Fyctia
We will Survive~Jae
Aké accepte de me prêter l’oreille, dans ma chambre. Je lui conte notre aventure à Araya et moi, pendant la bataille d'Aïn Kelfa. La nostalgie me submerge en plein milieu du récit. Mon cœur s’accélère comme s'il revivait les événements. Comme s'il retombait sous le charme de cette battante. C'est là-bas, sous le soleil ardent, sur les dunes chaudes, dans le dessert impitoyable de ce royaume aride que nous nous sommes le plus rapprocher. Elle a veillé sur moi, comme une mère, une épouse, une amie usant des scrupuleuses attentions qui caractérisent ces êtres-là. Assailli par les souvenirs de cette époque, une bouffée de chaleur monte dans ma poitrine, menaçant de s’extirper en sanglots. Ces derniers temps, mes pensées, mes souvenances, me remplissent les yeux de larmes. Je n’y peux rien. Mère m’a toujours mis en garde contre les démonstrations d'émotion. Je chasse mon envie de pleurer, soucieux de ne pas paraître faible. Ma langue se délie à nouveau et continue le récit. Les images des événements défilent dans ma tête.
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Derrière la fenêtre d’Araya, je frissonne. Elle veut se rendre à Aïn Kelfa.
—Même Maa est d’accord pour ce projet suicidaire ? Lui demandé-je, les lèvres tremblant imperceptiblement.
D’un hochement de tête, elle me le confirme. Maa est une femme âgée, extraordinairement gentil. À chacune de mes visites, elle se plie en quatre pour que je me sente à l’aise. « Veux-tu boire ? À manger ? Non, ne t’assois pas là, ce n’est pas confortable, va plutôt par ici… » . Son dévouement acharné me gêne presque. J’avais l’impression qu’elle connaissait ma vraie identité, d’où sa façon de me traiter. Au milieu de leur demeure miséreux, elle s’évertue à m’offrir plus qu’elle ne possède. Elle m’enveloppe toujours d’un regard attendri, m’appelant mon « enfant ». Ces yeux se remplissent d’une espèce de tristesse quand je prends congé, ou quand elle ne sait pas que je la vois. Une mélancolie dont je ne comprends pas la raison, me prend aussi en les quittant. Araya, Maa, Hanna, et même Vikram que je vois peu, me sont devenu cher en peu de temps. En leurs compagnies, je me sens plus à ma place qu’au palais même. Un lien étrange s’est créé entre nous. Me poussant à fréquenter de plus en plus cette partie du royaume.
Il y a quelques mois encore, je me refusais d’aller dans le quartier des intouchables. Enfant, j’avais accompagné mes parents par là et ce que j’ai vu m'a hanté jusqu’à l’âge adulte. Des humains traités comme des moins-que-rien. Les conditions de vie de ces gens sont précaires, un enfer au quotidien. La compassion que j’éprouvais pour eux, n’avait d’égal que mon dégoût envers nous autres. J’avais terriblement honte de nous, la famille royale qui vit dans l’oisiveté et l’opulence alors que ces sujets meurent de faim, quelques kilomètres plus loin. Au nom de quels dieux pouvait-on admettre une telle cruauté envers ses semblables ? Je ne voulais pas y remettre les pieds avant d’avoir atténué l'acerbité de leur cette situation. À mes seize ans, je me suis impliqué auprès du roi, lui forçant la main pour ouvrir progressivement des écoles, des centres de santés dans la zone. Ensuite, à chacun de mes anniversaires, je réclamais en cadeau, qu’on construise un peu plus le quartier. L’eau potable, l’électricité, le high-tech, ont intégré leurs quotidiens à présent, en partie grâce à mon acharnement.
