Fyctia
le fils à sa maman
A dix huit mois tu parlais couramment, bien mieux que la plupart des enfants scolarisés en maternelle.
Ta première phrase complète, je ne pourrai jamais l’oublier.
Tu avais quatorze mois.
Jusqu’alors, tu connaissais plein de noms , savais nous faire comprendre ce que tu voulais mais ne faisais pas encore de phrase construite.
Nous étions tous les deux.
J’étais, de mémoire, affairée dans la chambre de ta sœur. Elle était à l’école.
Tu étais assis près de moi, tu m’as regardé pensif et tu m’as dit
« Tu vas m’avandonner ? »
Je t’ai regardé, saisie, comme bien souvent.
C’était donc ça ta peur ? Que je t’abandonne ? Que je tourne les talons et que je ne revienne jamais ?
Moi qui passais chaque seconde de ma vie avec toi. Comment pouvais tu imaginer une chose pareille ?
Comment une idée pareille peut elle traverser l’esprit d’un enfant si jeune ?
Tu parlais très bien c’est vrai. Oui mais seulement à tes intimes.
Plus tu grandissais, plus ton détachement transparaissait.
Toi, si brillant, si bavard, si drôle, si charmeur à l’abri du cercle familial te transformais en statue de sel devant quelque visage inconnu que ce soit.
En grandissant pourtant, tu as pris du plaisir à parader pour la baby gym, à prendre part aux projets proposés par le LAEP.
Tu aimais être fier de tes œuvres et force était de constater que là aussi, tu étais incroyablement doué.
Je me souviens particulièrement d’une fête des grands-mères. Je vous avais fait peindre une toile à ta sœur et toi.
Alors que ta sœur de cinq ans avait dessiné sa mamie à la manière d’un enfant de son âge, toi , tu as rendu un travail troublant.
Je sais ce que tu es en train de te dire « tu es ma mère, tu n’es pas objective ».
Non, mon chéri, j’étais la maman de ta sœur aussi et il était évident que ton tableau ne ressemblait en rien à la production d’un enfant de moins de deux ans.
Il semblait tout droit sorti d’un musée d’art moderne. Les couleurs étaient impeccablement harmonieuses, le trait était sûr. Ton tableau ne contenait ni trop, ni trop peu.
J’en ai passé du temps à regarder cette œuvre qui a longtemps, au coté de celui de ta grande sœur, pris une place de choix dans le salon de ta mamie.
D’aucun disaient que c’était, certes, très réussi mais le simple fruit du hasard.
Admettons.
Si les jours devenaient plus simples. Les nuits, elles, étaient le théâtre de terribles angoisses.
Même au creux de notre lit, tu ne semblais jamais serein.
Chaque fois que tu plongeais dans le sommeil, tu sursautais immanquablement. Tu ouvrais les yeux et tu agrippais un bout de moi très fort. Inlassablement, nuit après nuit , pendant des mois , j’assistais impuissante au même bal.
Ni les médecins, ni les conseils de Pierre, Paul, Jacques, Antoine n'avaient de prise sur tes cauchemars.
Tu avais avec ta sœur une relation magnifique.
Elle jouait à merveille le rôle de toute petite seconde maman, et toi, tu adorais être son bébé. Tu aimais l’imiter, lui parler.
Elle avait une âme de leader et toi de fan aveuglé.
Je me suis souvent émue de votre relation. Moi qui n’avais pas connu la joie d’une fratrie, vous regarder si proches était un véritable privilège.
J’aimais sa façon de t’aimer, et je peux te l’avouer aujourd’hui, j’appréciais la petite liberté que votre complicité m’offrait. Quand tu étais avec elle, lâcher mes jupes n’étais plus un problème. Tu acceptais tout d’elle, tu l’aurais suivie au bout du monde.
J’en ai passé des heures à vous regarder jouer ensemble.
Mais très vite, un petit détail m’a chiffonné.
Etre mère au foyer n’est pas donné à tout le monde, mais, malgré la fatigue et la solitude, j’adorais ça.
Vous regarder grandir ça n’avait pas de prix.
Mais forcément quand on regarde une personne, à longueur de journée, on est un peu contraint de l’analyser.
On m’a beaucoup reproché de chercher le petit détail et d’en faire une obsession.
Vous étiez des enfants gâtés c’est vrai.
On me l’a beaucoup reproché.
Mais si tu te plaisais à imiter ta sœur, sans ce mimétisme, tu ne jouais jamais.
Ca faisait sourire les gens à qui j’en parlais mai ça me travaillait quand même.
Je n’ai pas abordé ce détail avec le médecin. Pas plus que celui du tableau. Il semblait déjà me prendre pour une dingue quand je lui affirmais que mon fils parlait parfaitement. Celui là même qui restait désespérément muet sous le regard inquisiteur de notre gentil médecin de famille.
La suite aurait elle été modifiée si je lui en avais parlé ? Je n’en suis pas convaincue. Comme l’écrasante majorité des gens, lui aussi te prenais juste pour le « fils à sa maman »
9 commentaires
MONTENOT Florence
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Il y a 8 mois
MONTENOT Florence
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Il y a 8 mois
loup pourpre
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Il y a 9 mois
Vinnie Catz
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Il y a 9 mois
Lys Bruma
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Il y a 9 mois
Vinnie Catz
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Il y a 9 mois