Fyctia
There in Aïn Kelfa~Jae
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Alors que les soldats s’occupent des trois cadavres, je me faufile jusqu’à la tente d’Araya. Elle saura me guider pour accomplir le rituel du zar sur le général, et sur tous les hommes du camp.
Un garde l’appelle pour moi. Elle m’apparaît après une longue attente, enveloppée dans la tenue traditionnelle que portent certaines femmes à Aïn Kelfa. C’est un grand boubou qui lui couvre tout le corps. Un voile est rabattu sur ses cheveux et son visage. Elle a opté pour cet habillement afin de mieux cacher son identité, et ne l’enlève que pour s’occuper des blessés.
—Jae, que faites-vous là ? Qu’y a –t-il ?
Je m’excuse de l’avoir réveillé si tard, et l’entraîne un peu à l’écart pour parler. D’une oreille attentive, elle écoute mon récit. Mon idée lui semble bonne. Elle m’explique comment procéder pour savoir si une personne est possédée par un esprit du mal. Le rituel s’avère simple. Dans une marmite, on laisse cuire du riz dans du lait caillé et de la graisse de chèvre. Chaque soldat devra plonger la main dans cette marmite, prendre une poignée de la mixture chaude et l’avaler instantanément. Les hommes saints n’auront rien. Les possédés seront pris de convulsions et ne pourront pas le faire. Je prévois de convoquer tous les soldats, ainsi que le général, pour passer ce test au plus vite.
—Allez-y. Je m'occupe du riz, dit -elle. J'ai ce qu'il faut pour le faire.
—D'accord. Faites attention à vous. Je dois d'abord retrouver Aké, dis-je, en prenant congé.
À ma grande surprise, mon frère était réapparu dans la tente, il m’attendait.
—Mais où donc était tu passé ? J’étais mort d’inquiétude ! m’écrié-je, en lui assénant une petite tape derrière la nuque.
—J’ai nagé jusqu’à l’autre berge. À mon retour, il n’y avait plus personne, m’explique-t-il.
—On a retrouvé tes compagnons, noyés. Par la grâce des dieux, tu vas bien.
J’ébouriffe ses cheveux et le serre contre moi. Je ne le quitte plus des yeux et vais retrouver le général pour entamer l’exécution de mon plan. Madjib reste étrangement serein quand je le lui annonce. C’est même avec un certain enthousiasme qu’il m’aide à rassembler les soldats et à expliquer le rituel. Comme personne n’objecte, on l’entame quelques heures plus tard.
Nous voilà donc, tous réunis, alignés en file indienne devant la marmite. Les premiers hommes passent le test. Ils avalent leur part sans problème. Arrive le tour du général. J’inspecte minutieusement ses gestes. Il n’hésite pas, plonge la main, prend une quantité de riz et la fourre dans sa bouche. Pas de réaction suspecte de sa part. Je suis surpris et soulagé.
—Maintenant messieurs, et si nos bons princes passaient eux aussi le rituel ? Je sais que vous aviez des soupçons sur moi. Vous l’ignorez peut-être, mais moi aussi, je doute de vous, lance le général.
—C’est ridicule. Mais si cela peut vous rassurer, mon frère et moi sommes prêt à le faire, dis-je sans hésiter.
J’avance aussitôt et accomplis le rituel. J’avale la mixture en fixant Madjib.
—Parfait, dit-il. À votre tour, Prince Aké.
Celui-ci a le visage sombre. Il recule.
—Mais tu avais dit…qu’on n’aurait pas à le faire, articule-t-il à mon intention.
—Eh bien, ce n’est pas grave. Vas-y qu’on en finisse.
Il remue la tête en négation, l’air perdu.
—Non, c’est … Nous sommes des princes, balbutie -t-il.
Son comportement commence à inquiéter. De quoi peut-il avoir peur ? J’essaie de lui faire entendre raison et le rapproche doucement de la marmite. Il murmure des paroles incompréhensibles. D'un mouvement rapide Madjib le saisi par surprise et enfonce sa main dans le mélange.
