Fyctia

—Vous avez déjà eu un coup de foudre ? demande Lily, à la fin de la dernière vidéo.

—Oui, une fois, murmuré-je.

Ça brûle, la foudre, c’est dangereux.

—Alors tu comprends ce que je ressens à cet instant, Ary ! Dylan Eperly est l’homme de ma vie, conclut-elle, en refermant l’ordinateur.

Mes yeux s’écarquillent. Hanna s’esclaffe.

—Ton envie de célibat est passée comme un éclair, me moqué-je.

Elle rigole et se lève du lit, pour ranger son appareil. Ensuite, elle attrape une robe parmi ses habits et se place devant la glace pour l’admirer.

—C’était avant de rencontrer mon Dylan, dit-elle. Lui et moi, je sens que ça va coller.

—Tu ne l’as jamais ''rencontré'', justement. Lily, ne vas-tu pas un peu trop vite là ? Et que fais-tu de sa femme ?

Elle considère la question quelques secondes, puis son visage s’illumine d'un sourire malicieux.

—Tu as bien remarqué qu’elle n’était pas sur les dernières vidéos. Elle ne parlait plus de lui sur sa chaîne et lui d'elle.

—Donc ?

—Ils ne sont peut-être plus ensemble.

Je hoche doucement la tête, impressionnée par la capacité de mon amie à tirer des conclusions farfelue. Je ne relève pas, et la regarde plonger dans une rêverie éveillée. Elle arrive même à imaginer le jour de leur mariage. Le choix de la musique se fait sous nos yeux, ainsi que la sélection des demoiselles d’honneur et des témoins.

—Juste par curiosité… qu’est-ce que tu vas faire, si le coach ne veut pas se marier avec toi ?

—Chut ! Soyons optimiste.

Elle fredonne un air de chanson romantique, et esquisse quelques pas de danse, usant de sa robe comme partenaire.

— Imaginez-moi en robe de marier. Lily Avila, tu seras Ma-gni-fique ! se complimente-t-elle.

Son humeur légère me contamine. Je me surprends à lui proposer d’emprunter la robe traditionnelle de marier, que Maa possède. Une pièce jalousement conservée au fond de sa valise. Une flamme d’excitation naît dans le regard de mon amie.

—Elle ne voudra jamais nous le donner, c’est son trésor, nous signale Hanna.

Lily fait une moue et s’affale sur le lit.

—Mais, on pourrait le dérober. Je fais diversion et Ary ira la chercher, ajoute ma sœur.

Comme avant ! Hanna et moi avions déjà fait ce coup, par le passé. La robe de mariée est le seul habit de couleur permise pour les intouchables. Un magnifique sari rouge. Je l’ai porté une fois, pour que Jae me dresse un portrait dans cet accoutrement. C'était après notre aventure à Aïn Kelfa.

**

Je suis longtemps restée assise, dans la même position, sur un haut tabouret, le menton relevé, le sari rouge traînant jusqu’à mes pieds. Jae a passé toute l'après-midi à réaliser mon portrait, il avance comme un escargot. Je le soupçonne de traîner délibérément. Il répond à chaque plainte de ma part par un compliment. Sous son regard ardent, je me sentais reine, déesse. Il a de la peine à cacher son émerveillement, ce qui rend la séance plaisant à souhait pour moi.

—Je suis fatiguée.

—Patience, j'essaie de rendre justice à ta magnificence.

—Tu me flattes beaucoup, fais-je remarquer.

Il glisse le pinceau derrière son oreille et vient se placer devant moi.

—Tu es horriblement vilaine, au point de dévaloriser cette robe, déclare-t-il.

Me penchant vers lui, je lui tire l'oreille.

—Aïe ! Je plaisante voyons, s'écrit -il.

—Voilà qui est mieux.

Je relâche ma victime, et m'étire légèrement. Il me faudra bientôt m’éclipser, mes travaux de la journée sont loin d'être finis. Et la robe de Maa doit retourner à sa place au plus vite. Je me mets sur pied, avec l'idée de mettre un terme à la séance d’aujourd’hui.