Le quartier est loin de ressembler aux autres, mais il y a eu du progrès. Il reste tout de même beaucoup à faire. Je compte m’investir corps et âme dans le développement égal de chaque division, une fois couronner Roi. La perspective de bousculer les fondements mêmes d’Azbar, en mettant tout le monde à pieds égal, donnant les mêmes opportunités à chacun, me tient à cœur. Cela ne se fera pas sans une résistance farouche de la part des religieux, des nobles, des braves, d’à peu près toutes les couches favorisées en fait. Ils ne toléreront pas mes projets impies. Je suis prêt à les affronter, pourvu que les êtres suprêmes ne me mettent pas de bâton dans les roues. Ma mission commence par le recensement de ceux qui pensent comme moi, avec la même détermination et la force d’âme nécessaire pour lutter à mes côtés jusqu'au bout.
Intérieurement, j’espère l’aide des dieux eux-mêmes, pour ouvrir les yeux de leurs serviteurs aveugles et sourds, qui à mon avis ont compris de travers notre religion. Ou peut-être suis-je la brebis égarée qui attribue aux dieux plus d’humanité qu’ils n’en ont vraiment. Auquel cas, je préfère rester dans mon égarement. Un dieu, tout comme un roi, se doit d’être bon, miséricordieux, juste, autrement l’homme n’est pas tenu de lui obéir. Ceci est ma pensée sur la question. Sur la liste de ceux qui partagent cette convictions je mettrai Araya et sa famille. Celle-ci m’inquiète pour le moment.
—Vous savez-vous battre au moins ?
—Méfiez-vous des apparences. Ce n’est pas parce que je suis une femme, que je ne peux pas me défendre, répond –t-elle en sautant par-dessus la fenêtre.
Elle se tient à présent face à moi, les pieds écartés et les poings refermés, dans une drôle de position.
—Que faites-vous ?
—Essayez un peu de m’attaquer. Je vous métrais à terre en moins de deux.
Je soupire en souriant. Dieu qu’elle est adorable !
—Rectifions d’abord votre pose. Il faut se mettre de profil, de façon à offrir à l’ennemie le moins de surface où frapper.
L’aidant à bien se placer, je lui prodigue quelques conseils, espérant qu’elle n’ait jamais besoin de les appliquer.
—Parfait, à présent, imaginez que je vous veuille du mal. Me voilà devant vous, une épée ou une arme à feu en main. Qu’allez-vous faire ?
Elle avance maladroitement, pour porter un coup à l’agresseur imaginaire. Les mains dans le dos, je me décale sur le côté quand elle se lance de tout son corps par-devant pour aplatir l’adversaire. Elle titube, tombe toute seule et se met à rire de son geste malhabile. Son hilarité me contamine.
—Me mettre à terre, c’est cela ? Vous vous y prenez très mal.
Elle me tend la main pour que je l’aide à se relever. Son corps est si léger que je la mets sur pied sans grand effort. Elle tangue, s’accroche à mon épaule pour ne pas perdre à nouveau l’équilibre et finit par s’immobiliser tout contre moi. À son contact mon corps se raidit. Une délicieuse sensation que je ne peux réprimer fait surface. Cette pulsion s’amplifie, et me brûle quand mes yeux rencontrent les siennes. Elle repose sa délicate petite tête sur ma poitrine. On reste là, entrelacé sous un ciel sans étoiles. Je me laisse caresser par son odeur à la fois sensuelle et douceâtre.
—Nous survivrons J.
C’est une prière, une promesse en laquelle j’ai envie de croire. Mais l’inquiétude ronge mon âme. Les barbares sont violents, sans foi ni loi. Je n’ose pas imaginer ce qu’ils feront d’elle, si elle leur tombe sous la main. À cette pensée grisante, je la serre plus fort dans mes bras, de peur qu’elle ne me glisse d’entre les doigts et ne disparaisse à jamais de ma vue.
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Alec Krynn
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Il y a 5 ans
Sissy Jil Adan'S
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Luna-Bella-Me
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Véronique Rivat
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Luna-Bella-Me
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Véronique Rivat
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Luna-Bella-Me
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quelquesmotsd'amour
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Luna-Bella-Me
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