pensais que tes exigences en matière d'hommes étaient plus élevées que ça. Je vais te faire passer ton premier date pour évaluer tes chances de conclure ! - m'adresse-t-il narquois -

– Sérieusement, évaluer mes chances de conclure ? - lancé-je à demi assommée le cœur battant -

Il hoche frénétiquement de la tête signe d'affirmation.

- Je suis littéralement en train de me décomposer. C'est une blague. -

Il commence à m'expliquer qu'avant toute chose, il va commencer par aller nous chercher deux cafés, puis revenir pour passer aux choses sérieuses.

- Putain, mais dans quel merdier je me suis foutu ! -

Sans avoir le temps de protester, il se lève et s'en va en me laissant seule dans ma panique interne. J'effectue plusieurs check-up en direction du bar et je constate que plusieurs clients patientent devant lui.

J'en profite pour faire un compte rendu à Ester en lui expliquant l'idée saugrenue d'Alexander. Je n'oublie pas de lui témoigner ma terreur et pour le coup, mon manque total d'inspiration. Mon corps commence déjà à me jouer des tours en m'envoyant de longues vagues de sueurs froides.

Est-ce ça le stress ?

Sorti de mes pensées, mon téléphone vibre.

• -Ester - 16h51 : T'es sérieuse Anna ! Non mais ne me dis pas que tu es vraiment naïve à ce point pour croire que c'est un jeu !
• - Ester - 16h52 : CE N'EST PAS UN JEU ANNA !

Alors que je m'apprêtais à répondre à Ester, je suis coupée nette dans mon élan quand Alexander arrive dans mon dos avec deux cafés. Je pose illico presto mon téléphone, l'écran face à la table dans un essor brutal.

Lorsqu'il dépose les deux tasses en m'adressant un grand sourire, je crois m'être liquéfiée à cet instant précis.

– Prête ? - débute-t-il en prenant une gorgée de café -

J'hoche doucement de la tête en imitant son geste.

– Alors. Dis-moi tout ce qu'il faut savoir d'Anastasia Austin !

– Arrête, c'est futile non ? Tu en sais déjà suffisamment Alexander... - répond ai-je embarrassée -

– Non ! En vérité, je ne sais rien de toi Anna ! Dis moi quelle est ta couleur préférée ? Quel est ton deuxième prénom ? Si tu n'avais pas choisi le droit, tu aurais fait quoi ?

Je reste un moment silencieuse. Aussi stupéfaite qu'excitée à l'idée d'enfin arriver au moment fatidique de faire connaissance. Vraiment connaissance.

– Ok, jouons le jeu. - lancé-je un sourire de biais collé au visage. - J'adore le vert, mais vraiment vert tu vois ! Mon deuxième prénom est Mary et... Si je n'avais choisi le droit je pense que j'aurais vraiment aimé étudier l'économie ou la politique.

Je bois une nouvelle gorgée de café avant de poursuivre.

– A mon tour. Pourquoi tu as choisi de quitter l'Ecosse ?

– Les opportunités professionnelles étaient à Londres pas en Ecosse donc ça semblait logique de partir. - répond-il franchement - A mon tour. Qu'est-ce que tu cherches sur Tinder ? Un mec ou un coup d'un soir ?

Je manque de m'étouffer en avalant de travers ma salive. - Ok, il ne tourne pas autour du pot. -

– Faire connaissance avec de nouvelles personnes, pour commencer déjà. Et puis après, s'il y a plus et affinités, pourquoi pas. Je ne me mets pas de pression... Et toi, qu'est-ce que tu cherches sur Tinder ? - poursuivis-je en pinçant mes lèvres, incertaine de vouloir savoir ce que je sais déjà -

– De quoi égayer mes longues soirées Londoniennes. - Sa réponse totalement floue me laisse sur ma faim tandis qu'il pose un temps mort avant de reprendre. - C'est quoi ton genre d'homme ?

– Genre, tu poses ce genre de question à un date ? - répond ai-je perplexe -

– Non mais, dans ton cas ça m'intéresse.

Je secoue doucement la tête en lui riant au nez.

– Ok. Puisque tu veux tout savoir. J'aime bien les hommes qui sont cultivés, charismatiques, respectueux tout en sachant prendre les choses en mains quand il le faut, tu vois ? Le tout avec un soupçon d'humour et de folie si possible, là c'est le must !

– Et tu penses vraiment trouver ça sur Tinder ! - me lance-t-il hilare -

– Pas vraiment. - dis-je avec autodérision - Bon ! C'est à mon tour. Je ne te demanderais pas ton genre de femme au risque d'être déçue mais... J'aimerais bien savoir ce que les femmes ont bien pu te faire pour que tu en veuilles autant à la gente féminine. Et ne me dis pas que c'est une perte de temps et patati, patata. Je veux la vraie raison.

La jolie lueur de ses yeux vient tout à coup de s'assombrir. Même si j'ai conscience d'avoir posé la mauvaise question, il est temps que je sache.

– C'est une salope qui m'a fait ça. - bougonne-t-il funèbre -

– Mais toutes les femmes ne sont pas comme ça Alexander ! - il semble sursauter au son de ma voix, comme s'il sortait d'une léthargie -

– Ouais. Je m'en fous. On s'en va ?

Son intonation et son visage n'ont plus rien de chaleureux lorsqu'il termine d'un trait la fin de son café. Je termine à mon tour ma tasse avant de prendre le départ.

Je me mords la langue d'avoir voulu le brusquer. Je n'aurais peut-être pas dû être si indiscrète, c'est vrai. Si Ester était là, elle me sermonnerait de ne pas avoir été délicate. Mais ainsi soit-il. Il va bien falloir que je comprenne une bonne fois pour toutes, c'est qu'il provoque son malaise dès qu'il s'agit de parler de relations amoureuses, de près ou de loin !

Arrivés à hauteur de son bolide, je l'observe prendre place au volant. Son expression est toujours aussi tourmentée. Un silence lourd et pesant s'installe dans l'habitacle et je me résous à le briser.

– J'ai été trop indiscrète Alexander... Je m'excuse, je ne voulais pas te blesser. - lancé-je en douceur -

Il balaie de la main ma phrase en fronçant les sourcils.

– Je ne comprend pas pourquoi les femmes veulent toujours, tout savoir ! Ca sert à quoi de remuer le couteau dans la plaie, hein ?

– Je... Je n'avais pas l'intention de te mettre en colère. Je voulais juste comprendre tes raisons mais puisque tu es borné ! Bha, continue d'enchaîner tes coups d'un soir, et basta ! - finis-je par m'emporter à mon tour -

– C'est ça. Tu as tout compris ! Aller, à demain Anastasia.

Son ton est glacé.

Je descends de son bolide, claque la porte et rejoint ma maison sans me retourner.

Je suis terriblement déçue.

Déçue de moi.

Déçue d'avoir tout gâché avec ma curiosité.

Tandis que je reste un moment accoudée au portail en attendant son départ.

Il démarre en trombe et il vient une fois de plus de partir avec un morceau de mon cœur.