Aké bondit en arrière, le corps en proie à de violents spasmes. Aussitôt, le général sort son arme et le pointe sur mon frère. Sous le choc, j'attrape instinctivement le mien et le braque sur la tête de Madjib. Son bras droit, un habile soldat d’Aïn Kelfa, me prend en joue. De fil en aiguille, les soldats d’Azbar et ceux d’Aïn Kelfa s’opposent, chacun menaçant son voisin de son arme.
—C’est lui le traître ! Lui, qui a tué nos hommes ! vocifère le général, empli de fureur.
—Vous voulez tuer le fils de Kainan ? Posez votre arme ! Rétorqué-je sur le même ton.
—C’est un possédé ! Vous avez démasqué votre propre frère, à moi de faire mon travail à présent.
Je n’ai pas eu le temps de digérer cette information. Mais il s’agissait dans tous les cas de mon frère, de mon sang. Hors de question que je les laisse toucher à un seul de ses cheveux.
Araya, non armée, les deux mains levées en signes de paix, s’interpose entre le canon de Madjib et Aké, qui est tombé par terre et frétille comme une carpe sortit de l'eau.
— Rien ne sert de prendre des décisions hâtives, vous perdez tous la tête. C'est peut-être ce que veut l'esprit du mal qui possède Aké. Si vous vous entre-tuez tous, il aura gagné. Le prince peut être désensorcelé. Je m’engage à le faire, laissez-moi juste un peu de temps, fait- elle , d'une voix calme.
Madjib reste sur sa position. Il a fallu de longues altercations pour qu’il décide de céder à la demande d’Araya. Celle-ci m'avoue ensuite ne pas savoir comment libérer le corps d’Aké de l’esprit malin qui l'habitait. Elle avait prétendu cela pour nous faire gagner du temps.
On se charge de l'évasion de mon frère, en douce. Une fois à Azbar, les prêtres ont prit soin de lui. Peu de temps après, il est revenu à lui-même, complètement débarrassé de l'esprit malin, mais sans aucune mémoire des événements d'Aïn Kelfa. Le barbare avait pris place dans son corps dès le premier jour dans ce royaume. Depuis ce moment, il était resté inconscient de ses actes.
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Aujourd’hui encore, ses souvenirs lui reviennent par brides, grâce à la vue d’éléments déclencheurs, ou à l’entente de certains récits.
—…Voilà ce qui s’est passée, il y a trois ans, à Aïn Kelfa. Madjib vous aurait exécuté tous les deux, s’il avait appris la supercherie. Sans elle, ce soir-là, tu aurais peut- être péri des mains du général.
Il semble déconcerté, et reste muet un bon bout de temps. Il secoue la tête, pour chasser
je-ne-sais quelle pensée, et s’adresse à moi d’une voix indifférente :
—Elle n'aurait pu agir autrement. C’était son devoir.
—Tu sais bien que non. C’était le mien, à la rigueur.
Il soupire, agacé. Je jubile intérieurement, lorsqu’il compose le numéro et me tend son téléphone.
Mille et une questions se bousculent dans ma tête. À savoir si elle allait décrocher, par exemple. Ma main saisie rapidement le combiné. Aké refuse de me laisser seul pour cet appel, il prend place sur mon lit. Je lui tourne le dos, fais face à la fenêtre ouverte.
Araya. Mon cœur danse à un rythme endiablé. Le pouce suspendu au-dessus du bouton d’appel, j’inspire profondément, puis clic dessus. L’appareil sur mon oreille, ma respiration s’arrête net, quand sa voix me parvient, après trois sonneries. Alors que j’entrouvre mes lèvres pour parler, une main se pose sur la mienne et m’enlève le téléphone. Je me retourne vivement.
—Mè…mère ?
16 commentaires
Alec Krynn
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Il y a 5 ans
Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Luna-Bella-Me
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Il y a 5 ans
Lyaminh
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Il y a 5 ans
Luna-Bella-Me
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Il y a 5 ans