Fyctia

| Vendredi 18 Décembre - 14h12 |

Après avoir passé l'essentiel de ma soirée et de ma matinée scotchée à mon téléphone, je commence à maîtriser Tinder. Je me suis finalement amusée à liker un bon nombre d'hommes.

C'est presque comme faire ses courses. On dit que c'est le packaging des produits qui influencent à l'achat, et bien là c'est pareil sur Tinder. Trois fois plus de chances d'être retenu si la photo est soignée. La comparaison avec le marketing est un peu déplorable, mais c'est la triste vérité.

Depuis hier soir, j'ai cumulé plus de dix matchs et le moins que je puisse dire c'est que ces hommes rivalisent d'imagination pour me faire rire.

J'ai défini trois catégories d'hommes :

– Ceux qui sautent à pieds joints dans le piège du code civil en me proposant des articles plus farfelus les uns que les autres ;

– Ceux qui misent sur l'humour et l'autodérision ;

– Ceux qui sont lourds.

Dans la catégorie des lourds, l'un d'entre eux s'est distingué comme étant un très gros lourd quand il m'a demandé s'il était possible que je lui envoie une photo habillée en robe d'avocat pour assouvir ses fantasmes. Comment vous dire que ma réponse a été un non, définitif.

Malgré ça, les autres sont plutôt courtois, et j'en suis assez surprise. C'est une expérience comme une autre et puis Ester avait raison, ce n'est pas si terrible que ça d'être sur ce genre de plateforme.

Mais soit. En ce dernier jour de la semaine, je suis en route pour me rendre au cabinet afin de finaliser les préparatifs de notre départ en Ecosse.

Dès que le chauffeur me dépose au pied de l'immeuble, je m'empresse de monter rapidement.

Je suis déjà en retard.

Aussitôt arrivée au treizième étage, je passe saluer rapidement l'équipe encore présente, embrasse mon père, John, puis je me dirige vers mon bureau. Alexander est déjà là, installé au bureau en train de déguster son café.

– Hello, hello !- lui adresse ai-je souriante -

– Hello Anna ! En forme pour préparer notre déplacement ? - rétorque-t-il aussi souriant -

– Evidemment, je te propose que l'un de nous s'occupe de réserver l'hôtel pendant que l'autre imprime les documents. Qu'en penses-tu ?

Il m'indique son accord avec un hochement de tête affirmatif.

Je l'observe dans toute sa splendeur, son visage est encore plus lumineux que les jours précédents. Je ne sais pas ce qu'il le met de si bonne humeur mais il est vraiment à couper le souffle. C'est clair qu'il dépasse de loin tous les hommes avec lesquels j'ai pu discuter sur Tinder.

Alexander a cette espèce d'aura qui rayonne autour de lui et qui le rend spécial.

Je finis par détacher mon regard de son visage et reprendre mon souffle que j'avais visiblement coupé depuis un certain temps. Je m'affaire à rechercher un hôtel et il faut dire que mes recherches sont limitées. Dans la ville où nous nous rendons, il n'y en a pas à la pelle.

Mon choix se tourne vers un ancien château restauré en hôtel. Le cadre a l'air sublime, le prix est correct et surtout, le petit-déjeuner semble à tomber. C'est donc en à peine un quart d'heure que j'ai terminé ma mission.

Alors qu'Alexander est toujours occupé à imprimer nos dossiers, j'en profite pour jeter un coup d'œil discret à mon téléphone. J'ai plusieurs messages en attente et comme je n'ai rien de mieux à faire pour le moment, j'y réponds. Comme si c'était une nouvelle drogue, je me décide à faire un tour sur l'interface qui me propose de nouvelles personnes selon l'endroit où je me trouve.

Swipe à gauche, gauche, encore à gauche, rien d'intéressant jusque-là. Je passe au prochain et à cet instant précis mon cœur manque de rater un battement. Si quelqu'un m'observe je suis certaine que mes yeux sont sur le point de sortir de leurs orbites.

C'est Alexander.

Il est là, sur Tinder.

– Mais j'hallucine ! Mais qu'est-ce qu'il fout sur cette application. –

C'est la première pensée qui me vient alors que je me rends compte que j'avais une nouvelle fois privé mon corps d'oxygène en coupant mon souffle. Je prends tout le temps nécessaire pour observer ses photos, il les a soigneusement choisies et sa présentation est impeccable. Je ne peine pas à m'imaginer qu'il doit être un redoutable prédateur sur cette plateforme...

- A mon grand malheur, cette pensée m'arrache un pique de jalousie. C'est insensé. -

Serait-il un démon déguisé en ange ?

Tandis que je suis aussi prise entre deux feux.

J'ai l'ange qui me dis de passer mon chemin, versus le démon qui m'incite à swiper à droite.

J'hésite. J'hésite vraiment longtemps, que penserait-il si...

Puis j'envoie balader ma conscience.

Je swipe à droite.

Je m'enfonce dans le fond de mon fauteuil, le cœur battant en attendant sa réaction. Je me répète en boucle « Garde ton assurance Anna. Garde ton assurance Anna. ». Je tente de coller un air serein sur mon visage pendant que je le fixe avec un petit sourire malicieux.

Une notification ne tarde pas à faire vibrer simultanément nos téléphones.

Quelques secondes plus tard, je reçois une notification.

« Félicitations ! Vous avez un match avec Alexander ! »

J'essais de camoufler le grave frisson me parcourt par un petit rire interdit quand je me rends compte que lui aussi a swiper à droite en voyant mon profil.

Alors qu'il jette un œil à son téléphone, il le déverrouille dans la foulée.

Un drôle de sourire prend possession de ses lèvres. Ses yeux toujours rivés à son écran, il semble se mordre la joue pendant qu'il sourit toujours.

J'attends patiemment en le scrutant et tout en faisant un mini infarctus sur mon fauteuil.

– Décidément, tu es vraiment surprenante ! - me lance-t-il narquois -

– Je te rassure, moi aussi j'ai trouvé ça surprenant de te trouver sur ce genre de site. - rétorqué-je pleine d'une fausse confiance -

Je ne suis plus qu'un mélange d'excitation, de dépit et de confusion.

Et les choses s'empirent quand je relève le menton pour croiser son regard qui me sonde.

– Ca ne te correspond tellement pas ce genre de truc. - poursuit-il rieur -

– Et pourquoi ! Qu'essayes-tu d'insinuer ? Parce que tu es un homme, toi tu as tous les droits, c'est ça ? - rétorqué-je sur la défensive -

– Non. Ce que j'insinue Anna, c'est que tu vaux mieux que tous ces hommes...

Cette fois-ci je m'étouffe littéralement pendant qu'il m'étudie scrupuleusement les bras croisés.

J'étais loin de me douter qu'il serait capable de me lancer une telle bombe sans préavis. Incapable de répliquer quoi que ce soit, je reste terrée dans mon silence, jusqu'à ce qu'il ne le brise quelques secondes plus tard.

– J'ai terminé, tu es prête à partir ? Je peux te ramener chez toi si tu veux ? - m'adresse-t-il avec détachement -

Je me contente de hocher de la tête, il me tend un énorme dossier et nous prenons le départ tous les deux. Je le suis comme un automate pendant que mon cerveau tourne encore dans tous les sens après ces dernières minutes.

Non !

Non, je ne veux pas qu'il recommence à me rendre dingue avec ses phrases ambiguës !