Fyctia

Dur dur de remettre tes souvenirs en ordre des années plus tard.

Dur dur de retracer la route qui nous a menée jusqu’ici.

Mon récit sera peut-être parfois brouillon, les évènements se chevauchant et les souvenirs me revenant au fil des pages.

Quand je me remémore les premières années de ton histoire, je comprends tous ces gens que j’ai tant détestés.

Je n’avais pas la distance nécessaire pour comprendre leur exaspération. Ils n’avaient pas la connaissance nécessaire pour comprendre mon éducation.

Dès les premières interactions sociales de ta grande sœur , je me suis prise de passion pour le mode de l’enfance en général, les enfants en particulier.

Il n’existe pas un lieu dédié dans notre région que je ne connaisse par cœur, pas un best seller que je ne vous ai lu.

Notre maison ressemblait à une crèche dans laquelle défilaient les enfants des amis, les copains de ta sœur, et Matthis, évidemment.

Je ne vais pas dire que je les trouvais tous parfaits et bien élevés, mais j’ai ressenti pour tous bienveillance et tendresse.

J’aimais en particulier vos meilleurs amis, c’est bien naturel.

Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais éprouvé de colère ou de mépris pour aucun enfant, trouvant même aux plus pénibles des circonstances atténuantes.

Jusqu’à lui…

Louis

Tu venais d’entrer en grande section, il était nouveau.

Il faisait une tête de plus que le plus grand de votre classe, il avait une allure à la Tom Sawyer.

Ça ne faisait pas deux semaines que les cours avaient repris.

Ta sœur finissait un quart d’heure plus tard que toi, nous avions donc pris l’habitude de prendre le gouter sur un banc de la cour en l’attendant.

Il s’est approché de toi et son attitude n’avait rien d’amicale.

J’ai regardé la scène pour voir comment tu allais réagir.

Il s’est planté entre toi et moi et a commencé à te dire de lui donner ton gouter.

Sous mes yeux effarés, cette petite brute de cinq ans te provoquait sans la moindre crainte.

Tu ne lui as pas adressé un regard.

Pour autant je n’ai senti ni crainte, ni soumission.

Tu continuais de me parler comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait personne entre toi et moi.

Il a continué de tourner autour de notre banc en hurlant « crétin crétin, il sait pas répondre, crétin, crétin. »

A l’intérieur, je bouillais .

En même temps j’étais stupéfaite de ta réaction.

Après quelques minutes de provocation, lassé de ton mutisme, il est parti chercher une victime plus réactive.

A la maison je t’en ai reparlé.

-Pourquoi n’as-tu rien fait ?

-Il ne m’intéresse pas.

-Tu n’as pas eu peur ?

-de quoi ?

-Je ne sais pas . Qu’il t’arrache ton gouter ou bien..

-Non.

-Est il toujours méchant avec toi ?

-Non, moi j’ai de la chance, il ne m’approche pas trop. Mais il fait peur à d’autres.

-Et la maitresse, elle ne dit rien ?

-Elle le punit, mais il s’en fiche. Il l’insulte .

-Tu en penses quoi de ce genre de garçon ?

-J’en pense rien.

-Tu ne le trouves pas méchant ?

-Je m’en fiche.

-Tu n’en as pas peur ?

-Qu’est ce que tu veux qu’il me fasse ?

Louis a littéralement pourri la classe toute l’année, dont toi, mais tu n’as jamais semblé impressionné outre mesure et, de fait, tu étais l’un des plus épargnés.

La méchanceté n’existe pas pour toi.

Tu n’en comprends pas le concept.

Je t’ai élevé en te disant que derrière la méchanceté se cache souvent une infinie tristesse.

TU as dû prendre ça pour argent comptant.

Tu n’as jamais eu de colère ni de peur pour lui.

Pour toi , il n’était personne, ou juste celui qui faisait tourner la maitresse en bourrique.

Je repense à lui aujourd’hui avec un autre regard. Les évènements à venir m’ont d’ailleurs fait un peu réviser ma copie, mais nous en reparlerons.