—Tu sais bien ce que je pense réellement, tout comme ce que je ressens, reprend Jae. Là dans ce cœur sauvage, qui n’obéit qu'a lui-même, dit-il à mi-voix, plaçant sa main sur sa poitrine, au niveau de l'organe en question. Tu le sais, depuis Aïn Kelfa.

Il avance, frôle ma joue de son autre main, d'un geste calme, doux. Je baisse le regard, prise de court.

—Ahan. Je dois...

De ses doigts, il me relève la tête, me forçant à soutenir son regard.

—Araya, je pourrais dire beaucoup de choses, essayer de t'expliquer pourquoi ou comment c'est arrivé. Mais je préfère simplement en venir au fait. L'essentiel est que je ...

—Jedoisnetoyerlacour.

Les mots se bousculent hors de ma bouche. Dieux tout-puissants ! J'aimerais mieux me sauver, avant de transgresser votre autorité.

—Oui, je dois balayer la cour et cuisiner. Le dîner, avant le retour de Maa, m'excusée-je, en ramassant la partie traînante de mon sari, prête à m’échapper.

—D'accord, mais avant il faut que tu saches que..

Je l'arrête en lui mettant un doigt sur les lèvres. Pour l’empêcher de prononcer les mots fatidiques. Cela le fait rire, il saisit cette main et y dépose un baiser au creux, avant de le poser sur son cœur.

Le battement violent me parvient à travers sa chemise.

—Il crie ainsi tout le temps, quand je suis avec toi. Je ne peux le faire taire.

—Jae... ce n'est pas bien. Ce n'est pas possible toi et moi. Tu as pensé aux Dieux ? Aux lois ?

—Ce sont de fausses lois, de mauvaises règles, établie par des humains pleins de prétentions. Ce que j'éprouve est réel. Je ne veux pas me soumettre à ces prêtres corrompus, et te laisser m'échapper.

Dis-moi juste, si je peux espérer...

Mon esprit entre en ébullition. Je ne suis pas prête pour cette conversation. Provoquer les Dieux n'est pas dans mon programme pour cette vie. Aller à l'encontre de leurs volontés puissantes, ne pourrait m'attirer que des ennuis. Pourtant, une partie de moi considère cette option. Je fais mine de raisonner, alors que mon inconscient à déjà trancher la question. J’arrive à me soustraire à mes pensées, pour articuler d'une voix faible :

—Jae, je ne ressens rien pour toi. Et La...la cour est vraiment sale, j'y vais.

Je retire ma main tremblante de la sienne et m'éloigne précipitamment pour atteindre la sortie.

—La porte est de l'autre côté, m'indique -t-il , alors que je fonce vers un des murs de la pièce.

—Oui...bien sûr, fais-je, en me retournant, gênée.

Avant que je ne franchise le seuil, il déclare d'une voix neutre :

—Je vais te laisser réfléchir. Je resterai cloîtrer au palais, le temps que tu te décides à être sincère avec moi. Appel-moi, quand tu seras fixée.

Il me dépasse et sort de la pièce. Il a l'air blessé. Quelque chose se brise au fond de moi.

**

La sonnerie de mon téléphone me tire de mes souvenirs. Un appel d'Azbar. Je décroche sans réfléchir.

—Allô ?

J'entends une respiration saccadée, étrangement familière. L’appel est ensuite coupé. Perplexe, je regarde l'écran.

—Qui est-ce ? Demande Lily, en me prenant l'appareil des mains.

—Aucune idée. Peut-être un oncle ou un cousin.

Elle y jette un coup d’œil et relève la tête, l'air surprise.

—C'est le numéro d'A...

Elle se ravise, et me remet le téléphone.

—De qui ?

—Non rien. J'allais dire une bêtise.

Lily s'empresse de changer de sujet et m'envoie chercher la robe de Maa. Je ne suis pas dupe.