Fyctia

Je n’oublierai jamais notre première rencontre.

Sylvie m’en avait vanté les mérites en long en large et en travers. C’était une jeune institutrice excessivement prometteuse, très au fait des meilleures pédagogies. « De toute ma carrière elle est vraiment de celles que je classerais d’exceptionnelles »

Je suis convaincue que l’école maternelle et primaire sont fondatrices dans nos rapports à l’autorité ainsi qu’à la société.

Tu n’avais jusqu’alors pas été épargné et j’étais peut être un peu trop vite montée au front . Une maman « va t’en guerre » n’est pas toujours un bien.

Il me faudra attendre tes dix ans et un dernier enfant pour m’assagir.

Dans cette école, il n’y avait pas, comme dans l’ancienne, de grande cérémonie de rentrée.

Tout se faisait simplement.

Les enfants étaient accueillis au portail par la directrice et conviés à rejoindre leur classe dans des marquages au sol prévus à cet effet.

J’ai trouvé ça rude comme entrée en matière, mais pour le coup, toi, mon discret petit timide, ça te convenait très bien.

A midi, je t’ai récupéré. Tu ne m’as pas parlé de ta maitresse. Tu t’es contenté de me parler de ce nouveau copain , Tom, et de son jumeau.

Le soir , à seize heures trente tapantes, je l’ai vue arriver.

Elle n’avait pas du tout le physique de l’institutrice, ni l’allure que l’on peut imaginer , dans une école privée catholique.

Elle faisait jeune , elle était magnifique, des boucles rousses, deux grands yeux clairs tantôt gris, tantôt bleus, tantôt verts, un visage de poupée de porcelaine parsemé de taches de rousseurs et, bien plus surprenant, de très nombreux tatouages.

Elle avait notamment sur le mollet l’effigie d’un groupe de métal .

Ça m’ a amusé et dénotait totalement de l’image lisse de son visage.

Cette dualité n’avait pas fini de me surprendre.

Elle m’a prise en aparté pour me faire un bref bilan de ta journée.

Elle t’a trouvé très sociable contrairement à ce qu’on lui avait dit, impliqué, discipliné, bien loin de la réputation que semblait t’avoir fait ton ancienne école.

-Je n’écoute jamais ce qu’on me dit d’un élève. Je sais par expérience qu’un enfant difficile avec un enseignant peut être très facile avec un autre et que d’un trimestre à l’autre, tout peut changer. Je vais regarder comment votre fils fonctionne mais j’ai déjà quelques pistes de réflexion. Il est lent, c’est un perfectionniste qui n’a aucune confiance en lui, et se distrait quand c’est trop simple. Je lui ai donc déjà prévu quelques fiches à double niveaux. Il ne sait pas quoi faire de ses mains. Si vous pouvez lui trouver un petit jouet , quelque chose qu’il puisse triturer quand le stress monte . Votre fils a besoin de se stimuler physiquement quand il réfléchit. Il s’est rapproché de Tom. C’est un petit garçon très brillant , qui se laisse peu apprivoiser, je ne suis pas surprise qu’ils se soient trouvés. Je suis confiante, l’année démarre très bien.

En une seule journée, elle t’avait cerné comme aucune de tes enseignantes n’avaient su le faire en une année.

En quelques jours, tu allais à l’école , le cœur visiblement allégé. J’entendais à nouveau ton rire , tu chantais à nouveau sous ta douche.

En moins d’un trimestre , Madame Catteeux t’avait complètement apprivoisé.

Nous avions pris l’habitude de nous rencontrer une fois par trimestre pour faire un bilan de tes compétences.

Chacun de ces entretiens m’hallucinait.

Elle ne semblait jamais attendrie ou particulièrement proche de ses élèves. Non, sa façon à elle de vous aimer, c’était de vous connaitre vraiment et de s’adapter.

Sa classe comprenait douze élèves aux besoins particuliers, entre les troubles dys, les retards et les avances. Elle avait pour chacun des techniques spécifiques, une chaise ballon pour l’un , une règle spéciale pour l’autre, un sablier pour toi .

Sous ses airs détachés, probablement empreints de timidité elle vous savait. Chaque problème avait sa solution.

Il n’existait aucun défi qu’elle ne soit capable de relever.

Tu as eu la chance de l’avoir deux années de suite .

Je me souviens avoir pleuré quand la directrice m’a annoncé repartir dans son ancienne école et emmener avec elle la précieuse enseignante.

Tu étais en fin de Cm1 , j’ai eu le sentiment que mon monde s’effondrait à nouveau.