Fyctia

Octobre 2019…

Tic-tac.

Tic-tac.

Tic-tac.

Je serre les dents, à bout de nerfs tandis que mes doigts jouent entre eux depuis un bon quart d'heure.

Mon regard reste fixé sur le mur gris d'en face, comme si j'étais hypnotisée par la maudite horloge, dont les aiguilles avancent avec une lenteur atrocement exaspérante. Impatiente et anxieuse, tous mes muscles se crispent un peu plus à l'idée qu'il soit huit heures trente.

Mon corps se tend davantage lorsque cette fichue horloge affiche désormais huit heures vingt-cinq.

Respire, Emi. Ne laisse pas la peur, t'empêcher de profiter de cette parenthèse. Regarde où tu te trouves aujourd'hui ? Dans un aéroport. Et tu vas voyager, explorer le monde... Ce n'est pas ce que tu souhaitais pour tes trente-et-un printemps ? Vivre une vie un peu plus trépidante ? Faire de belles découvertes et te sentir libre ?

Mais l'idée de prendre l'avion pour la première fois m'effraye ; au point même que des images de crashs comme ceux du onze septembre, me tourmentent.

Tu ne dois pas laisser cette angoisse grandissante te priver de savourer le moment présent.

J'essaie de calmer les battements frénétiques de mon cœur, en prenant une profonde inspiration, alors que je sens également que mes mains deviennent de plus en plus moites.

Ne t'inquiète pas ! Tout s'est plus ou moins bien passé jusqu'à maintenant. Tu as franchi toutes les étapes sans le moindre obstacle, même celui du portique de sécurité. Alors que ce fut très perturbant lorsqu'il s'est mis à sonner d'un coup, et que tu ne portais plus rien sur toi, qui pouvait suggérer que tu enfreignais la loi... Te faire fouiller même par une femme, était une expérience bizarre, mais tu as réussi à passer sans problème.

L'air est saturé d'odeurs mêlées : le désinfectant fraîchement appliqué, le café brûlant et les effluves me piquant encore le nez, des parfums bon marché vendus dans les petits stands d'à côté.

Pour m'occuper l'esprit et (me donner du courage), j'observe les gens tout autour de moi, installés sur les banquettes ou vadrouillant avec leur valise à la main. Certains sont absorbés par leurs téléphones portables, d'autres feuillètent un journal ou lisent un livre.

J'aime imaginer ce que pourrait être la vie de ces inconnus.

Un couple de sexagénaire attire particulièrement mon attention. Ils s'effleurent tendrement, échangeant des sourires complices, comme s'ils partaient en lune de miel. Madame a encore les lèvres étirées, et je devine assez bien que Monsieur lui murmure des mots doux, lui rappelant combien elle est toujours aussi belle, malgré les années qui passent.

L'émotion me saisit brusquement, brouillant légèrement mon regard. Les apercevoir si amoureux et en admiration l'un pour l'autre m'affecte bien plus que je ne l'aurais cru.

Naïvement, c'est à cela que j'imaginais ma vie... Mon plus grand rêve était de vieillir auprès de l'être aimé.

S'aimer d'un amour inconditionnel, authentique et sincère.

Mais, cette douceur intérieure se transforme rapidement en colère. Elle m'envahit si vite qu'une brûlure amère me remonte la gorge. Mon estomac se noue, tel un poignard enfoncé pour vous rappeler que malgré toute la détermination du monde, certaines erreurs sont irréparables.

Réagis, Emi. Il est encore temps de faire machine arrière ! Ce voyage est ridicule. Une quête idéalisée... Tes enfants devraient être ta priorité. Fais chemin inverse et retourne à la maison. Mais, ce ne sont que dix petits jours. Ils seront entre de bonnes mains avec leurs grands-parents qui veillent sur eux. Tu n'aurais pas dû accepter le deal...

La rage sourde que je n'arrive pas à exprimer me consume un peu plus à chaque seconde qui s'écoule...

Depuis plus d'un an, tout se mélange dans ma tête pour ne pas changer.

Depuis que mon monde a basculé dans la douleur et que ma vie devenue monotone et vide avec le temps, s'est effondrée du jour au lendemain... Elle était pourtant pleine de promesses...

Reprends-toi. Ne laisse pas un sentiment d'impuissance et de haine te submerger. Ce voyage solo, tu le fais pour plusieurs raisons. La plus évidente : réapprendre à penser à toi, avant de penser pour deux. Puis, te ressourcer, pour revenir meilleure pour Lola et Noah.

Je souffle, éreintée quand une annonce résonne dans tout l'aéroport, couvrant un instant le brouhaha ambiant. Mon rythme cardiaque s'affole.

Emi, l'embarquement approche.

Je tente de me distraire quand soudain, mon regard croise celui d'un beau brun. Sa démarche décontractée, assurée, mais pas arrogante, capte mon intérêt. Il est confiant sans être condescendant. Il me gratifie pourtant d'un sourire éclatant qui semble me défier.

J'aime le challenge !

Tu penses certainement que ça me fait quelque chose, pas vrai ?

Pourtant, je ne suis plus la jeune fille de vingt ans, tu sais ?

Il s'assied face à moi, en braquant ses yeux sur les miens. Je l'étudie discrètement, de la tête aux pieds.

Grand, musclé, la peau hâlée, des épaules carrées et larges avec une barbe de trois jours soigneusement dessinée et des yeux à couper le souffle.

Il est carrément mon style, vêtu d'un tee-shirt Star Wars, d'un bermuda beige et portant des Converses assorties, qui lui donne un air de geek !

L'attirance est bien là, me terrorisant aussi. Elle me serpente sous ma peau, me surprenant par son intensité et par sa rapidité. Ma respiration se coupe une fraction de seconde.

Je n'y comprends plus rien. J'étais persuadée que... Il y a encore une heure, je...

N'y songe pas ! Ce sont les vacances ! Amuse-toi !

Ce mec est intriguant et parfait pour ton moral ! Point !

Je me délecte de sa beauté, puis lorsque l'annonce du vol résonne dans tout l'aéroport, je me relève précipitamment, pour me retrouver nez-à-nez avec le bel apollon, ou plutôt face à ses yeux en amande d'un caramel profond, qui me fixent intensément.

Mon cœur rate plusieurs battements.

Les secondes paraissent interminables...

Elles flottent dans l'espace-temps et me paralysent.

Connaissez-vous cette sensation qui apparaît telle une évidence ?

Celle qui vous suit et ne vous lâche plus jusqu'à ce que vous goûtiez au fruit défendu.

L'attraction physique et sexuelle.

Je ne l'ai connu que deux fois.